Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, [Groningue], 20 septembre 1718

20 septembre 1718.

Je suis confus, Monsieur, d’avoir tant tardé à vous écrire, depuis, vos deux derniéres lettres,
l’une du 19. Mai, l’autre du 21. Juin. Mais je vous prie d’être persuadé, que ce n’a point été par
négligence. J’ai été tantôt incommodé, tantôt distrait en diverses maniéres: & en un tems, j’atten=
dois de jour en jour la fin de l’affaire du Consensus, dont vous me parliez. Je voulois aussi pouvoir
vous féliciter de l’heureuse délivrance de Madame Turretin, qui, à ce qu’on me marquoît, devoit
bien tôt vous rendre pére d’un nouvel enfant. Je l’ai appris depuis hier seulement, & je ne
veux pas renvoyer plus loin à vous témoigner la joie que nous en avons, ma femme & moi: Nous
prions Dieu qu’il vous conserve cette aimable fille, pour être un jour vôtre joie, comme l’est
déja vôtre cher Fils, dont vous m’avez appris les progrès surprenans, qui lui ont attiré des
récompenses publiques. Je souhaitterois, que tous ces sujets de contentement ne fussent pas diminuez
par la continuation de vos incommoditez. On me mande, qu’elles ont été fréquentes cet
Eté. C’est apparemment un effet des grandes chaleurs, que nous avons ressenties jusques dans
nôtre Nord.

Je reçûs enfin, il y a quelques semaines, les Piéces faites à l’occasion du Consensus. Je me
mis d’abord à les lire, & j’en ai même lû quelques-unes la plume à la main, pour y corriger
bien des choses, qui ne pourroient être souffertes dans un Livre imprimé. Il y a non seulement un grand
nombre d’inexactitudes des Copistes, mais encore des Auteurs mêmes. Sur tout celles que Mr
Bergier a composées, sont d’une 1 mot biffure négligence extrême. Il faudroit les refondre, pour en
faire quelque chose de bien tourné. J’ai fait ce que j’ai pu: & j’ai ôté une infinité de
repetitions ennuyeuses, & de mauvaises expressions, autant que le papier l’a permis. Ce travail
m’ennuyoit: je le laissai-lâ, en attendant des nouvelles de Mr Polier, & sur tout en attendant
qu’on me marquât, qu’il y avoit un Libraire tout prêt à imprimer ce Recueil, comme on
me l’avoit fait esperer. Mais je n’ai encore eu là-dessus aucunes nouvelles; Mr de
la Motte, qui, à ce que je viens d’apprendre, est incommodé depuis plusieurs semaines, ne
m’a point écrit depuis long tems. Vous avez bien préjugé, que je ne dois point paroître pour Editeur
de ces Piéces. Je prendrai, dans la Préface, le personnage d’un Etranger, qui s’étant trouvé vers
vos quartiers dans le tems de l’affaire du Consensus, a eu la curiosité de ramasser les Piéces faites
à cette occasion; & je datterai cette Préface de Londres, pour dépaïser les Lecteurs. Si j’ai
loisir, je pourrai y faire voir, en peu de mots, ce qu’on n’a point touché, Que les
Souverains n’ont aucun droit d’exiger aucune signature, à moins qu’ils ne le fassent
avec cette clause, Quatenus Scriptura consentit; auquel cas la signature est inutile, & ne
contentera jamais les Orthodoxes présomtueux & persécuteurs: mais qu’au contraire les Souverains
ont droit de réprimer ces Théologiens à formules, qui veulent s’attribuer par là une
autorité plus grande, que celles des souverain Magistrats. Au reste, voici une Note que j’ai mise
à l’endroit où il est parlé de la Formula concordiæ, & dont vous m’avez parlé, comme aiant besoin de quelque
supplément. «Mrs de l’Acad. de Lausane font grace ici aux Théologiens de Berne, de diverses choses dont ils
auroient pû tirer avantage. Le pricipal Auteur & Promoteur de la Form. Conc. fut ce furieux & enragé
Théologien, Jacques André Smidlin. A son instigation, & à celle de quelques autres Théologiens rigides,
l’Electeur Auguste, animé contre les Théologiens de Wittenberg, qui suivoient, sur la matiére de
l’Eucharistie, le sentiment de Melanchton qui étoit le même que celui de Zwingle & de Calvin;
cet Electeur, dis-je, fit assembler à Torgau, en 1574 quinze Théologiens, qui dressérent la
premiére ébauche de cette Formula concordiæ. Et comme les Théologiens de Wittenberg refusérent de
la signer, ils furent mis en prison, dépouillez de leurs charges, & enfin bannis de toute la Saxe
Electorale & ducale. Outre ces Théologiens, qui étoient au nombre de quatre, deux autres Professeurs
en d’autres Sciences eurent à essuyer la persécution pour le même sujet; savoir Gaspar Peucer,
Gendre de Melanchton, & Esrom Rudinger, Gendre du celebre Joachim Camerarius. Deux Gendres de
Peucer, qui étoient dans la même Académie, se démirent eux-mêmes de leur Emploi. Après cela
<1v> on pensa à faire recevoir la For. 1 mot illisible de toutes les Eglises Lutheriennes. Il y eut une autre Assemblée à
Torgau en 1576 où le principal Tenant fut toûjours ce fougueux Jaq. André Smidlin, qui avoit écrit
un Livre sous ce titre: Calvinianismum viam aperire Arianismo & Mahometismo; & qui n’épargnoit pas
même ceux de son parti, comme il paroît par ce qu’il dit dans une Lettre, au sujet de Flaccius Illyricus,
qui venoit de mourir Quem non dubito nunc cum omnibus Diabolis cœnare &c. L’année suivante
1577. on retoucha la Formule, qui fut publiée en 1580. Mais & avant, & après sa publication,
plusieurs Princes Luthériens, plusieurs Villes Libres, & plusieurs Théologiens, refusérent de la signer. Ainsi
rien n’est plus vrai, que ce que Mrs de Lausanne ont avancé dans leur Mémoire, Que la Formule de
Concorde fut une source de discorde; quoi qu’en puissent dire les Theologiens de Berne, qui ne paroi=
ssent pas fort bien instruits sur ce point d’histoire, mais qui apparemment ne seroient pas fâchez
que LL.EE. en usâssent à l’égard de l’Académie de Lausanne, comme fit l’Electeur Auguste
envers les Théologiens de Wittenberg. Dî meliora piis, erroremque hostibus illum!»

Je ne sai si vous avez vû une espéce de nouveau Journal Théologique, qui se fait à Brémen depuis
le commencement de cette année, & dont il a paru quatre Fasciculus, sous ce titre: Bibliotheca Historico-Theo=
logico-Critica
. Vous en avez du moins pû voir le plan dans l’Hist. Critique de M. Masson. Il y a
bien du fatras, parmi quelques bonnes choses; & vous ne vous en étonnerez pas, quand vous saurez que ce
sont des Coccèiens, qui président à ce Recueil. Ils ont eu pourtant assez de jugement 4-5 mots biffure
1 mot biffure pour inserer dans le 3. fasciculus vos Cogitationes de Variis Theolog. capp. (ne inster folio=
rum Sibylle dispersa mox pareant
, disent-ils.) Ils les louent comme sese comendantes, cum brevitates, tum
rerum ponderes, & limatum exasciatumque præstantissimi Auctoris judicium ubique arguentes
. Tout le
monde conviendra de cela avec eux: mais ces Pensèes sont si fort éloignées de leur goût & de leurs
idées, qu’on soupçonnera qu’ils n’en ont pas bien compris tout le sens.

Mr de la Motte m’apprit: il y a quelques mois, qu’un Libraire d’Amsterdam devoit avoir une
Copie complette de vôtre Abrégé d’Hist. Ecclésiastique, qu’il ne manqueroit pas d’imprimer. Il me disoit
aussi, qu’un Libraire se disposoit à rimprimer en un volume toutes vos dissertations, si vous vouliez bien les
lui fournir 1 mot biffure revuës 1 mot biffure par vous. 1 mot biffure On m’assûroit même, que Mr Le Clerc vous avoit écrit pour
cela. Cependant je n’en ai plus entendu parler. J’espére qu’il ne tiendra pas à vous, que ce projet
ne s’exécute; vous ne sauriez rien faire de plus utile pour ce païs, où la Théologie dominante est
fort crasseuse, & les Théologiens en credit aussi peu judicieux, 1-2 mots biffure que modérez. Il y a
eu une grande dispute, qui n’est pas encore finie, entre nôtre prémier Prof. en Théologie, Mr
Driessen, grand Coccéïen, & un autre Prof. en Théologie à Leide, Mr Van den Honert, à l’occasion de
Mr Wittichius, que l’on vouloit appeller ici pour Prof. en Pphie & en Mathématiques. Cependant
le bon est, que Mr Wittichius en a profité; cela lui a valu la succession de Mr Bernard:
est on n’auroit peut-être point pensé à l’appeller à Leide, sans cette quérelle, qui lui a procuré
des Amis. Je ne voudrois pourtant pas jurer, qu’il n’y eût quelque grain de Spinozisme
dans la Dissertation de Mr Wittichius, qui a été le fondement du procès. On voit de part & d’autre
beaucoup de passion: mal attaqué, mal défendu. C’est à quoi aboutissent ordinairement ces
sortes de disputes; entreprises 3 mots biffurepour la plûpart pas d’autres motifs, que celui de l’amour de la Vérité.

Cela me fait souvenir d’un Livre qui s’imprime à Paris contre moi, s’il n’est déja
imprimé. On doit me l’envoyer au plûtôt. Il a pour titre, Apologie des Sts Péres contre Mr
Barb.
 & il est in 4°. L’Auteur en est un Benedictin 1 mot biffure de la Congregation de S.t
Vannes
. Je verrai ce que j’aurai à faire, quand je l’aurai lû. Je ne pense pas qu’il de=
mande une longue réponse, à moins que cela ne me donnât occasion de dire des choses utiles
par rapport au Public. Je crois avoir prevenu dans ma Préface sur Pufendorf, qui est l’occa=
sion de l’Apologie, tout ce que l’on peut dire de raisonnable contre un Protestant, qui suit exacte=
ment les principes de la Réformation. Peut-être aurez-vous déja vû ce Livre; & en ce cas, je vous prie
de m’en dire vôtre sentiment.

Vous aurez sû que l’affaire de l’introduction des nouveaux Psaumes dans ces Provinces, est
toûjours accrochée. L’opposition de quelque peu de Ministres, surtout de ceux d’Amsterdam, les
plus ignorans & les plus méprisez, a plus de force que les instances des trois & quarts & demi des
<2r> Eglises: tant il est vrai, qu’on a de la peine à parer aux Cabales des Gens d’Eglise & à faire
revenir les gens des vieux préjugez.

Je travaille à une nouvelle Edition de Grotius, de Jure B. ac Pacis, qui est commencée depuis
quelques mois. Vous jugerez de cette Edition, par le titre qui sera ainsi conçû: Editionem, omnium quae
hactenus prodierunt, emendatissimam, ad fidem priorum & optimarum Editionum recensuit: loca
pleraque Auctorum laudatorum distinctius designavit: innumeros in illis errores Sustulit aut indi=
cavit: Notulas denique addidit J. B
.
Ces petites Notes seront presque toutes critiques, ou bien pour
indiquer en un mot les principaux endroits où je crois que Grotius se trompe, & renvoyer là-des=
sus ou à mon Pufendorf, ou aux Notes Françoises sur ma Traduction. Je n’ai pas encore trouvé
du tems pour achever ce dernier Ouvrage: mais j’espére de prendre mes mesures, pour faire
commencer l’impression vers le Printems prochain, s’il plaît à Dieu. J’ai refusé de conti=
nuer la République des Lettres de Mr Bernard, quoi que ce fût une occupation qui ne
me déplairroit pas, & d’ailleurs assez bien recompensée par les 1 mot effacement qui m’en firent
la proposition aussi tôt que Mr Bernard fût mort. Mr du Limiers a soûlevé ciel &
terre, pour se faire accepter: mais jusqu’ici il n’a point réussi.

Pardon, Monsieur, si j’ai tant tardé à vous envoyer, comme vous le souhaittiez
une liste des meilleures Editions des Auteurs Latins. J’y joindrai une autrefois les Grecs,
si 2-3 mot biffure cela vous fait plaisir: quoi que vous en aiyez peut-être dans vôtre
Bibliothéque plus d’éditions, & de meilleures, que je n’ai eu occasion d’en connaître.

J’aurai beaucoup de plaisir à voir Mr Lullin, dans nos quartiers, en quel tems
que ce soit. On me mande, qu’il a pris avec lui une Copie de toutes les Piéces
faites à l’occasion du Consensus.

Ma femme vous saluë très humblement, & elle & moi faisons milles vœux 
pour la santé de Madame Turretin, pour celle de vôtre famille, & surtout pour
la vôtre. Vous connoissez tous les Amis, à qui je souhaitte de faire des complimens.
Je suis avec les sentimens ordinairs, Monsieur, Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Theologie & en Hist. Ecclesiastique

2 mots biffure A Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, [Groningue], 20 septembre 1718, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 216-217. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/983/, version du 10.02.2024.
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