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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 18 décembre 1784
du bignon le 18e xbre 1784
j'ay reçu tard mon cher amy votre lettre du 30 9bre et comme
vous m'y marqués que vous partés le 16 du courant pour vous
retirer à berne, je vous aurois laissé le temps de respirer avant de
vous répondre, si Me de pailly n'avoit su par une lette de lausanne
que vous y aviés passé, et même eu l'attention d'envoyer scavoir si lon
avoit de ses nouvelles. une au
une autre raison me hate encor, cest la recommandation que vous
me faites pour une lettre adressée à Me des franges, et confiée à laditte
dame pour être remise en main propre. comme elle s'est trouvée referme
icy, ne voulant rien risquer sur cela, je lay adressée au sr poirée mien
secretaire resident à paris; mais l'adresse etoit simplement boulevard
st honoré, cette désignation n'a nullement suffi; je luy ay marqué de
s'informer à la grande et à la petite poste; mais en attendant si vous
aviés quelque chose de plus precis à ajouter à cette adresse, ce seroit
fort bien fait.
le tableau de votre bonheur mon cher ami et celuy de votre merite. quoy
quil y ait a remercier le ciel d'avoir une famille à souhait, il en est
de ce joyau là comme de tout autre qui a besoin d'être mis en oeuvre.
vos vertus sociales, la bonté, la légalité, laménité. les talents de lordre et
de lactivité, sans aucun melange d'intrigue ny d'anonce de ces petites
lèpres qu'on contracte à connoitre le monde, lesprit de moderation
surtout; si analogue à toutes les republiques et notre interieur en est
toujours une (cest là notre mal), sont des talents rares et des vertues
réelles qui ont porté leur fruit. cest en cela que le tableau de votre
interieur est un paradis pour mon ame; mais elle a trop pris lhabitude
de s'étendre; mon cher ami, mon digne ami, si je le voyois ce tableau
il me toucheroit jusques aux larmes et par dela, mais en même temps
je ressentirois la peine de l'aller quitter. on ne scauroit trop etendre
ses facultés, je le scais, je le pense, je luy dit; mais le terme de cette
<1v> expension qui doit être la resignation, à laquelle j'ay toujours taché d'atteindre,
comporte en même temps un plan de sagesse interieure qui nous contienne
et soutienne jusques au bout cet acquit du moins pour les caractères
ardents, sensibles et voraces, demanderoit un peu de paix et de regime
du calme; et ils ne m'ont pas laissé le temps de respirer, et plus je vais
plus on m'enfonce dans l'embarras des affaires et majeures, et uniques;
chacun à son sort, mais le mien est de passer toute ma vie à combattre
le mal, sans espérer le bien.
je pense comme vous mon cher, les amis quon perd, nous rendent plus
prétieux ceux qui nous restent, et il n'en est guères de vrayment et puis=
samment estimables. mon amy pompignan etoit de ce nombre; mais il
etoit mon ancien, et depuis longtemps mennée. je le suis beaucoup
de perdre une amie femme unique en son genre, par les qualités les plus
rares qui dans touts les temps m'a donné les marques d'estime et d'a=
mitié les plus utiles et les plus rares; à commencer par le temps d'une
disgrace de cour il y a 28 ans à present; elle qui en dépendoit en tout.
rien ne put dévoyer cette ame noble. cest la duchesse de 1 mot écriture: elle devoit
venir à tissot cet eté, ils lont emmenée à barèges; celle là est de dix ans
ma cadette, et je serois comme un pauvre arbre que la foudre auroit
ébranché.j'ay dit j'ay écrit (voyés la fin du der dialogue du 3e volume
des mes oéconomiques) quil falloit vivre dans ceux qu'on voit renaitre
et s'aproprier les joyes futures de l'enfance qui sont plus 1 mot écriture que nos
plaisirs passes. je le croyois dans les elans d'une imagination éclairée
par un coeur sensible; mais jéprouve qu'on peut s'abaisser pour chérir
mais qu'on n'aime que ce qu'on embrasse la tête haute. au fonds il m'en
reste plus encore que les dieux n'en ont accordé à la plupart des gens
qu'on croit heureux; aussy mon ami si je me plains quelque fois, il
s'en faut bien que jamais je ne murmure.
je ne scais pas ce que ma nièce trouve à dire à l'arrest de ce malhaureux
car il est effroyable dans toute sa teneur, et marqué pour jamais par les
fondations. à la place de son pere j'aurois eu pitié de mes petites filles.
sans faute sil vous plait mon cher que je sois averty, si vos desirs
sont accomplis sur le conte de Mr votre aimable et estimable gendre.
je vous souhaite à touts la bonne annee, avant et après; j'offre mes
Respects à vos dames et vous embrasse mon cher amy de tout mon
coeur
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier