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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 09 février 1723
A Groninque ce 9 Fevrier 1723.
Je reçus, Monsieur, en son tems, vôtre derniére Lettre du 12 Octobre de l’année passée; & elle m’auroit
fait plus de plaisir, si vous ne m’y appreniez que vous étiez toujours fort tourmenté de vötre asthme. J’ai vû
depuis par une Lettre de Mr de Crouza, que vous aviez eu une fièvre continuë, mais dont vous étiez
quitte dans le tems qu’il m’écrivoit. Je suis bien fâché de n’avoir que des condoléances à faire sur
les retours fréquens de vos indispositions, & que le Ciel ne veuille pas exaucer les vœux que je fais, avec
tous vos Amis, pour vôtre santé. Mais il faut se soûmettre à la Providence.
Je suis bien aise de voir par vôtre Lettre, que vous avez reçu le I. Tome de Tillotson, de la nouvelle
Edition, & ma Harangue Rectorale. A l’égard du prémier, vous me rendez justice, en témoigant être
persuadé de la sincérité des sentimens qui m’ont porté à vous renouveller, dans cette occasion qui se
présentoit, contre les témoignances publics de ma sensibilité à tant de marques d’amitié que vous m’avez
données, & dont je devois me faire honneur, quand je ne serois pas porté par inclination & par recon=
noissance à les publier. Pour ce qui est des choses qu’on a trouvé à redire à ma Harangue, je
n’en suis pas surpris: mais je vous avouë, que j’avois prévû les objections, & que cependant elles
ne m’avoient pas paru assez fortes pour démonter mon système. J’ai excepté distinguement les cas
où le consentement des Membres d’une Société Ecclesiastique, & la constitution des Gouverne=
mens, donnent aux Ecclesiastiques, sur le sujet dont il s’agit, & sur d’autres, plus de pouvoir
que n’en renferme & que n’on demande le but de leur Ministère. Mais il me paroît encore,
qu’à considérer cette fin en elle-même, & par conséquent à juger de ce qui doit avoir
lieu dans les Païs où les Loix & l’Usage n’ont rien décidé là-dessus, les raisons que j’ai alléguées,
& les conséquences que j’en tire, subsistent dans toute leur force. Supposé même le droit, comme
l’usage en devroit toûjours être réglé par la Prudence, il arriveroit rarement qu’elle le paraît; car,
quelque grands que soient les abus, qu’on croira autoriser à glisser quelques trait en Chaire contre
un Magistrat, ou un Corps même de Magistrature, auprès duquel les rémontrances particulières n’auront
servi de rien; les Censures publiques feront pas plus d’effet, & ne produiront que des troubles
dans la Société Civile, sans aucun fruit pour l’Eglise, ou pour l’amendament des intéressez. Le plus
ou moins d’élévation des Magistrats, selon la différence des Gouvernemens, ne fait rien ici: le plus ou
moins d’inconvénience n’empêche pas qu’ils ne soient toûjours assez grands. Je voudrois sur tout qu’on
fît attention, que, du moment qu’on aura ici accordé quelque chose, chacun se croira tout permis;
& que les cas où l’on se croira plus en droit de profiter de la permission seront ceux où elle est la
plus dangereuse. L’expérience a fait assez voir, que les Ecclésiastiques pardonnent beaucoup plus aisément
au Magistrat ses mauvaises mœurs, que son indifférence ou sa modération par rapport à ce qu’ils
traitent d’hétérodoxie: comme d’autre côté un Magistrat, qui craindra leurs Censures publiques, secondera
aisément toutes leurs passions en leur prêtant son autorité contre les dissentors, pour les engager par
reconnoissance à se taire sur ses vices. J’aurois occasion, si je voulois, de répondre amplement à toutes
les difficultez, dans une Traduction Françoise qu’on m’a demandée par joindre à une nouvelle Edition
du volume de Discours de Mrs Noodt & Gronovius, avec le mien de l’Utilité des Sciences: mais je sai si,
quand je l’entreprendroi, je ne laisserai pas la piéce telle qu’elle est. Cela vaut mieux peut-être, que
de s’engager dans une espèce de dispute, que je ne crois pas nécessaire. Ceux qui ne peuvent souffrir qu’on leur
enlève ce qu’ils regardent comme un des plus beaux fleurons de leur Couronne, ne sont pas pour se rendre à de
telles armes, ou pour s’y estimer de bonne guerre: ils trouvent plus commodes celles de la Force, & ils les
cherchent tant qu’ils peuvent, comme les plus efficaces. J’ai appris, que dans la Classe de cette Ville, on avoit
proposé de dénoncer ma Harangue au Synode Flamand: le tout fort imprudemment, puis que le Synode
n’a rien à voir sur l’Académie, qui ne dépend que des Etats. Il se trouva pourtant un Ministre, que je
ne connais pas plus que les autres, qui leur dit, qu’on prît bien garde, & qu’on se feroit moquer de foi,
par la raison qu’allègue Phèdre: Qui rapiet ad se, quod est commune omnium, Stulte nudabit animi
conscientiam &c. Il ajoûta, qu’on seroit bien embarrassé à réfuter mes raison. Un autre Ministre
Flamand, qui prêche dans le Temple Académique, m’a témoigné plus d’une fois, qu’il entroit tout-à-fait
dans ce que j’avois établi. Quoi qu’il en soit, on me feroit tort de croire, que j’aîe été poussé par aucun
mépris ou aucune aigreur contre l’Ordre l’Ecclésiastique. Il n’y a personne, qui honore plus que moi,
ceux qui ont les qualitez & les dispositions convenables à la sainteté de leur Emploi: & je n’ai garde
de les confondre avec ceux d’un tout autre caractère, ni de faire retomber sur tout le Corps le
<1v>blâme que méritent les Particuliers, dont malheureusement le nombre n’est pas petit, sans qu’il y aît lieu
encore d’espérer un si heureux changement à cet égard, que celui qui est arrivé à Genève & aux environs.
Cela me fait souvenir des Sermons de Mr Osterwald, qu'on m'a envoiez de vôtre part. Je ne sai si c'est
directement, ou s'ils viennent de l'Auteur même. de quelque manière que la chose soit, j'en ai beaucoup de
reconnaissance, & je ne crois pouvoir souhaiter rien de plus utile à la Regligion & à l'Eglise, que de voir
multiplier le nombre des prédicateurs qui ont autant de soin d'édifier véritablement, & d'inspirer des
sentiments de paix & de charité. J'ai sû qu'en Hollande, aussi bien que dans vos quartiers, on m'a voulu
l'esprit avec si peu de fondement. On me faisoit trop d'honner, mais peut-être ne cherchoit-on pas par
là à me faire plaisir.
Je voudrois pouvoir vous apprendre bien des nouvelles literaires: mais, outre que je suis ici un peu loin de
la source, les glaces, à l’heure qu’il est, interrompent le commerce. Mr Coste, (qui, par parenthèse, est présentement
dans un bon poste, auprès du jeune Duc de Buckingham, où, avec deux cens pièces par an, on lui en assûre
cent pour le reste de ses jours, quand il sortira de chez la Duchesse) Mr Coste, dis-je, va donner à Londres,
par souscription, une très-belle Edition de Montagne, en 3 voll. in 4o avec ses Notes. Il y aura, outre les
Essais, tout ce qu’on a pû trouver de Montagne, & je crois même la Traduction de Raymond de Sebonde,
que je lui envoai l’année passée. Mr Rauffeau va aussi faire imprimer à Londres par souscription ses
ouvrages en vers, fort augmentez, en un volume in 4o. J’ai reçu le 9. & 10. volume des Antiquitez
Ecclésiastiques de Bingham, qui finissent l’Ouvrage. La 1 mot biffure moitié du dernier est occupée par un Index
