Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 20 juillet 1720

A Groningue ce 20 Juillet 1720.

Je vous écrivis au long, Monsieur, il y a quinze ou vingt jours. Vôtre lettre du 5 de ce
mois, que j’ai reçuë il y a deux jours, m’oblige à vous écrire encore aujourdhui, pour vous
témoigner combien je suis mortifié d’apprendre que vous avez été depuis deux ou trois mois
dans un tel état fâcheux, par un redoublement violent de vos indispositions ordinaires. Si le Ciel
exauçoit les priéres de vos Amis, vôtre Santé, bien loin d’empirer, deviendroit meilleure de plus
en plus. Mais puis qu’il lui plaît d’exercer vôtre patience, & de donner lieu à faire paroître
vôtre constance & vôtre résignation, il faut le soumettre à sa volonté. Je ne cesse pourtant de
faire des vœux ardens, pour qu’une santé, sinon parfaite, du moins supportable, vous
mette en état d’édifier vos Amis & le Public d’une autre maniére. Je suis bien aise
d’apprendre que vôtre Nubes testium (dont je vous remerciai dans ma derniére lettre) aît été
bien reçuë en Allemagne. Je souhaitte qu’elle fasse par tout le même effet. Je ne saurois vous
dire quelle impression elle a faite sur les Orthodoxes de ce païs, avec qui je n’ai ni ne veux
avoir aucune rélation, de la maniére que j’apprends qu’ils sont disposez.

Je crois que j’oubliai de vous parler, dans ma précédente, d’une Piéce de Mr Burman,
Professeur en Belles lettres à Leide; laquelle a fait du bruit, & est curieuse en son genre. C’est une
Harangue, qu’il fit, le mois de Février passé, en quittant le Rectorat. Elle est intitulée, In Huma=
nitatis studia
, & est toute ironique d’un bout à l’autre. En faisant semblant de décrier l’étude des
Humanitez, il fait une Satyre fort vive de ceux qui s’attachent aux autres Sciences: mais sur
tout les Théologiens y sont fort maltraitez. On pourroit lui savoir bon gré de sa hardiesse, si
elle ne venoit d’un esprit mordant & satyrique, qui fait le caractére dominant de ce Professeur; &
s’il n’outroit les choses, en méprisant toutes les autres Sciences, pour relever l’étude du Grec &
du Latin, & des Antiquitez. Car il s’est encore expliqué là-dessus dans sa Préface sur l’Edition
de Quintilien, qu’il a publiée sur la fin de l’année passée; & où il fait voir l’incertitude de
1 mot dommage les autres Sciences, en comparaison de l’Eloquence, qui seule, indubitata artis suae principia &
inventa & perfecta esse, gloriari possit. Quoi qu’il en soit, cela a donné occasion à un Théologien,
1 mot dommage1 mot biffure dans une occasion toute semblable, une Harangue, où il réfute tacitement Mr
1 mot dommge en prenant le même tour ironique. Celle-ci est intitulée, Pro Humanitatis Audiis, & est
1 mot dommage Mr Schultens, Professeur à Franequer, qui publia il y a quelques annèes des Remarques
tirées de l’Arabe, pour expliquer Job. L’Auteur n’oublie rien pour rendre odieux les Humanistes,
comme des gens qui ne se soucient point de Religion. Son stile est horriblement diffus, & plein de
phrases recherchées; au lieu que celui de Burman est vif & agréable. La Harangue
de Burman n’a que 61 pages in 4° au lieu que celle de Schultens en a 126. d’un
caractére tant sois peu plus gros. La prémiére a été déja traduite en Flamand, une seconde
fois, sous la direction de Mr Burman, qui n’étoit pas content de la prémiére traduction. Il est
actuellement occupé à son Edition d’Ovide, qui est depuis long tems sous la presse, cum Notis Variorum.

On rimprime à Amsterdam une Hist. de France en 3. voll. in 12° écrite par le P.
Châlons, de l’Oratoire, sous la direction de feu Mr de Harlai, prémier Président au Parlement
de Paris. On dit qu’il y régne beaucoup de modération à l’égard des Protestans; & qu’elle est
curieuse en ce que l’Auteur s’attache à marquer l’origine des Coutumes, des Usages, des Loix,
des Dignitez, des Libertez de l’Eglise Gallicane &c. La Bibliothéque Germanique, de Mrs de
Berlin, est enfin commencée d’imprimer.

Je prens la liberté de joindre ici un mot, pour un Anglois, dont je vous ai parlé, qui
a demeuré chez moi, & qui doit être, ou sera bien près d’être à Genéve, quand vous
recevrez celle-ci, selon ce qu’il m’a écrit de Luneville. Je renouvelle encore
mes vœux pour le rétablissement de vôtre santé; ma femme vous assûre de la part qu’elle
prend à tout ce qui vous regarde; & elle & moi assûrons de nos respects Madame
Turrettin; nous embrassons aussi vos chers Enfans, & souhaittons que vous en aiyez
toute la satisfaction que vous avez lieu de vous promettre. Je suis avec mes sentimens
ordinaires, les plus vifs & les plus sincéres, Monsieur, Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin (J. Alphonse) 
Pasteur & Professeur en Theologie & en 
Hist: Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 20 juillet 1720, cote BGE Ms. fr. 484, f. 226. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/988/, version du 10.02.2024.
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