Transcription

[Barbeyrac, Jean], Brouillon de lettre à Jean-Pierre de Crousaz, [Groningue], [29 février 1732]

Monsieur

Le projet de l'Ouvrage, qui m'occupe depuis quelques
années, & dont vous avez été instruit, m'auroit sans doute peut-être
fait trembler, comme il vous paroît propre à produire cet
effet, si d en le formant j'en eusse prévu toutes les
difficultez. Mais il y a quelquefois d'heureuses
téméritez; & il est peut-être bon qu'il y aît, quand on tente l'aventure, quand
il s'agit de choses que personne n' aavoit encore tentées entreprises. Si
l'on ne réussit pas tout-à-fait, entiérement on donne lieu au
moins 3 mots biffure à d'autres plus capables de penser à faire mieux;
& l'on a quelque droit d'exiger 1 mot biffure l'indulgence des Lecteurs
pour les défauts de l'exécution, où l'on n'avoit point
de guide. C'est-là tout ce que j'attens de mon
travail. J'en suis venu assez loin, dans la composition de pour ce qui regarde
la partie la plus ample & la plus difficile, pour m'être
fait à la fatigue, & pour esperer de venir à bout
du reste le mieux qu'il me sera possible. Environ Deux Siécles
& demi qui me restent jusqu'à Charlemagne, où finit
ma course, ne me paroissent presque rien à l'heure qu'il est, & en comparaison
de tant de Siécles que j'ai parcourrus, par où j'ai passé, depuis l'Antiquité
la plus reculée où j'ai pû penetrer. J'ai besoin pour cela
de la santé que vous me souhaittez; & je vous suis infiniment
obligé de la part que vous y prenez, & des voeux obligeans
que vous y joignez: Elle est bonne présentement, graces
à Dieu, malgré une rude secousse qu'elle reçut il y
a trois ans, & les 1 mot biffure par où j'ai passé depuis. & nonobstant
malgré l'état de solitude où il a plû à Dieu de me
mettre, contre lequel je n'ai d'autre ressource que le
plaisir de m'occuper; la Compagnie, que je puis avoir
ici, n'aiant pour moi presque d'autre agrément, que sa rareté.
Je suis ravi d'apprendre de bonnes nouvelles de vôtre
état. Les obstacles, que vous avez eû à surmonter,
ne me surprennent nullement. Il y a peu d'affaires humaines,
où l'on n'en trouve; & ce seroit grand merveille si dans
les Cours, païs si tumultueux, on en étoit exemt.
Sans
dans les Cours. Sans connoître par moi-même ce
païs, tumultueux, il y a , ce se me semble, assez d'expériences
qui prouvent que là pour l'ordinaire chacun ne sait croit sa
fortune bien établie, qu'autant qu'il peut ruiner ou
rabaisser celle des autres. Heureux ceux qui, comme vous,
<1v> savent s'y maintenir avec agrément, & triomphent
des vains efforts de l'envie. Mais je vous félicite
surtout, & je me félicite moi-même, de ce que, sans préjudice du grand but
de vôtre important Emploi, vous avez venez d'aquerir de recouvrer un
loisir, qui vous rend à la République des Lettres. Le
Prince, qui vous y avoit enlevé, étoit obligé en
bonne conscience à cette restitution: ses besoins
n'épuiseroient pas vos talens, ni vôtre activité; dont & il
étoit juste qu'il ne privat pas du laissat le superflu une infinité de gens tant d'autres
personnes
qui pouront peuvent en profiter. Je souhaitte de
tout mon coeur
que vous partagiez longtems vos soins entre
la Cour & le Public; & que désormais les années ne
donnent pas plus d'atteinte à vôtre santé, ni à celle
de Madame, qu'elles n'ont fait jusqu'ici. Je ne
manquerai pas à la premiere occasion de faire vos complimens à mes Collégues, &
à nos Magistrats, à la prémiére occasion. Le nombre des
prémiers est fort augmenté; nous sommes douze; Il y a
quatre professeurs en Théologie, & trois en Droit. La Medecine
seule reste en encore réduite à Mr Croeser. Le Professeur
en Phil. & en Math. est un Bernois, que vous avez peut être
connu, Mr Engelhart. Parmi lea Magistrasature il y a,
comme vous pouvez vous l'imaginer, des morts, & des changemens.
1 mot biffure Tous ceux que vous nommez, se portent bien, hors Mr
Schaey, qui a été dangereusement malade, & n'est peut être pas
encore entiérement hors d'affaires. Mr Laman est
devenu Bourguemaître depuis un an.

Mes enfans vous sont bien obligez, & à Madame,
de vôtre souvenir, & vous assûrent de leur très-humbles
respects. Je vous embrasse l'un & l'autre de tout
mon Coeur, & suis avec tout l'attachement & toute
la sincerite possible, &c

Etendue
intégrale
Citer comme
[Barbeyrac, Jean], Brouillon de lettre à Jean-Pierre de Crousaz, [Groningue], [29 février 1732], cote Koninklijke Bibliotheek, Den Haag, 121 E 3. Selon la transcription établie par Séverine Huguenin pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/951/, version du 28.06.2016.
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