Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 05 août 1719

A Groningue ce 5 Août 1719.

Je n’ai garde, Monsieur, de me plaindre de ce que vous m’écrivez rarement: je suis seulement
fâché de ce que vôtre peu de santé vous en empêche. Cependant, comme rien ne me
fait plus de plaisir, que d’apprendre de vos nouvelles, aiez la bonté de m’en donner aussi
souvent que vous le pourrez sans vous incommoder. Je n’aurois pourtant pas attendu
d’en recevoir, pour vous écrire, si j’avois eu quelques nouvelles literaires, ou autre nouvelle
considérable, à vous mander.

J’ai reçû il y a une quinzaine de jours, le 3. Tome de Pagi, que vous avez eu la
bonté de m’envoier. Je vous rends mille graces de cette nouvelle marque de vôtre amitié &
de vôtre générosité. Je vous suis aussi infiniment obligé de tant de mouvemens que vous
vous êtes donnez pour me procurer la Jurispr. Papin. d’A. Faber. Mon dessin étoit seule=
ment, qu’au cas que par hazard ce livre se présentât à vous, vous eussiez la bonté de le
retenir, à cause de sa rareté; & les recherches inutiles, que vous avez faites, servent à
m’excuser de la liberté que je pris de vous en parler. Peut-être trouverai-je quelque
jour ici ce Livre dans quelque auction.

Je suis ravi d’apprendre par vôtre Lettre, & par celles de Mrs de Crouza & Polier
le bon état des affaires de l’Acad. de Lausanne, 1 mot biffure malgré la terrible visite, qui
contre l’intention de leurs Ennemis, semble tourner désormais à l’avantage de la bonne
cause. On m’a dit que la Lettre de l’Archevêque de Canterbury à l’Antistes
de Zurich n’est pas du même caractére, que celles qu’il vous a écrites, & à Messieurs de
Berne, aussi bien qu’à Mr Le Clerc. Mr Haliday n’est nullement content de
ce Prélat, qui, à ce qu’il dit, Tolérant en un sens, est fort Intolérant sur d’autres
choses. C’est ce qu’il m’a dit lui-même; car j’ai eu le plaisir de l’avoir
chez moi quelques jours, & j’espére de le revoir encore, quand il repassera de Hanover,
où il est allé avec un Jeune Anglois, qu’il m’a mené pour demeurer chez
moi quelque tems. Nous n’avons pas manqué de boire à vôtre santé. Il vouloit même
vous écrire d’ici: mais il n’en eut pas le loisir, & il l’aura peut-être fait d’ailleurs.
Il me montra un MS. de sa façon, en forme d’Eloge de la République & l’Eglise
de Genéve, où il lui rend bien justice, & il témoigne en particulier les justes sentimens
où il est à vôtre égard. Il m’a appris, le tenant de Mr Le Clerc, que Mr
Cromelin a eu la Chaire de Professeur en Belles Lettres.

Je m’imagine que vous voiez à Genéve la Bibliotheca Historica Theolog. qui se
fait à Brême, dont je vous ai parlé autrefois, & dont une des parties est dédiée à Mr Pictet,
& les autres presque toutes à ce qu’il y a de plus Orthodoxe dans les Eglises & les Acad. Reformées.
Vous y aurez remarqué, un dans les Nouvelles Literaires, une rélation maligne des affaires
de l’Acad. de Lausanne, c’est-à-dire, de l’état où elles étoient avant la visite. Les Auteurs
de cette Bibliothéque sont deux Pédants Archi-cocceïens. L’un d’eux, Mr de Hage,
a un Frére Jusrisconsulte, qui est là Professeur en Morale: celui-ci m’écrivit l’année
passée, en m’envoyant quelques piéces de sa façon, & me prioit de lui communiquer
ce que je pourrois avoir, qui pût entrer dans le plan de leur Journal. Je m’en excusai,
pour bonnes raisons: mais quand je lui fis sentir que, quand j’aurois quelque chose
à publier en ce genre, ce ne seroit pas un tel théatre que je choisirois; je lui
dis, que tout ce que je pouvois contribuer pour leur Journal, c’étoit de faire des vœux,
afin qu’il fût rempli de choses véritablement utiles pour la Piété & pour l’intelligence
de l’Ecriture: omissis omnibus cerebri Allegorici & mystici commentis, qui bres
<1v> ludibrium debetur hominibus de Religione malè soutientibus; ce sont, je crois, les termes
dont je me servis. J’envoie à Lausanne copie de l’article de cette Bibliothéque, qui regarde les
affaires de L’Acad. parce que je crois que là on ne connoît point ce Journal Théologique.

Vous aurez sû peut-être, qu’on imprime un Poggiana de Mr Lenfant, en 2.
petites voll. C’est un Ouvrage, que son Hist. du Concile de Bâle lui a donné occasion
de faire, & qui apparemment sera curieux. C’est lui qui a fait les deux Extraits de
son N.T. qui se trouvent dans les Mois de Mai & Juin du Journal des Sav. Edit. de
Hollande. Il paroît une nouvelle Edition du Dict. Anglois François de Boyer
in 4° corrigée avec beaucoup de soin, & augmentée. C’est Mr des Vaux qui s’est
donné cette peine. Les Nouvelles literaires de Du Sauzet ont fini: il ne les donnera
désormais que tous les trois mois, & sous une autre forme, c’est-à-dire, jointes à un
nouveau Journal, qu’il fera faire par Mr Van Effen, ci-devant seul Auteur du
Journal literaire, & Auteur aussi du Misanthrope, de la Bagatelle &c. On n’a pas
encore achevé, que je sâche, l’Edition des Nouv. Fables de Mr de la Motte, que les
Wetstein font à Amst. sur celle de Paris. Le VI. Tome du Spectateur est aussi
sous presse, aussi bien que la Trad. des Sermons de l’Evêque de Bangor, par
Mr Ricotier; & celle du Traité des Couleurs de Newton, par Mr Coste. Les
Annales de Mr Bânage, ne sont pas estimées des Connoisseurs: il écrit trop, &
va trop vite. Vous savez apparemment que le Livre des Antiq. Greq. & Rom. du
Pére de Montfaucon, va paroître, s’il ne paroît déja. J’ai envoyé à Paris mon
billet de Souscription, pour retirer mon Exemplaire. J’oubliois, au sujet de Mr
Lenfant, qu’on imprime à la Haie une nouvelle Edit. de sa Papesse Jeanne.
Voilà tout ce qui me vient dans l’esprit de Nouv. literaires, où il y aura peut-être
peu de chose de nouveau pour vous. Je voudrois être plus à portée de vous en
apprendre beaucoup. J’ajoûterai seulement ce qui me regarde, & que vous ne serez pas
fâché de savoir, c’est que j’ai enfin achevé mon Grotius. Je vais écrire au Libraire,
afin qu’il dispose tout pour l’impression. L’Edition Latine, dont je vous ai parlé, est
encore loin de sa fin, par la lenteur des Libraires, qui apparemment ont leurs raisons
pour laisser traîner cette Edition.

J’ai lû avec bien du plaisir vôtre Sermon sur le Jubilé &c. dont je vous
remercie beaucoup. Ma femme vous est bien obligée de vôtre souvenir, & à Madame
Turrettin, à qui nous présentons nos respects. J’espére que vôtre famille est en bonne
santé: je le souhaitte. J’apprens que vous avez Mr Barnaud chez vous, pour
Mr vôtre fils; c’est une bonne aquisition que vous avez faite, & je ne doute
pas que l’Eléve ne réponde à ses soins. Nos Enfans ont été malades à diverses
reprises depuis quelque tems, & ils ne sont pas encore tout-à-fait rétablis. Les grandes
& extraordinaires chaleurs qu’il fait encore ici, causent bien des maladies, & en causeront
sans doute davantage à l’entrée de l’hyver. Je suis, Monsieur, avec mes sentimens
ordinaires, Vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Theol. & en Histoire Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 05 août 1719, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 218-219. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/984/, version du 10.02.2024.
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