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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 25 mai 1723
A Groninque ce 25 Mai 1723.
Je reçus hier, Monsieur, vôtre Lettre du 10 de ce mois: & comme je me dispose à
aller en famille à Berlin, le mois prochain, pour voir nos Parens & Amis, je n’ai pas voulu
partir sans vous donnes de mes nouvelles, sur tout aiant occasion de vous écrire sous couvert
du directeur de la Loterie de Groningue, qui écrit souvent à Mr Fabri & Barrillot ses
correspondans. Je passerai, s’il plaît à Dieu, en Allemagne tout le tems des grandes Vacances,
& Nous reviendrons au commencement de Septembre.
Comme vous ne me dites rien de vôtre santé, j’en infére qu’elle est bonne, ou du
moins que vous n’avez pas eu des attaques extraordinaires de vôtre incommodité. Je le souhaitte
de tout mon cœur, & sur tout pour l’avernis.
Je suis bien aise d’apprendre, que ma Traduction du Livre de Mr Bynkershoek
est parvenuë entre vos mains. Je l’avois bien recommandé à celui qui s’en chargea. Vous
avez, au reste, raison de croire que la complaisance a eu beaucoup de part à mon
travail sur ce Livre. Je l’ai assez fait sentir, & par l’Epître Dédicatoire, & dans ma
Préface. Si j’avois pu me dispenser d’entreprendre un tel Ouvrage, je l’aurois fait
volontiers. Mais le Seigneur, qui m’en pria, est un défi plus puissant de la Province, & de
ceux qui me témoignent le plus de bonté. L’Auteur, qui m’écrivit aussi pour me prier de
ce qu’il m’avoit fait demander par cet Ami commun, est dans un beau poste, & je
ne devois pas négliger de m’en faire un nouvel Ami, tel qu’il témoigne être devenu par
cette considération. Pour ce qui est de défaut de netteté, que vous trouvez dans son Ou=
vrage, outre le peu de tems qu’il s’est donné pour le composer, son grand Savoir & ses
occupations continuelles l’empêchent de s’appliquer à bien developper ses pensées, croiant que
tout le monde doit entendre à demi mot, & faisant profession de n’écrire que pour les Savans.
J’ai eu beaucoup de peine à tourner ma Version d’une manière qui put diminuer, autant
qu’il est possible, la fatigute du Lecteur: mais il n’y avoit pas moien de tourner tout, comme
j’aurois voulu le tourner moi-même; à moins que de dépouiller le personnage de Traducteur.
C’est beaucoup, qu’il m’aît été permis de mettre des Notes dans la Traduction d’un
Auteur vivant.
Je ne savois qu'en partie les changements arrivez à votre académie, & je n'avois point
entendu parler de la mort de Mr Mussard. Je ne connois de ces Mrs nouvellement établis
professeurs, que Mr Gallatin, qui me paroît bien digne de la profession en philosophie.
Il a l'esprit net & juste, & rien ne pouvoit lui mieux convenir que cet Emploi. L'eta-=
blissement, qu'on a fait, pour régler les fonctions des professeurs en droit, est fort judicieux &
fort utile. Il seroit à souhaiter qu'on l'imitât dans les autres Académies, où d'un coté, on
néglige fort le Droit Naturel, & de l'autre,on fait dans les leçons particulières un cours de pandectes dans l'année
Académique, qui, les Vacances otées, est fort courte.
J’ai vû, dans les Gazettes, la nouvelle Lettre du Roi de Prusse, qui est assûrêment
très pressante. On en tirera au moins cet avantage, de faire voir à toute l’Europe, qu’il
y a de grands Etats Protestans où l’on commence à suivre l’esprit de la Réformation. Je
crois que les Cantons de Berne & de Zurich, s’ils ne consentent pas encore à l’entière
abolition de la Formule, seront fort embarrassez à la refuser, & portez à user de plus
de modération. Nôtre Ami, Mr Polier, m’écrit depuis peu, qu’avec les explications &
modifications que LL.EE. de Berne ont enfin autorisées, ils ne souhaittent plus qu’on
abolisse tout à fait le Consensus, puis que les choses en sont revenuës précisément au
point où nous les avions mises; dequoi l’Académie de Lausanne se seroit contentée
si les Ennemis ne l’avoient attaquée. La brochure de Mr Salchli, dont j’avois
<1v>entendu parler, devroit suffire pour faire ouvrir les yeux à ceux d’entre les Politiques de
Berne, qui ont secondé les passions & le zèle mal entendu de leurs Théologiens. L’affaire du
Major Davel, tout fanatique qu’il étoit, pourra aussi obliger LL.EE. à avoir désormais
plus d’égard pour leurs Sujets du païs de Vaud. C’est grand’ merveille, que cete entreprise,
quoi que mal concertée, n’aît donné occasion à des mouvemens fâcheux.
Mr de Crouza m’a parlé, il y a long tems, de sa Logique Latine, que je sai être
achevée d’imprimer, & de son Ouvrage contre les Pyrrhoniens. Le nouveau Livre posthume
de Mr Huet lui fournira matière à reflexions. J’admire, qu’un homme, qui a voulu
nous donner, comme des démonstrations, tant de pauvres raisons dont il se sert dans sa
Démonstration Evangelique, aît pu se mettre dans l’esprit de renverser la certitude de ce
que nous conoissons le mieux. Il y a, dans le dernier Fasciculus de la Biblioth. Hist. Crit.
Theol. de Breme, une petite dissertation posthume du Frère de Mr de Hafe, continuateur
de cette Bibliothèque: dans laquelle Dissertation on examine ce que Mr Huet dit de Moïse,
qu’il trouve par tout dans les Auteurs Anciens du Paganisme.
Vous aurez vû sans doute, les Projets de Souscription pour un Dictionn. Géographique,
de Mr de la Martinière, Auteur des Entretiens des Ombres; & par un Recueil de Lettrez
Anecdotes de Lipse, Grotius, Gronovius, Heinsius, &c. que Mr Burman doit faire imprimer,
tirées de la Bibliothèque de Leide. Celui-ci sera en 4. voll. in quarto.
Il a paru deux journaux de la Bibliothèque Françoise, entreprise à l’imitation des
Bibliothèques Angloise, Germanique &c. L’Auteur est un jeune Abbé, nommé Camuzat,
Bibliothécaire du Marêchal d’Etrées. Il avoit fait la meilleure partie des Mémoires Historiques
Critiques, &c qui ont fini après une année. Il écrit bien: mais quoi qu’il aît fait le
modéré à Amsterdam, où il a été quelque tems, il paroît fort bigot dans son Journal,
& d’ailleurs partial en matière de choses qui n’ont nul rapport à la Religion. Son
Journal ne laissera pas d’être utile, pour ce qui se passe en France dans la Republique
des Lettres. Il doit faire imprimer une Histoire des Journaux.
M. du Limiers, à qui les Livres ne coûtent rien, a fait imprimer une Histoire de
l’Académie de Bologne, où il n’y a presque rien de lui. Le Comte de Marsilli, qui a érigé
cette Académie, fait imprimer à Amsterdam, où il a été quelque tems, son Histoire
Physique de la Mer, avec beaucoup de figures très-belles.
Si je pouvois, Monsieur, vous être utile en quelque chose à Berlin, vous
n’auriez qu’à m’écrire là. Je vous renouvelle les vœux que je fai continuellement
pour vôtre santé, & pour la prospérité de tout ceux qui vous appartiennent. Ma
femme vous saluë affectueusement, & elle & moi présentons nos respects à Madame
Turrettin. Mille amitiez à vôtre chère famille. Je suis toûjours, Monsieur, avec
les sentimens les plus vifs & les plus sincères.
Vôtre très-humble &
très-obeïssant serviteur
Barbeyrac
On peut compter présentement, selon toutes les apparances
que mon Grotius paroîtra enfin avant la fin de l’année. Il y en
a 117 feuilles d’imprimées, qui vont jusqu’au Chap. XIX. du
dernier Livre. L’enverrai, au premier jour, la Préface; de sorte qu’à
mon retour de Berlin, je n’aurai qu’à achever & mettre en ordre
les Index. Mr le Marquis de Torcy a refusé, d’une manière honnête,
la Dédicace. Je l’avois cru. Je crois que je dédierai l’Ouvrage
au Roi d’Angleterre.
A Monsieur
Monsieur Turretin (Jean Alphonse) Pasteur &
Professeur en Theolog. & en Histoire Ecclésiastique
A Genéve