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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 15 septembre 1784
du bignon le 15 7bre 1784
je reçus mon cher saconay au moment de mon depart de paris
votre lettre du 5 où vous aviés l'attention de me donner le plus prompt
avis de lheureuse delivrance de votre chère enfant, et mon premier
soin en arrivant à mon pauvre bignon est de vous en faire à touts
mon compliment bien sincère. Melle marianne si dévouée
avec son mouton, n'a pas laissé, m'est avis, de mordre a
l'hameçon un peu bien vite, je luy en scais gré je vous assure
sous ma barbe blanche, et je scais à quel age je seroy de ceux
qui ne comprennent pas que la mode n'en passe. pardon amy et
soyiés persuade de ma douce joye de vous voir grand père, et ferme
sur vos ergots pour attendre l'honneur dêtre bisayeul.
je suis arrivé à mon pauvre bignon qui depuis 21 mois n'avoit
vu son maitre et où la fonte subite des glaces m'a fait des ravages
m'emportant trois ponts, mais qui à cela pres n'a pas déperi atten=
du qu'indépendemment de l'entretien qui a été son train, comme
depuis dix ans je nay cessé de planter, les arbres vont leur chemin
dans labsence. en tout, autant vous avés vu ce lieu cy informe
et abandonné autant vous seriés etoné de voir aujourd'huy tout
ce que j'y ay fait depuis sans relache, et comment il y a répondu.
j'y suis avec mon petit fils du saillant, dont les parents sont
demeurés en arriere pour affaires; cest son père tout jeune, et plus
fort et aussy grand, sage à miracle, rural à lexcès, et si content
d'être sorti de paris, où pourtant il etoit libre d'aller à son choix
à tel spectacle qu'il vouloit, que cela fait un double plaisir.
<1v> je tacheray d'y ratraper bon pied bon oeil, car tout cela deperit
en un long sejour à la ville. l'estomac qui est mon coté foible, n'est
pas en bon etat, c'est ce quil ne faut pas dire à Me de pailly car elle
feroit du noir. à cela près je suis très resigné à toutes choses, tachant
de ne rien oublier, et puisque je suis si malheureux pere, m'accou=
tumant et l'être de mon mieux de tout ce qui a trait à moy.
mais l'amitie surtout est ce qui me fait vivre et vous êtes mon cher
en ce sens une des principales artères qui font battre mon coeur.
recevés de nouveau mon cher; mon tres tendre compliment et le
faites recevoir à vos dames, avec l'assurance de mon tendre Respect.
adieu mon tres cher je vous embrasse de tout mon coeur.
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle en
Suisse
Par Pontarlier