Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 mars 1785

de paris le 6e mars 1785

je conte mon cher ami les jours de votre surcroit de tracas, et
voyant malgré cela que nous passons à peine la my carème, je
puis en attendant la lettre d'avis que vous m'avés promise répondre
à la votre derniere du 20 février.

comme je serois assurément un fort sot homme dans une république
et que pour ma commodité j'ay dès longtemps pensé quil étoit fort
difficile d'y être un fort habile homme et un fort honnête homme
en même temps, je m'imagine toujours vous voir en mouvement
forcé, quand je vous y scais quelque interèst majeur à débattre; il
est tout simple que je desire fortement de vous scavoir rentré dans
l'ordre accoutumé, qui vous est si doux et si agréable, parce que
vous l'êtes à tout ce dont vous êtes entouré.

j'ay fait part à la dame amie et compatriote de votre
attention, souvenir et bon conseil pour l'affaire de pailly.
elle m'a chargé de vous remercier comme de droit, et m'a
ajouté qu'elle n'avoit absolument aucune nouvelle de toute la
végétation à laquelle elle est depuis si longtemps garottée.
je luy dis toujours qu'elle devroit en avoir, et en effet elle y auroit
un fort intérest, eu égard à sa plus que médiocre fortune personnelle;
mais cest un point sur lequel il est imposable de fixer son attention
et ses desirs. personne au monde, je crois ne fut ny n'est une démons=
tration plus marquée de la prédomination du moral sur le phisique
dans certains points, comme celle du phisique car le moral, c'est
en tant d'autres. lopulence, la richesse même si lon veut sont
choses de fait, mais quand à l'aisance et jouissance des biens elle est
dans lame uniquement. cette dame a toujours dequoy gratifier,
faire tout avec aisance et noblesse ne songeant jamais à sa fortune
toujours à obliger, à servir, et cela je lay vu dans lage des succcès
<1v> et où elle n'avoit rien que des espérances, et des droits sur la carrière
du pont aux anes, où tout le monde court. touts ses soucis alors
touts ses soins étoient pour ses parents, touts pour eux ne se reservant
rien pour elle; eux passés, et sa soeur une fois placée, elle a toujours
paru à son aise, elle s'est sentie riche, égale à tout, au niveau de 
tout, ne tranchant sur rien, et toute autre avec ce quelle a, seroit
dans les maisons, une manière de suplicante, j'en ay vu de telles
avec noms, titres, et parentés tres notables et prochaines; et cette femme
cy, qui fait souvent du noir et qui alors est très portée à s'exagérer
ses désavantages, et la 1 mot biffure privation de toutes ces choses, quand à
ce qui est de la fortune est toujours l'indépendance même à cet
égard. je vous en parle avec plaisir, car vous l'aimés, elle vous aime
et moy qui quoyque un peu votre cadet qui vise au vénerable bien plus
rapidement; je l'honore encor plus que je ne l'aime, et puis nous nous
entretenons bien souvent de vous.

quand à votre necker, mon ami, l'on dit que sa fille épouse votre
pupille: en ce cas il ne doit pas avoir tort, si je reprenois son ouv=
rage en sous oeuvre, je ne serois pas embarassé de le démontrer le
plus méchant et le plus impudent livre, par les conséquences, qui se
soit fait sur ces matières; peutêtre en verrés vous quelque esquisse
d'analise, qui sans dire précisément cela, vous en démontreré tout
le danger. ce que je scay bien soit dit en passant à lhonneur de
lesprit de liberté qui règne dans les républiques; cest quil n'est livre
tant impie ou sale puisse til être, qui ne soit pour cela même
estampé à neufchatel ou à lausanne, et que si une fois la fille
ànecker a épousé le baron d'erlac, aucun d'eux n'oseroit imprimer
la critique sévère de l'oeuvre chérie du beau père.

je vous accorderay sans peine, que dans l'hypothèse où cet
homme auroit eu assès de tête, pour atteindre à travers les
sifflements de sa gloire blessée, six mois encore, et que le vieux
<2r> renard qui vouloit luy aprendre à prématurer. lindépendance
fut trépassé, selon les aparences, avec sa morgue, ses affectations
de désintéressement et d'indépendance, et ses plans doeconomie a
ramasser des épingles, il auroit eu le crédit prédominant; que dans
ce cas il auroit empèché bien des déprédations scandaleuses qui se
sont faites depuis et qui se feront par suitte; mais ce n'eut été
qu'une maladie lente, semblable au triste et chronique ministère
du cas de fleury. cet autre intronisa les financiers et avilit ainsy
le caratère de la nation, ne laissant pas un seul homme après luy,
et nul honneur, et plus rien qu'avilité et bassesse; celuy cy dont
le plan entier est d'introniser les banquiers, nous a touts rendu
agioteurs, et vous aussy n'en déplaise; il eut achevé de nous faire suivrerendre
la plus pauvre, inhumaine, et méprisable des nations. mieux nous
valent de beaucoup des maladies aigues, dont on reviendra peut
etre par un revirement en tout cas que les necker a
venir, attendent que je sois mort, jusques là ils ne feront
pas, sans contradiction passer leur vessies pour des
lanternes.

adieu mon cher amy, portés vous bien, et que dieu vous donne
à ces pâques la livrée des coeurs.


Enveloppe

à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 mars 1785, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/935/, version du 04.11.2024.
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