,
Lettre à Henri Polier, Tsarskoïe Selo, 10 juin 1786
Tsarkoé-Sélo le 31e May / 10e Juin 1786.
Mon cher Polier!
Monsieur De la Grange qui vous remettra cette lettre a passé 18 ans
dans ce pays, et je l'y ai vû assez souvent depuis une année, parce
qu'il demeuroit chez un négociant espagnol dont je fréquente
beaucoup la maison. Come il passe en Angleterre et voyage
a petites journées ma lettre vous arrivera un peu tard,
mais n'importe pourvû quelle vous arrive.
Depuis mes dernières il ne s'est rien passé d'extraordinaire dans
ma situation, mais il pourroit s'ene passer dans quelque tems
que des choses qui pourroient du plus au moins avoir influence
sur elle. Voici le fait: Les mauvais principes d'Education
Le cadet demes Elêves dont je vous ai vanté l'excellent coeur, et les
talens, en même tems que je vous ai parlé de son extrême
pétulance, se trouve etre fort opiniâtre. Les Femes entre les
mains desquelles il a été lui ontavoientont procuré ce mauvais défaut
par en cédant perpétuellement à ses caprices. Lorsque les
homes ont été placés auprès delui, on a tâché, mais trop
foiblement de l'en corriger, et l'on a traité cette affaire
come une bagatelle dont l'age pourroit viendroit aisément à
bout. Depuis une année je n'ai cessé de faire des représen=
tations à ce sujet, et une grande partie des désagrémens
que j'ai essuyé et des prises que j'ai eues avec Son Sous-=
Gouverneur sont venues des mesures auxquelles j'avois recours
pour vaincre l'opiniatreté du petit bon home. Mais vous
savés 1 mot biffure mon bon ami! qu'un home de bien prêche souvent
dans le désert. Qu'est-il arrivé maintenant? a force
de pardonner au moment même, il est arrivé que l'Enfant
a crû chaque fois se tirer d'affaire en disant pardon, et lorsqu'on n'a
pas pardonné aussitôt il s'en est suivi des scênes fort déplai=
santes. Demandés pardon, lui disoit son Sous-Gouverneur, 1 mot biffure
et ce pardon gromelé en larmoyant n'etoit pas plutôt
<1v> proféré que'il n'etoit plus question de faire faire à l'Enfant
ce qu'il avoit refusé par opiniâtreté de faire. Vous pouvés
bien croire que cettes facon de faire façons de faire m'aont revolté, et que ce
n'a pas été sans raison que j'ai insisté sur ce que person=
ne ne se mêla de ma besogne que moi même. Inébran=
lâble dans mes principes, j'ai insisté sur une obéissance
promte, je n'ai écouté aucunes priéres, je n'ai été touché
par aucunes larmes, je n'ai été ébranlè par aucuns
cris; en un mot le pe l'Enfant a du faire ma volonté.
A la vérité vous ne pouvriés jamais imaginer quella
patience qu'une pareïlle conduite éxigeait, pour: c'est une
véritable galêre. Si le Sous gouverneur eut fait de même
de son côté et si mon Chef m'eut secondé avec vigueur, rien
n'eut été plus facile en suivant une telle méthode de dompter
pour toujours uncet Enfant, mais ces Messieurs ne sont
pas aussi extravaguament zêlés que moi. ils ne sont Le Sous G. est un finet qui cherche à faire sa cour,
pas
qui craint de se perdre par un moment de fermeté, et
qui espére peutêtre gâgner l'enfant par sdes caresses. Le
Mon chef est un home honete, mais foible, qui à force
d'avoir vêcu dans les à la Cour a acquis le même poli
qu'une pièce de monnoye qui court le monde, et qui
ayant appris peut être à ses dépends qu'il n'est pas bon d'être
ferme, et que toutes vérités ne sont pas bonnes à dire, craint
de combattre les principes d'après lesquels on voudroit
élever ces enfans, et n'ôse pas s'expliquer avec un
courage égal à la nature de la chose. Jusqu'ici
j'ai réussi, 1 mot biffure à l'aide d'une patience extrême et
d'un sang froid assez opposé à mon caractére impétueux,
à conserver encore auprès de cet enfant une espêce d'autho=
rité, <2r> et je la dois à ma fermeté inéxorable, et à
l'Expérience qu'il à faitte de ne pouvoir se soustraire
à ma volonté, et de ne pouvoir épuiser ma patience,
mais il n'est pas facile à un enfant de changer de
maniére d'agir la au moment ou il changera à faire
change de personne avec qui traiter. Coment en effet espérer
qu'il n'ait pas de caprices lorsqu'on pendant 2 ou 3 heures
lorsque peu auparavant lon lui a permis tous ceux auxqu'iels
il pouvoit se livrer? coment n'essayeroit-il pas de faire
sa volonté lorsqu'on l'a faitte jusques là? coment croiroit-il
douteroit-il de l'efficacité de ces mots je vous demande
pardon, lorsqu'ils lui ont toujours épargné le chagrin de
faire la v ce qu'on lui ordonnoit? coment sentiroit-il
la necessité de s'appliquer lorsqu'on ne la lui a jamais fait éprou=
ver, et come le mécontentement de sa conduite par des
privations assorties à son âge et à ses gouts? J'ai
la plus grande peine à fixer cet enfant pour un
quart d'heure, et si l'on retranchoit de ses leçons tous
les momens perdus par peut être qu'à peine une demie
heure auroit été employée utilement, et encore puis
je vous assurer que je suis le seul qui l'amêne à faire
quelque chose, son maitre 2 caractères biffure Grec ne pouvant malgré tout son mérite y
parvenir que rarement. Ce que j'avois prédit depuis
longtems comence maintenant à se réaliser. Croyant
que les peines dont on l'avoit menacé n'étoient nullement
si souvent absolument chimériques, cet Enfant cet
Enfant est devenu de jour en jour plus obstiné. SonLe
Sous-Gouverneur et quelques uns de ses menins ont
eû à essuyer ses boutâdes, et ce que vous auriés peine
<2v> à croire si je ne vous l'affirmois, il leur a même
donné des coups. C'étoit là sans doute le moment de le
reprimer par quelque chatiment appliqué sur le
champ; vous vous y attendés 3 caractères biffuresans doute; eh bien mon
ami! vous vous trompés: Pour la 100ème fois, on adit:
Si vous vous avisés jamais de récidiver vous serés puni
d'importance, et tout a été fini jusqu'à une nouvelle affaire.
Ne croyés pas au moins que je sois du nombre de ceux
qui se sont t ont été insultés et frapés par ce petit 4 caractères biffure,
non mon ami! je sj'aurois si bien restitué le coup que
la fantaisie en eut passé au petit bon home pour
l'avenir, je m'en suis expliqué hautement, même
auprès des parens, come du seul moyen de prévenir sembla=
ble chose à l'avenir. Une fois seulement son obstination
étant montrée au comble et ne voulant absolument point rester à sa table, je faïllis le lier à sa chaise.
et me Je me même fis apporter tout ce qu'il falloit pour l'éxécuter et
come ce fut sans me fâcher, et sans me départir de mon sang-froid,
il ne crut trouva point à propos, de persister plus longtems, et
il se soumit sans répliquer. Cette La fermeté et surtout
une démission résolution aussi promte que son caprice le déroutent
tout à fait, tandis que les sollicitations ne font que
l'irriter et entrainent des explications qui ne doi ne doivent
jamais avoir lieu lorsqu'il s'agit d'obeïssance, et compro=
mettent toujours l'authorité du supérieur, mais mon bon ami!
puis je espérer de conserver mon authorité seul et surtout
puis je et lorsqu'elle n'est point appuyée? 1 mot biffure Et quels
progrès peut-on espérer d'un enfant avec lequel il faut
ruser pendant chaque leçon pour surmonter son opinia=
treté, et qui ne sentant aucune obl nécessité de s'appli=
quer <3r> perd son tems sans qu'on puisse empécher qu'il
ne le perde? Il ne m'est pas possible mon bon ami
de vous détaïller davantage tous les vices essentiels
de cette de la Conduite dont on a usé et use encore à l'egard
de cet jeu Enfant. En vérité je le plains de tout mon coeur
pour l'amitié que je lui porte et que son bon coeur et
son honnêteté méritent, et je crains fort que lui même
et tous les autres nen souffrent un jour d'une condescendance
poussée aussi loin, et si étoi peu convenable.
Dans ces circonstances, mon bon ami! il est impossible
que je demeure dans le Silence, parce qu'on pourroit avec
raison m'accuser d'avoir connivé, lorsque j'avois tous les
jours les occasions d'étudier le caractére de l'Enfant, et
une vocation directe de dire comuniquer
mes observations à son sujet. Je l'ai fait
Jusqu'ici, mais verbalement j'ai rempli
ce devoir avec la plus stricte régularité, mais
je ne l'ai fait que verbalement; or il m'im=
porte de le faire par écrit, tant pour
le bien de la chose, que pour l'acquit de ma conscience, et
pour ma propre justification. Come je serai obligé de
combattre plusieurs idées admises, et de dire la vérité il
se pourroit peutêtre que je déplairai. A la vérité dje ferai
tout ce que la prudence éxige pour l'éviter, mais vous
savés qu'il n'y a des bornes, et ces bornes je ne les passerai
jamais, car je suis résolû de remplir mon devoir en home
de bien, et pour tous les trésors du monde je ne voudrois pas for=
faire à l'honneur et à la reputation d'honnête home.
<3v> Je suis donc préparé sur touts les futurs contingens.
Suis je écouté?, tant mieux, ne le suis je pas? j'aurai
fait mon devoir, et ce Sentiment m'en dédomagera, mais
come qu'il en soit, soyés bien convaincû qu'aussi longtems
que je serai moi, ce que ce même home que vous avés
aimé, aussi longtems aussi je mériterai votre amitié et
votre estime, même en sacrifiant même ma fortune
à mon devoir, car je suis déterminé à ne jamais être
une cheville ouvrière dans un ouvrage dangereux pour
le genre humain. En un mot mon ami les circonstances
ou je me trouvent sont un état de crise, dont la détermination
<4r> peut est dans la main de Dieu. Je serois bien fâché
je vous l'avoue que cette affaire tournat mal
mais come j'ai fait et ferai tout mon possible pour
combiner la prudence avec ce que dicte mole devoir, j'espére
aussi n'avoir aucuns reproches à me faire. si je ne Voilà
mon cher Polier ce que je vous écris ainsi qu'à Monod
en gde confidence. Bientôt vous verrés un bon ami et
compatriote qui vous donnera de mes nouvelles. pensés
à moi, aimés moi, et soyés bien assurré que quelque
chose qui m'arrive au monde je mériterai toujours que
vous m'appelliés votre ami. Dans quelques jours
probablement je remettrai ma représentation: je la fais
à loisir afin de la rendre appropriée aux circonstances.
Tout ce que je 3 caractères biffurevous dis ici, ne regarde pas l'ainé dont le caractére
est fort doux et tout différent, et avec tout celà, si javois
2 enfans à desirer, je les voudrois come ces 2 frères. que
j'e les aime de tout mon coeur, et come ils me le rendent un peu
je serois je vous assure bien fâché que les circonstances
m'en éloignassent. adieu adieu.
A Monsieur
Monsieur De Polier de Loÿs
chez Monsieur De Loÿs
A Lausanne.