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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 28 avril 1785
de paris le 28 avril 1785
j'ay reçu mon cher et digne ami, votre lettre du 17. vous
ne pouviés mieux faire ma commission que vous ne l'avés
faite, et si vous scaviés les difficultés qu'il y a de faire de tels
envois en italie par toute autre voye, vous ne démentiriés
pas les conseils qui m'ont determiné à prendre cette voye.
il faudra s'il vous plait me faire tenir une note des frais
pour port et emballage, afin que j'acquite le tout.
ce Mr Rémondini est un vénitien fort riche qui a la plus
vaste et renommée tipographie. cet honnête homme désire
dexécuter une édition génerale de mes ouvrage que j'ay à coeur
de peur quun jour on ne me confonde avec dindignes successeurs
mais avant il faut que je fasse paroitre tout ce quil me reste
de manuscrits destinés à l'impression. un, qui est capital, est
soux une très lente presse; un autre très court, ne peut venir
qu'après, et la fin ce sont mes hommes à célébrer, qui ne sont
qu'un tissu de bavardages oéconomiques, mais qui font
connoitre des hommes ou des ouvrages prétieux. Les manuscrits
que vous avés envoyés en sont les commencements. vous avés
très bien fait de joindre ensemble les deux paquets; le reste
viendra à la suitte, mais donnera du temps. encore un coup
mon cher; je vous remercie de votre exactitude.
vous allés déménager et puis partir pour la côte je souhaite
que le ciel vous soit plus favorable qu'icy. la main de Dieu
<1v> est encore suspendue sur nous; un vent de nort desséchant
est imperturbable, a dévoré touts nos mare, qui sont en ce
paÿs, la plus indispensable moitié des récoltes puisque outre
que c'est la plus abondante et la plus variée, comme la première
en datte pour tout ce qui est légumes &c cest la moins transp=
ortable, et la plus impossible à remplacer par les secours
exterieurs. les fourages sont encor comme à noél, les grands
bleds souffrent, et tout semble près à périr. quelque prolongation
de ce fléau, pourroit faire justice de lespèce entière; nous voila
déja obligés à nous séparer des bestiaux, qui sont les compagnons
nécessaires de la vie humaine. au reste, tout cela ne fait rien à
l'agio, et aux beaux sistèmes de Mr neker au moyen de quoy cela
se dit icy, et puis on parle d'autre chose.
une suite néanmoins, de cet étrange dérangement des saisons,
la touche un peu davantage; cest lépidémie quil a répandue
sur cette bruyante ville d'où l'on part allègre et chantant; elle
a abrégé bien de jeunes fols, force mitoyens, et bon nombre
de vieux. jen tiens pour ma part depuis plus de 3 semaines, ma
portion de république interne ou catharre, qu'on veut enfin
renfermer. cela n'iroit pas trop bien à tout autre plaideurs, qui
va être jugé, mais comme me portant très bien lors de mon
grand arrèst de 1783 à un seul et unique rendés vous que me
donna mon raporteur, jenvoyay mon gendre avec mon avocat
et le soulageay de ma personne, j'aurois tort de me plaindre de
ma trop grande privation aujourd'huy. reste que quand à la
playdoyerie catharreuse qu'on ne scauroit faire par procureur,
je commence à gagner les incidents, et j'espère venir promptement
à bout du 1 mot écriture
mon fils dont vous me parlés est vrayement un militaire de
distinction. il vient de faire une course à versailles et icy, pour
faire réformer une nomination, qui mettoit le trouble et la désolation
<2r> dans son régiment, chose difficile avec touts supérieurs qui ont
tort, mais surtout ave les tètus. il a emporté toutes bonnes
assurances, et tandis que tout le corps sorti au devant de luy
à son retour, l'a emporté tout couvert de larmes de joye, il a
laissé icy la réputation de s'y être conduit le mieux possible. je
ne finirois pas à vous raconter les singularités que reunit cet
homme tant de choses contraires, et la discipline la plus sévère avec l'amour
frénétique de ses subordonnés mais ils conviennent touts que nul
homme, ne fut plus né pour commander. joignés cela avec la taille
courte de du guésclin, et la grosseur de guillaume le conquérant,
c'est sa devise, et l'humeur la plus gaillarde. cest un composé
bizarre, mais peu disponible pour soy et les autres.
mille tendres Respects, je vous en prie à toute votre chère
famille; on mande à Me de pailly qui vous embrasse touts, que
le printemps est délicieux au paÿs de vauds; envoyés le nous quand
vous n'en scaurés plus que faire, et n'oubliés pas votre féal.
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
à Berne Par Pontarlier