Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 novembre 1783

de paris le 6 9bre 1783

pour le coup j'ay à repondre à deux lettres de mon cher
saconay; cela est beau et très beau et me cause une satisfaction
veritable. j'ay été l'amy des hommes en theorie, et une diable de théo=
rie apuyée par la force des choses arrive à son but comme les
predictions de cassandre, d'où suit que beaucoup d'hommes nuisibles
m'attribuent leurs catastrophes, que le grand nombre me hait et que
le reste m'oublie: mon camarade, mon contemporain, mon amy, l'a
eté des hommes en pratique, et la foule et la joye sont et seront
jusques au bout autour de luy. on dit que la fortune à des caprices;
reste à scavoir ce que nous apelons fortune, mais jay à peu près
vu que la veritable avoit toujours raison.

vous voulés la suitte de lhistoire de ce beau faiseur de mémoires qui
scait si bien faire la tiare de plumes de paon; et bien, il a débarassé mon
pauvre frère, de sa personne, après l'avoir épuisé d'argent et de dépen=
ses, et j'ay gagné au moins que ce digne homme est rentré dans son
caractere et repos. son neveu averty d'icy que je menois avec la
patience qu'exigent les traités et circonstances avec les fols, lentrepr=
ise d'une donation matérielle à son frère cadet et d'un mariage
en conséquence, a vivement insisté pour venir icy demander la
cassation de l'arrest qui le sépare. moy qui ne voyois à cela que
ruine en frais, rénovation de scandales, le tout en pure perte, nou=
veaux desordres pour luy qui ne scauroit soutenir cette ville cy
et par dessus, rupture de mes mesures, car quand il ne faut que
déranger, touts les singes de l'affrique ny feroient oeuvre, je déc=
laray que je ne voulois point de ce nouveau procès, et que si je venois
il trouveroit ma porte fermee. ny plus ny moins, s'apuyant d'un
<1v> ordre de son oncle, et emmenant mon propre homme d'affaires de
Mirabeau, il est arrivé 1 mot écriture non à ma porte; moy voyant que cet
homme, transgressoit jusques à un ordre du roy, qui le met aux miens
quand à son séjour, et que pourtant il avoit l'aveu de nos partisans
1 mot biffure en provence, j'ay pris mon parti; j'ay remis au ministre l'or=
dre du roy. disant que mon fils étoit d'age à se conduire luy mè=
me, quil avoit des affaires dont je ne me voulois pas mesler, que
je renonçois à le guider ny en répondre. il a trouvé la même
chose écrite à ma porte, et n'a pas fait beaucoup defforts pour se
la faire ouvrir. je donne les mains à la levée de son interdiction
j'aviseray à rendre mon conte de tabelle devant arbitrer, et m'en
débarasseray autant que possible est de se débarasser d'un turbulant
par escence, qui nous est si proche.

en attendant il fait du blèd ou du bruit de lune avec sa mère qui
est à sec vis à vis de ses créanciers; tripot de bicètre que tout cela; et de
sa part aussitost son arrivée il a été déclarer qu'on luy faisoit
tout en songeant à marier son frère, qu'il alloit rejoindre sa femme
et autres folies; à quoy mon homme a repondu que nous écoutions, que
nous n'avions rien proposé, et qu'en effet ce seroit à tort, car il voyoit
ses enfants touts grands et touts venus.

a légard de cette autre héroine, dont toute l'existence et le moral
et le phisique sont scelératesse et mensonge par essence; je vous
en ay assés dit je crois et de ses succes, tout cela aura son temps.
ne vous avisés pas de jongler après un père, et un père sans passion
au reste je me contente de renier de droit comme de fait, quiconque
ne fit jamais que le mal, et ne dit jamais que le faux.

je vous remercie de vos bontés pour mes neveux de grille. quand
a luy je ne le plains que quand il a mangé plus quil ne peut digérer
mais je plains ma pauvre filleule que je vois à bout.

je croyois que vous n'aviés plus de parties que l'homme du fisq
et qu'a légard de vos parties civiles, tout étoit finy: je m'en raporte
bien à vous pour vacquer à lexercice d'élaguer les broutilles; votre
fortune est comme votre vigne. je n'en diray pas de même de vos
enfants, qui sont pourtant la meilleure pièce de votre sang, mais
ils ne sont pas raportant comme elle.

bien à votre aise vous médités des provençaux. il y a longtemps que
<2r> j'ay ouy dire à une connoissance, quils étoient les meilleurs de touts
mais quils ne duroient guères. quand à vous mon contemporain, je
vous félicite si vous joués encore; quand à moy jay juré de ne pas
réaliser le dernier quatrain de cette jolie pièce de la faye

quand à present lorsque jaborde
le luth en main une beauté,
hélas vainement je l'accorde;
et l'air est mal exécuté.

je vois pourtant que vous apelés du secours pour faire les
honneurs de chex vous, quand il vous arrive des dames. ce secours
là ny gateroit rien si j'y arriverois. mon dieu, mon amy combien
je serois aise si après vous avoir embrassé chex vous, je pouvois
baiser la main de vos chers enfants dont on dit tant de bien; les
larmes me viennent aux yeux en y pensant seulement.
adieu mon cher amy je vous embrasse

Mirabeau

j'oubliois de vous dire que depuis ma derniere lettre écrite, j'ay
reçu mon manuscrit et des nouvelles du banneret d'ostervald.


Enveloppe

à monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse

Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 novembre 1783, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/912/, version du 31.10.2024.
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