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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 14 janvier 1783
de paris le 14e jr 1783
graces vous soyent bien tendrement rendues mon cher et digne
ami de la bonne nouvelle que vous me donnés que mon manu=
scrit est en sureté. cela me met du baume dans le sang et du repos
dans lesprit. imaginés que dans ce même temps je reçois nouv=
elle lettre du cte de scheffert qui me demande, et de la part du
roy mon bienfaicteur et l'unique homme au monde qui le soit
ostensoirement, et dont je me suis declaré lavoué en portant les
marques de son ordre qui me demande dis je cet ouvrage trop
longtemps promis et relativement aux circtonstances, trop long=
temps attendu.
en effet il est fini depuis deux ans, et seroit publié depuis un, ou
envoyé du moins depuis un année révolue, si Me de pailly fut
partie dans l'année 1781 comme elle lavoit arrangé au point
d'avoir attendu pendant un mois du chesne fébrillement.
je vous prie donc mon cher amy de vouloir dabord vous assurer du
manuscrit de manière à en disposer. le flibustier à qui je l'avois
envoyé, grand embaleur, en demandoit 150 louis et les auroit eu
si j'eusse voulu attendre 18 mois, il le disoit au moins je n'en
demande rien que quelques exemplaires; mais si vous avés quel=
que homme desprit ou de lettres qui voulut bien etre l'éditeur d'un
ouvrage, qui je vous assure est ce que j'ay fait de mieux; et que votre
société tipographique voulut l'imprimer avec quelque soin seule=
ment pour la correction et avec de la diligence, vous m'obligeries
bien véritablement. si cela ne se peut ayés la bonté de m'en
<1v> donner avis, afin que je m'arrange, car il ny a pas de temps
a perdre pour moy.
mon flibustier, ou plutost mon chenapant, car jay d'autre
part un flibustier en mer, est actuellement à faire le mème
bruit en provence, quil avoit fait en franche comté; avec la
différence quil y fait party davantage, attendu que dans
cette affaire il a plus de droit, et quil est apuyé des amis et
partisans de notre maison; mais il gatera tout, tout de mème
et ce qui me fache cest quil est emparé du bailly; toutes ces
affaires, et celles de ses dettes, et celles de sa vilaine mere et
de sa mechante soeur, me font achever ma vie comme je lay
menée dans la fatigue d'affaires, de moyens, de corps, et d'esprit.
depéchés vous mon amy darranger les affaires de Mr derlac
qui doivent etre bonnes, car depuis que je scais quil est loisi=
ble de vous prendre pour tuteur, il m'en est venu un apetit
strident. adieu j'offre mes tendres Respects à vos dame et vous
embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier