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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 06 décembre 1782
du bignon le 6e xbre 1782
je vous prie mon cher saconay de vouloir bien lire ma lettre
attentivement.
il s'agit mon ancien et premier amy de me rendre un service tres
essentiel; je scais combien vous avés de talent, d'activités et de raports
pour servir, je connois votre coeur, j'en ay besoin voicy mon fait.
tandis que ce Mr que vous savez, étoit à pontarlier dernièrement, et avant quil fit
toutes ses folies de ce renouveau; comme il me manda quil faisoit
affaire avec les libraires, pour bailer d'autant je luy ay envoyé par
la poste un mien manuscrit qui est fort et qui m'est très pretieux.
il me manda d'abord monts et merveilles et qu'il seroit imprime en
tel temps, et soigné par un homme de lettres &c.
depuis comme il changea de gamme, et dit qu'on ne pouvoit etc.; je
luy marquay que je le luy avois donné et ne voulois pas le luy oter
mais que s'il n'en pouvoit faire usage, il le fit remettre chez Me de
pailly à lausanne.
du temps s'etant écoulé il me manda tout à coup que mon manuscrit
partiroit par la première diligence à l'adresse de Me de p. je me doutay
bien alors qu'il feroit tout le contraire, et me resolu de le voir venir.
cependant javois plusieurs raisons de ne perdre pas cela de vue, raison
que je vous deduiray cy dessoux.
quand donc il a été arrivé auprès de mon frere je luy ay fait deman=
der ce que le manuscrit étoit devenu.
dans cet entretemps fauve père lib. des M. à qui il devoit d'ancien
dans le temps de ses premières campagnes en ce paÿs. et que je luy
avois fort recomandé de payer puisquil faisoit des affaires avec des
libraires, me récrioit; je luy demanday des nouvelles de mon manuscrit
il me répondit qu'on ne l'avoit pas pris parce qu'il le faisoit trop cher
et me demanda son payement. avec tout autre j'aurois été surpris
car ce Mr sans en etre pour lors, par moy requis, m'avoit envoyé copie
d'une quittance bien et duement libellee, legalisée et certifiée veritable
par laquelle il avoit payé faux le capital et intérèts. jay répondu
<1v> à ce libraire luy demandant l'explication de cela; il ne m'a pas encore
répondu, mais je prevois la réponce car jamais rien de vray ne sortit
de la bouche ny de la plume du plus hardy menteur qui soit sous le ciel.
dans cet entretempsdepuis il m'est arrivé par le bailly la réponce que mon
manuscrit avoit été envoyé à Me de pailly quartier st jean à lausanne
j'ay vu le coup, et je me suis contenté d'inserer dans la réponce au bailly
un billet qui somme son neveu de mettre au bas la notte du temps de
cet envoy, de la voiture, et le nom et reçu du voiturier. tout cela me vien=
dra tout masqué car rien ne luy coute moins que les histoires.
il est bon de vous dire que le bailly, qui est la droiture et la franchise
mème est deja epris de ce Mr au point de le croire; quoyque je luy aye tout
dit, et d'avoir oublié non seulement tout le passé, mais le si recent, ses
dernieres memoires dont il étoit indigné, ses lettres et tout; car cet homme
qui fait touts les personnages qu'il veut est très séduisant quand il veut
ou peut l'etre mais à l'exces.
maintenant voicy mes raisons pour que cette affaire m'interesse
au dernier point.
1o cet homme qui est plus voleur encor au moral qu'au phisique, qui vole
tout, denrées, paroles, écrits, qui avoit pillé à l'age de 20 ans les man=
uscrits de son oncle fourrés touts entiers dans son margouillis d'essay
sur le despotisme me 1 mot biffure garde pour me mettre en lambeaux dans
les paperasses folles qu'il débite quand le cerveau luy tinte ou que la
poche lui demande. il en a donné à neufchatel qui ont fait fermer
la boutique des libraires, à la requisition de la cour de france, et le minis=
très en sont outrés. vous sentés ce que ce mélange odieux peut faire de
tort à ma réputation et au travail de toute ma vie.
2o cest sans contredit mon meilleur ouvrage et mon plus fort; et quoyque
je n'aye pas beaucoup montré damour propre d'autheur qui la plupart
mourroient d'un pareil encombre; il est dur parmy tant d'autres.
3o cest l'institution d'un prince qui m'est depuis si longtemps deman=
dée, cest à dire depuis 5 ans par le cte de scheffer, au nom du roy de
suède; il étoit comme fini alors; je le promis, et je dois tenir parole
a mon bienfaiteur.
4o mais une raison plus forte que tout, cest que vous voyés que Me de p.
y est compromise. elle lignore encore. ce malheureux qui luy doit tant
ne cherche qu'a persuader à son oncle qu'elle veut le perdre &c (secret sur
cecy)
<2r> vous voyés mon cher et digne amy, et vous sentirés à ce que jespere mes
raisons, voicy maintenant ce que jespère de vous, sans craindre que mon
importunité fatigue votre amitié.
cecy n'est pas besogne d'un moment et demande temps et prudence, d'au=
tant que ce drole lâ qui du haut de sa grandeur est en correspondance
avec touts les vauriens de touts les paÿs dont il a affaire, seroit peutêtre
bientost averty. mais il faudroit 1 mot biffure avoir quelqu'un d'adroit et
d'intriguant qui fut intéressé à suivre la piste de ce manuscrit
on le scaura je crois par les libraires, 1o je donneray le manuscrit
à celuy qui me le fera découvrir, et si c'est par les libraires, je suis
asses riche en ce genre pour les bien récompenser, 2o sil faut intér=
esser en argent, je vous laisse le maitre et je seray 1 mot écriture
mais mon cher amy ne croyés pas que cette information puisse aller
de plein saut comme une autre. j'attendray le temps où vous serés a
portée de choisir quelquun et de dresser vos batteries pour cette rech=
erche dans votre coeur et dans votre esprit, comme interessant
au premier chef le repos de votre amy, comme aussy la personne
qui y est compromise. je ne vous en diray pas davantage mon
cher amy et je vous embrasse tendrement
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse à Berne
Par Pontarlier