,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 31 août 1784
de parisParis le 31e aoust 1784
J'attendois avec impatience votre lettre mon cher amy; vous
m'en aviés ecrit une autre du 2 de ce mois que je n'oublie pas
mais comme la dame amie partoit au moment où je la reçus, et
que je contois bien sur le plaisir que vous feroit leur arrivee, et
que je vous ecrivois par eux une petite lettre, j'attendois celle cy
pour converser vrayment avec vous.
le plaisir de la dame amie en vous voyant a bien été reciproque
et je vous vois vous embrasser; elle me parle aussy de Mr votre
gendre qui est un très beau jeune homme qui me plait infiniment.
ce sont ses expressions. le voila qui bientôst se mettroit au lit, s'il
etoit chex les malabares; jespèrej'espère que Me de vatevilleWattenwyl qui achèvera
de laisser la coque de Melle marianneMarianne, s'en relevera plus fraiche et
plus belle que jamais. il ne tiendroit pt qu'a moy de luy mener Me
du saillantSaillant qui luy feroit voir qu'on ne maigrit pas pour avoir
fait quinze de ces sortes de parentheses, et en verité si j'avois l'argent
le temps, l'opportunité, et le congé des affaires, elle me le proposoit hyer
dans ma joye d'avoir la lettre de mon amy, me disant que bonetteBonnette
sa fille luy tiendroit lieu de femme de chambre. celle là du moins
qui épouseroit fort bien Mr et Me de Rolla et n'assortiroit pas mal
l'humeur avenante et jouissante de la maison, à travers quelque
gaucheries, feroit voir que 1 mot biffure[...] les femmes de parisParis ne sont pas toutes
des pingrenons à vapeurs, et la dignité douée et touchante de Me
de chandieuChandieu luy pardonneroit en faveur de la franchise, ou s'occuperoit
du bon homme de pere, qui scait bien encore discerner et sentir. tout cela
<1v> mon bon amy sont pour le present rèves de forçat qui est à la
chaine, et mieux vaudroit sans doute être aux petites maisons et s'y
croire comme celuy qui pensoit être préposé à touts les jours de noces
et qui disoit, l'été encor passe, cela n'excede pas mes forces, mais lhyverl'hyver
c'est trop, et voyés comme ils m'accomodent, que ne puis je ainsy penser
mon amy que je suis à bursinelBursinel où vous allés batir pour vos bambins
cestc'est là la difference, lhyverl'hyver sera temps de repos pour 1 mot biffure[...] ce genre
de fabrique,voila la difference tandis que je soupçonne quilqu'il nyn'y aura
guères de saison morte pour le travail de garnir votre nouveau corps
de logis.
ouy mon cher saconaySacconay les princes voyagent et se voyent, et se font voir
et nous voyent, et je ne scais si cestc'est pour le mieux de loin c'est quelque
chose dit le fabuliste &c. si vous voyiés comme moy jouer figaroFigaro
et le concours étonant pour cette farce scandaleuse au theatre, et
satirique, et qui n'est même pas gaye, car le vice partout ne lestl'est pas,
vous diriés peutêtrepeut-être que cela tient au gout des saturnales qui me
paroit predominant dans toute l'europeEurope. c'est le 1er spectacle où fut
le prince henryHenri, on dit quilqu'il nyn'y trouva pas le mot pour rire, en effet
si vous connoissés l'insolence de ce fouillis, vous jugeriés qu'un allemandAllemand
qui necessairement à toute sa vie pris le peuple pour un authomate
à sens commun, et qui voit tant deffronteried'effronterie prise pour esprit, et lexa=
menl'examen de conscience universel debité affirmativement par un valet 1 mot biffure[...]
le corps en avant sur le bord du theatre pendant 4 heures de suitte,
doit être un peu etourdy du bateau.
vous me dites d'excellentes choses mon cher amy sur le bien que font
les principes oéconomiques, il y a environ 17 ans que la douce amie
nous dit un jour, ce siecle est heureux que vous soyiés venus pour
<2r> edifier quelque chose, car le torrent universel sembloit tendre
à tout detruire par touts moyens: mais mon cher un vase excellent
cassé en deux ne vaut que pour tesson, une demie medecine est une
sorte de poison. loéconomiel'oéconomie naturelle, rurale, sociale et politique, ne fait
qu'un tout, mais ce tout a bien des branches qui papillotent et f aux
yeux et font fagot depuis longtemps; il falloit un travail opiniatre et
peutêtrepeut-être une sorte de genie pour faire ainsy le tour du monde moral et
lembrasserl'embrasser en un tout, mais il faut une étude suivie et docile pour se rendre
propres touts les resultats et jouer pour ainsy dire de linstrumentl'instrument oécon=
omique. touts lentreprennentl'entreprennent en grand ou en detail avant dend'en scavoir
seulement la gamme; les essais en ce genre prolongeront lepaissisementl'epaississement des
ténebres au lieu de les dissiper, et beaucoup feront la fricassée des filles
désond'Eson qui firent bouillir inutilement les membres dispersés de leur pere
dans lesperancel'espérance de le rajeunir.
quand vous irés à genèveGenève je vous prieray de vous souvenir de
ma commission concernant le sr l'yvernoyIvernois. adieu mon très cher je
vous embrasse et j'offre mes tendres Respects chex vous
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de SaconaiSacconay en son
Chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier