Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 29 octobre 1715

A Lausanne ce 29 Octobre 1715.

Hier, Monsieur, après avoir pris congé de Mrs vos Cousins, je reçûs la lettre Anonyme, que
je vous envoie, & sur laquelle je vous demande vos avis. Je suis fort supris de ce qu’on s’adresse à
moi pour l’affaire dont il est question, & quelque désir que j’aie de pouvoir contribuer à rétablir
en France la liberté de Conscience, ou pleine & entiére, ou du moins assez grande pour mettre à
l’abri des persécutions; je ne me sens point en état de le faire, & je ne vois pas même de quelle
maniére on pourroit exécuter le projet dont on me parle. Il faudrait savoir exactement les
dispositions de la Cour, les tems favorables d’agir, & le moien de faire parvenir au Régent
le Mémoire. Ces pauvres gens se flattent d’ailleurs mal-à-propos, que celui qui est à la tête
du Conseil de Conscience, pour avoir été persécuté, en soit plus favorable aux Protestans persécutez.
La conformité des sentimens sur la Grace avec la Confessions de foi des Calvinistes n’empêche pas
que les Jansénistes ne soient ailleurs aussi bons Catholiques, que les autres, & par conséquent aussi
Ennemis des Protestans: & le Non ignara mali, miseris succurrere disco, ne fait pas beau=
coup d’impression sur les Ecclésiastiques. Nos Ministres de France les l’ont bien fait voir, puis
que, dans le Réfuge même, ils se sont persécutez les uns les autres, & ont persécuté, quand ils
ont pû, à leur maniére & selon leur pouvoir, tous ceux qui n’étoient pas de leur sentiment sur
certains 1 mot biffure articles. Je ne vois pas trop bien d’ailleurs ce que veulent ceux qui
m’ont fait écrire la lettre incluse. D’abord ils semblent se retrancher à demander une simple
tolérance, une exemtion de persécution: cependant ils parlent après cela de demander un exercice
public de Religion.

Je vous prie donc, Monsieur, de me dire ce que je dois répondre. Vous aurez la bonté aussi
de communiquer ceci à ceux de nos Amis que vous jugerez à propos, & de me marquer le plûtôt
que vous pouviez ce que vous et eux en penserez, afin que, par une promte rèponse, je témoigne
du moins à ces pauvres gens le désir que j’aurois de 1 mot biffure travailler pour eux, s’il
étoit possible.

Vous aurez sans doute reçû le Programme imprimé, que je vous renvoyai par la poste,
avec deux feuillets de mes Notes sur Grotius où il y a quelque chose qui se rapporte à la
matiére de la Lettre de Mr Leibnitz. Je vous souhaitte une bonne santé, soit à la
Ville, soit à la campagne, si vous y êtes encore, & suis toûjours très-sincérement, Monsieur,

Vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur en
Theologie & en 
Hist: Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 29 octobre 1715, cote BGE Ms. fr. 484, f. 191. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/966/, version du 10.02.2024.
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