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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, [09] janvier [1783]
de paris le 9e jer 1783
mon bon et cher amy, naturellement je dois attendre dans
peu une autre lettre de vous qui m'aprendra si l'on a
dit vray (chose plus que problematique), mais j'en ay deux
maintenant, l'une du 14 l'autre du 26 du mois passé, et la sai=
son mincite que jea vous souhaiter à vous et à touts les votres toutes
les benedictions du ciel que vous merites, et par conséquent uni=
quement vie et santé car vous avés par vous mème tout le reste.
cest vrayment Mr du peiron, enthousiaste de jean jaques,
que l'on m'a nommé, car on me dit en mème temps qu'il est depo=
sitaire de ses manuscrits, chose que je scais n'etre pas vraye. quoy=
quil en soit, si une fois j'ay retiré le mien je seray bien content. il
y a longtemps que cet ouvrage m'a été demandé de suéde &c. et je
ne pouvois tenir ma parole et le temps repasse; et dailleurs j'y ay
fait de mon mieux et j'en fais quelque cas: et si une fois vous l'aves
et me trouviés à berne un homme de lettres qui voulut bien soigner
et reviser l'édition, vous me soulageriés vrayment en amy.
ce Mr est en effet en provence où il a parfaitement capté le bailly. d'une
maniere incroyable pour qui connoit mon dit frère, sa probité ses
moeurs, et qui scait quil a été instruit en détail de touts les départements
de cet homme, tout comme moy. ils en sont à tacher de ravoir sa
femme, qui s'y refuse et touts les tracas du paÿs sont en l'air; ils
finiront par un nouveau proces; mais en attendant le bailly plaide
contre moy avec une vivacité que je suis obligé de soux entendre politi=
quement après 60 ans de mutuelle franchise. il veut que son neveu
soit desinterdit, il veut qu'on paye ses dettes. tout cela se calmera
<1v> mais ajoutte à mes besognes fortes et compliquees, et me fait passer
ma vie dans le trémoussoir; et celuy la de surcroit.
je suis venu icy pour mes affaires personelles, ayant à faire avec
des canailles incroyables en mauvaises chicanes et frais. en attendant
ma partie, après avoir friponné icy toute la terre et fait des affaires
pour plus de cent mille écus, en est à voir mettre ses meubles sur le car=
reau saisis et vendus, et puis l'on crie que ne l'a til faite interdire
comme si je pouvois faire interdire quelqu'un dont je gérois les droits;
comme si mon procès passé avoit été autre chose que dire elle n'est
pas en état d'administrer: comme si aujourd'huy je pouvois faire
interdire ma partie; comme si au futur ce sera à moy à faire cette
besogne lâ. le monde est drôle, et nous le fumes en notre temps.
Mr derlac a parbleu fort bien fait de vous choisir pour tuteur; je vou=
drois bien avoir fait de même; vous joignés la sagesse à l'activité
et amalgames les gestes de l'illusion avec les pensées de la maturité
adieu mon bon et digne amy; mes respects je vous prie à vos
dames, et offrés leur les souhaits que je fais de tout mon coeur pour elles
notre amie me charge de vous faire mille tendres compliments. je vous
embrasse
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier