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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lyon, 12 juin 1717
A Lyon, ce 12 Juin 1717.
En arrivant ici, Monsieur, j’ai trouvé vôtre lettre, que Mr Vernet venoit de recevoir.
J’y ai vû, avec chagrin, que dans le tems que vous m’écriviez, vous aviez quelque
atteinte de vôtre oppression. Ma femme & moi en sommes d’autant plus mortifiez, que nous
craignons d’avoir contribué à vôtre incommodité, par l’embarras & la peine que nous vous
avons causée, pendant nôtre séjour chez vous. Si les vœux que nous faisons pour vôtre
soulagement & vôtre rétablissement entier, étoient exaucez, vous ne seriez jamais plus exposé
à être incommodé de l’empressement avec lequel vous vous tremoussez perpétuellement pour
faire plaisir à vos Amis, que vous recevez chez vous; & vous pourriez vous donner, non pas de
plus grands mouvemens, mais des mouvemens qui ne seroient point capables de déranger vôtre
santé. Nous voudrions pouvoir faire autre chose, que des vœux, pour vous témoigner nôtre
juste reconnoissance, & à Madame Turretin, pour tant d’honnêtetez, dont vous nous avez
comblez: mais nous espérons que vous agréerez & que vous accepterez nôtre bonne volonté, en
attendant que nous soiyons assez heureux pour trouver quelque occasion de vous la témoigner
par des effets. Nous sommes arrivez en bonne santé, mais non pas sans avoir été bien
fatiguez. Il n’y a rien de plus incommode, que le Coche de Seyssel, que des & je ne crois
pas que cette Voiture s’accrédite beaucoup, si on n’y met meilleur ordre. La moitié de la
Chambre étoit pleine de marchandises; & le nombre des gens, qu’on prenoit par tout, si grand,
que nous avons pensé étouffer de chaud; pour ne rien dire des mauvais gîtes, que nous
avons eus. Quand on ouvrit nos Malles à la Douane de Lyon, le commis faisoit mine
d’abord de vouloir arrêter les deux Exemplaires de vos derniéres Théses; 1 mot biffure sur ce
prétexte, qu’on avoit, disoit-il, donné ordre de ne point laisser passer de Livres de
cette nature. Mais je lui dis, qu’il n’y avoit rien de suspect dans cette dissertations,
& que c’étoient deux exemplaires que je portois à Mrs les Abbez Bîgnon, & Le Grand et
on n’a rien retenu. Il fait grand chaud ici; & si le tems ne change, nous en
serons assez incommodez dans nôtre route de Paris, Nous n’aurions pas pû sortir pour
aller un peu loin, si Mr Vernet ne nous eût obligeamment fourni un Carrosse.
J’allai hier voir la Bibliothèque des Jésuites, qui est grande, belle, & bien placée. Mais
je ne puis pas m’informer de ce qu’il y a de plus curieux, parce que le Pére Colonia 1 mot biffure
se trouvant sorti du Couvent pour toute l’après dinée, je ne fus conduit que par un frére
Coupe-chou, qui ne sût me rendre raison de rien. Je vais faire porter mes
hardes à la Douane de la Diligence: ainsi il ne me reste du tems, que pour vous dire
adieu. Nous assûrons de nos respects Madame Turretin; & nos Enfans embrassent
tendrement Mr Marquet. Si nous avons oublié de répondre aux civilitez de quelcun de
Genéve, ayez la bonté d’en faire nos excuses dans l’occasion; & de saluer tous ceux qui ont
témoigné s’intéresser pour nous. Je ne nomme que Mrs Turretin, le Ministre & l’Avo=
cat, qui se sont donnez tant de peine pour nous. Adieu, Monsieur, je suis & serai
toute ma vie avec l’attachement & la reconnoissance la plus sincére, Vôtre très-humble
& très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
J’ai reçû le Manteau; c’est un nouveau sujet de remerciement
que j’ai à vous faire, La promtitude, avec laquelle vous m’avez fait
tenir ce manteau, a reparé l’imprudence de nôtre servante,
qui l’oublia; & malgré le chaud qu’il fait, il pourra m’être
d’usage quelquefois dans le reste de nôtre route.
A Monsieur
Monsieur Turretin, Professeur en
Théologie & en Hist: Ecclésiastique
A Genéve