général, dont le Livre avoit grand besoin, mais qui pourroit être plus plein; & par une longue Préface, contre
quelcun qui a entrepris un Abrégé du Livre, dont l’Auteur n’est pas content. Il fait esperer dans la suite,
si sa santé & son âge le lui permettent, un volume de supplémens, of Miscellaneous Rites. Peut-être
avez-vous déjà ces derniers volumes: car je m’imagine que c’est de vous qu’il parle dans l’Eglise Dédicatoire
du IX. où il dit à l’Evêque de Winchester, que le Primat d’Angleterre aiant envoié son Livre à
Mrs les Professeurs de Genève, ils l’en ont remercié, en lui témoignant être contents de l’Ouvrage. J’attens
au premier jour le Préservatif contre l’union avec l’Eglise Rom. Ouvrage de Mr Lenfant, qui vient de paroître
enfin. La santé de l'auteur est fort dérangée depuis quelque tems. Mr Noodt publia, il y a quelques
mois une Amica Responsio à Mr de Bynkershoek, touchant son Jul. Paulus de partus expositione
& nece apud Veteres. Comme ils sont Amis, Mr Noodt, dont j’ai vû la Réponse, toute prête il y a près
de deux ans, ne vouloit la faire paroître qu’avec la nouvelle Edition de ses Œuvres, qui s’avance. Mais aiant
appris, à ce qu’on dit, que Mr de Bynkershoek tiroit avantage de son silence, il s’est déterminé à faire
imprimer la Pièce à part. Son Antagoniste, comme il me l’a écrit lui-même, se dispose à la faire rimprimer,
pour y joindre des Notes qui la réfutent. Cependant je vois que Mr Noodt a gagné les suffrages de
plusieurs Savans, qui jusqu’ici n’avoient pas voulu se rendre, soit par entêtement pour l’honneur
des anciens Jurisconsultes, soit pour d’autres raisons. Comme il n’a pû éviter de dire certaines choses,
où la matière même rend les adoucissemens de termes difficiles, Mr de Bynkershoek paroît piqué au
jeu. Je lui ai écrit là-dessus en ami de l’un & de l’autre, en lui faisant connoître par mon silence, que
je n’entrois pas dans son sentiment; & que je doute qu’il puisse se bien tirer d’affaires. Au reste, ma Traduction
du Traité de ce Savant, Du Juge compétent des Ambassadeurs, est achevée d’imprimer, & vous a peut-être
déjà été envoiée dans un Ballot adressé à nos Amis de Lausanne. L’Auteur paroît content de mon
travail, quoi que dans les Notes j’ai témoigné quelquefois n’être pas de son avis: il me remercie, entr’autres
choses, qùod, ubi à me diffentis, ita amicè diffensetis. Je veux croire, qu’il parle sincérement, & vous
verrez par la Préface, que je ne pouvois guères me dispenser d’en user ainsi, dans une Traduction que je n’ai
entreprise que pour lui faire plaisir, & à un de nos Seigneurs de cette Province. Le Grotius va toûjours
lentement. J’ai le commencement du Chap. VIII. du III. Livre.
Ma Femme vous assure de ses respects, & elle et moi présentons les nôtres à Madame Turrettin. Nous
faisons bien des vœux pour vous, & pour vôtre chère famille, dans ce renouvellement d’année. Je serois
fâché que, par m’écrire, vous vous incommodassiez le moins du monde: tout ce dont je vous prie, c’est
que le plus souvent que vous pourrez, vous aiez la bonté de me donner de vos nouvelles. Quatre lignes
de vôtre main me suffisent, pour savoir seulement vôtre état, & que vous ne m’oubliez pas.
Je suis, Monsieur, avec mes sentimens ordinaires, les plus vifs & les plus sincères,
Vôtre très-humble &
très-obeïssant serviteur
Barbeyrac
L’Académie de Franeker vient de perdre Mr Vitringa
le Fils, qui étoit encore jeune. La place du Père n’est pas encore
remplie. Il est mort là aussi un Mr Rungius, Professeur en
Belles Lettres.
A Monsieur
Monsieur Turretin (J. Alphonse) Pasteur &
Professeur en Theol. & en Hist. Ecclésiastique
A Genéve