Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 13 janvier 1720

A Groningue ce 13 Janvier 1720.

Je commence, Monsieur, par renouveller dans ce commencement d’année les vœux
que je fais tous les jours pour vôtre conservation & pour celle de Madame vôtre Epouse
et de vôtre aimable famille. Après cela, je vous dirai, que je suis fort en peine sur
vôtre compte, n’aiant appris depuis fort long tems aucune nouvelles de vous, ni directe=
ment, ni indirectement. Je vous écrivis vers le mois d’Août, si je ne me trompe, de
l’année passée, & je vous aurois depuis récrit, pour vous demander de vos nouvelles,
si diverses choses ne m’en avoient empêché. Les fiévres, qui ont regné ici l’Automne
passée, par une suite des chaleurs excessives de l’Eté, s’étoient si fort emparées de ma
maison, qu’à peine en sommes nous délivrez. Tout en a été attaqué, à la réserve de
ma Femme; & nos Enfans en ont eu encore depuis peu quelque ressentiment. C’étoient
des fiévres tierces: mais moi je l’eus quarte, & par cette raison je craignois qu’elle
ne fût de durée, en étant attaqué vers l’entrée de l’hyver; cependant, graces à Dieu,
j’en fus quitte pour quelques accès, & je me traitai moi-même, sans me hazarder
à appeller aucun des Medecins de ce païs, qui auroient trouvé moien de me faire durer
ma fiévre tout l’hyver, comme je le vois par quantité d’exemples. La derniére
Gazette d’Amsterdam nous parle de certaines fiévres malignes & fort extraordinaires, qui
ont cours à Lausanne: cela me met en peine pour nos Amis, d’autant plus que
je n’en ai aucune nouvelle, je ne sai pourquoi, depuis aussi long tems, que de vous.
Je me souviens que j’écrivis à Mrs de Crouza & Polier, par la même poste,
que je vous ai écrit à vous-mêmes la derniére fois. Aiez la bonté de leur
témoigner mon inquétude à cet égard.

Mon Edition Latine de Grotius est enfin achevée: Mr de la Motte n’attend
qu’une occasion pour vous en envoyer de ma part un exemplaire, & j’espére qu’il
ne tardera pas à la trouver, si elle ne s’est déja présentée. Il est survênu un
Libraire, qui doit imprimer le grand ouvrage de ma Traduction, un contretems, qui est
cause que l’impression n’est pas encore commencée, comme il auroit pû la commencer
il y a plusieurs mois, s’il n’avoit tenu qu’à moi. Mais on me fait esperer que
bientôt la presse roulera, le Libraire aiant gagné provisionnellement le procès considérable
dont il s’agit, en sorte qu’il croit avoir bien tôt une pleine & entiére victoire. Cepen=
dant je revois tout doucement mon Ouvrage, & j’en serai moins pressé, quand il
faudra toutes les semaines fournir de la Copie aux Imprimeurs.

Vous aurez apparemment reçû le grand Ouvrage du P. de Montfaucon, sur
l’Antiquité: on l’a déja à Amsterdam, & j’attens bien tôt de Paris mon exemplaire.
La nouvelle Edition de la Logique de Mr de Crouza est presque achevée; on en
est à l’Index. Le IV. Tome du Spectateur va aussi paroître. Nous aurons deux
Bibliothéques Angloises, au lieu d’une. Celui qui a fait le 6. volume, & que je ne
connais point encore, n’a pas mal débutté, ce me semble: & je croiois, sur sa parole,
que Mr de la Roche avoit abandonné cet Ouvrage; cependant celui-ci vient de publier, qu’il
le continuera sous le tître de Mémoires Literaires de la G. Bretagne, qui s’imprimeront
à la Haie, & non pas à Amsterdam, où la Bibl. Angl. du nouvel Auteur demeure
<1v> chez l’ancien Libraire. Je ne sai si vous avez vû le Nouveau Journal, que Du
Sauzet avoit entrepris, sur un autre plan, que ses Nouvelles literaires, mais sous le même
Titre. Mr Van Effen, Hollandois, & principal Auteur du Journal Literaire de la Haie, qu’il
faisoit tout seul en dernier lieu, aussi bien que le Misanthrope, la Bagatelle &c. Ce Mr, dis-je,
avoit promis au Libraire de lui fournir les principaux Extraits: mais dans le tems qu’il fallut
commencer, il fut obligé d’aller en Suéde, d’où il est présentement de retour, pour aller à Paris,
où il a trouvé quelque bonne condition. Du Sauzet se voiant frustré de ses espérances, &
ne voulant pourtant pas abandonner entiérement son projet, s’adressa, en attendant mieux, à
Du Limiers, mais en exigeant de lui, qu’il se garderoit bien de se dire en aucune maniére
l’Auteur du nouveau Journal. Celui-ci n’a pas tenu parole; & le Libraire, qui s’est
apperçu par le débit, que cela lui faisoit du tort, l’a remercié; de sorte que, dès le commencement
de cette année, Du Limiers n’aura plus de part à ce Journal, à moins qu’il ne s’agisse de
l’Extrait de quelque Livre peu considérable, & au défaut de tout autre, qui fournisse au
Libraire des Extraits, autant qu’il lui en faut pour remplir les 12 feuilles. Il y a dans
les mois de Juillet, Août, Sept. une vie impertinente & scandaleuse de Spinoza.

J’attens d’Amsterdam les Livres suivans, qui viennent de sortir de dessous la presse: l’Optique
de Mr Newton, traduite par Mr Coste: le Poggiana de Mr Lenfant: les Sermons
de l’Evêque de Bangor, traduits, en forme de Traité suivi, sous le tître du Moyen de
plairre à Dieu Sous l’Evangile
. On a rimprimé la Bruyére, avec les Suites d’autres
Auteurs, & la défense de cet Auteur, par Mr Coste, qui l’a retouchée & augmentée dans
cette nouvelle Edition. Il paroît une nouvelle Edition de Velléïus Paterculus, par les
soins de Buriman, qui y a joint des Notes anecdotes de Nic. Heinsius. Son Ovide & son
Quintilien, eum Notis Variorum
, ne sont pas encore achevez. Du Sauzet imprime en
2. voll. in octavo les Discours de Mr Saurin sur la Bible, dont le prémier volume in folio
paroît avec de très-belles planches, pour lesquelles l’Ouvrage a été composé. Je n’en ai rien
lû.

Je ne sai si vous avez vû la Lettre de Mr Dartis, toûjours brouillon, contre le
N. T. de Berlin. Mr Lenfant y a répondu, & j’attens cette piéce. Mr Dartis dans
la sienne se donne le tître du plus ancien & plus légitime Pasteur de Berlin; & il
finit en s’appliquant ces paroles de Jéremie: Ma Mére m’a engendré Enfant de quérelle.
Un peu auparavant, Mr Lenfant avoit fait impimer aussi à Berlin une Lettre du
même Dartis, avec sa Réponse, écrites l’une & l’autre il y a sept ou huit ans, à l’occasion
de quelques insinuations de Socianianisme, que Mr Dartis avoit voulu donner, sur un
Sermon de Mr Lenfant. Commes diverses personnes se trouvent intéressées dans ces
quérelles, on me mande que Mr de Beausobre, & Mr des Vignoles, font aussi imprimer
leurs Réponses, mais que Mr Dartis n’y sera pas autant ménagé, que dans celles de
Mr Lenfant. Voilà le sort de tous ceux qui voudront se mêler de donner des
explications de l’Ecriture & des idées de Religion plus raisonnables, que l’on n’en entend
dans les Sermons. Les Min. François des ces Provinces font tout ce qu’ils peuvent pour
décrier la Version de ces Mrs de Berlin; & il ne faut pas s’en étonner, puis que
leur zéle avoit déja éclatté avant qu’elle parût. Cela fait voir, que les Nouveaux
Traducteurs auroient dû user de moins de politique, qu’ils n’ont fait, puis qu’ils pouvoient
<2r> bien prévoir que tout cela ne serviroit de rien pour se mettre à l’abri de tout soupçon. Mr
Lenfant ne devoit pas, p. e. donner contre sa conscience tant d’éloges aux misérables Notes de Mr
Martin; & Mr de Beausobre, qui a traduit les Epîtres de S.t. Paul, auroit dû, dans le fameux
passage de Rom. VIII. 28. remarquer, de bonne foi, que les mots κατὰ πρόθεσιν peuvent se
rapporter aux appellez, aussi bien qu’à Dieu, puis qu’il avoit fait de semblables remarques en
mille endroits où la chose est de nulle importance. Le meilleur après tout, est d’aller son
grand chemin. Il y a un Min. François de Londres, nommé Barbeau, qui a aussi composé
quelques Lettres contre le N. T. de Berlin, & qui les a envoyées à Amsterdam, mais il n’a
point trouvé d’Imprimeur jusqu’ici. Elles sont adressées au même Mr Dartis.

On fait à Amsterdam une nouvelle Edition de Boileau in 12° qui sera très-belle,
à ce qu’on me mande. Il ne me vient plus rien dans l’esprit, que vous puissiez être
bien aise de savoir. Ainsi je vais finir, en vous conjurant encore une fois de me
donner de vos nouvelles d’une maniére ou d’autre. Ma femme vous saluë; elle
& moi assûrons de nos respects Madame Turretin, & embrassons vos aimables
Enfans. Je suis avec mes sentimens ordinaires,
Monsieur, Vôtre très-humble &
très-obèïssant serviteur

Barbeyrac

Mille complimens à tous nos
Amis en général.


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin (J. Alphonse)
Pasteur & Professeur en Théologie
& en Histoire
 Ecclèsiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 13 janvier 1720, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 220-221. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/985/, version du 10.02.2024.
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