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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 18 octobre 1783
de paris le 18e 8bre 1783
mais mon cher amy je veux s'il vous plait scavoir de temps
en temps, que vous vous portés bien. je ne suis point en reste
avec vous; à la verité je reçus une derniere lettre de vous il y a
quelque temps, mais ce n'étoit qu'une réponse à celle de recomman=
dation de mon neveu le cher de grille, et comme je vous avois
écrit depuis, à notre courant, je demeuray. ce cher vient d'ar=
river de sa course, il a été comme de droit, enchanté de
votre paÿs et de votre reception, et vous l'auriés aisement damné
car il dit quil auroit tout quitté tout consacré, et baisé calvin
a la patte pour epouser Melle de saconay. en un mot la bonté
l'honneteté, la cordialité, la gayeté, la vie enfin repandue enfin
sur votre contrée, ont comme ravi un homme qui connoit la ville
et la cour, et l'air qu'on y respire et la contrainte qui fait rire le
bas du visage et qui plombe le front. il etoit enchanté des moeurs
de republique, et si tout de suitte il n'eut eté se guérir à gènes
il auroit encore cette opinion.
tout ce quil m'a dit de votre amitié pour moy et de votre santé
m'a fait le plus grand plaisir; oh mon amy, eut il donc, dit que
tant de choses mecrasant dans ma folle patrie et m'en repous=
sant; je n'auray pas un jour, avant que les brouillards s'épais=
sissent tout é fait devant ma vue pour revoir les foyers de mon
ami, sa famille, ses travaux et les lieux où je fus si fraternellement
reçu dans mon adolescence. en attendant les surpoids s'aggra=
vent à chaque jour sur moy, comme dans une rage de dents la
douleur semble s'accroitre à chaque instant. ce Mr de provence
est icy contre mon ordre, et ma porte à luy fermée, pour suivre
<1v> dit il la cassation de son arrest, mais en effet pour barrer des
vues qui pouvoient sauver des portions du naufrage; j'ay rendu l'or=
dre du roy, qui le mettoit à ma conduitte, sans me plaindre mais
disant qu'il etoit juge, et que je renonçois à le guider ny a en
repondre. le second est revenu et s'est fait une très bonne réputation
d'officier, mais si chargé de dettes et si decousu dans sa conduitte
quil ne scauroit absolument surnager. cette scelerate cabris
a attiré icy toute cette malheureuse famille; leur mere pire que
jamais a en un arrest de surseance; et moy qui ne cherche qu'a
me deprendre 1 mot biffurede tout cela, je vois que patience et longueur de
temps semblent nouer au lieu de dénouer, il ny a que la santé
qui tienne, et lamitié et j'en benis la providence.
mon cher saconay si vous aviés occasion, je vous prierois de vous
informer, s'il n'est point arrivé au banneret d'ostervald à neuf=
chatel, ou voyage ou maladie. vous scavés quil a un manuscrit
important à moy; comme il n'a pu s'en charger; je lui ay donné
depuis 5 semaines une voye pour me le renvoyer. il avoit toujours
eté fort exact, il ne m'a point repondu, je luy ai récrit, point de
nouvelles, et j'en suis en peine, car cela m'importe. adieu mon digne amy
mes respects à toute votre maison, mes remerciements du bon ac=
coeuil fait à mon neveu, et je vous embrasse tendrement
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier