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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 19 mai 1715
A Lausanne ce 19 Mai 1715.
Je reçûs hier, Monsieur, vôtre lettre du 15. J’avois déja ouï parler à
Mr de Rochefort, de Mr Poterat, qui est parent de feu sa femme. Je
savois son histoire, & je n’avois pas oublié surtout ce qui regarde le témoignage
qu’il demandoit à Genéve. S’il ne fallait que la signature du
Consensus pour terminer toutes les persécutions de ceux qui s’opposoient à son
établissement; son affaire est faite. Il l’a signé, c’est-à-dire, il
a écrit son nom dans un livre, sans que j’aie exigé de lui autre chose; &
je lui ai donné là-dessus un témoignage, qui devra le faire regarder comme
très-orthodoxe, dede ceux qui font consister en cela l’orthodoxie. Si je puis
lui rendre service en quelque autre chose, je le ferai très-volontiers en
vôtre considération, & à cause de son mérite.
Je suis supris que, dans le tems que vous avez écrit vôtre lettre, vous n’eussiez
pas reçû mon Discours. Je vous l’envoiai il y a huit jours, & celui qui s’en
est chargé doit être arrivé à Genéve Lundi au soir. Il étoit dans un paquet,
avec le livre de Mr de Cambrai. Je le donnai à un Mr Brutel,
de Montpellier, Marchand, établi à Genéve depuis quelques années. Il
est un peu parent de ma femme. Au cas qu’il aît oublié de vous faire
rendre ce paquet, ou qu’il l’aît donné à quelque garçon qui l’aît négligé;
aiez la bonté de le lui envoyer demander. Il loge aux ruës basses, mais
je ne sai de quel côté, ni quel est le nom de son Associé. Vôtre Valet le
trouvera aisément, en s’en informant de quelque Marchand. Au reste, je
vous suis très-obligé de l’empressément obligeant que vous témoignez de
voir mon discours. Il ne le mérite pas, comme vous le trouverez bien. Si
j’avois sû, que ou si je pouvois me flatter, que le désir de l’entendre vous
auroit amené ici, n’étoit que vous étiez assûré de le voir; 1 mot biffure comme
vous le me le dites obligeamment: je vous aurois déclaré de bonne
heure, que je garderois mon Ms. dans mon Cabinet. J’ai eu jusqu’ici
<1v> si peu d’espérance de vous voir à Lausanne, qu’il n’y a rien que
je ne fisse pour vous y attirer enfin. Je veux croire, que vôtre santé est
le grand obstacle qui nous prive de ce plaisir; & je souhaitte de tout mon
coeur que cet obstacle soit levé entiérement.
Mr Poterat m’a rendu compte de vos Promotions. Mr Maurice
aura pû trouver dans la Préface de Mr de la Motte sur l’Iliade, une rèponse
toute faite à la question qu’il se fit proposer; il n’aura eu qu’à mettre
en beau Latin les raisonnemens de ce Bel Esprit.
Je vous suis obligé de la peine que vous avez prise d’envoyer à Mr
l’Abbé le Grand mon Noodt. J’ai connu personnellement Mr Thomasius,
dont vous me parlez; & j’ai eu quelque commerce de lettres avec lui, pendant
que j’étois dans ce païs-làà Berlin. C’est le fleau des Théologiens de ce païs-là.
Il a eu depuis un an ou deux à soûtenir de nouveaux assauts de leur
part, à l’occasion d’une dispute de Concubinatu, qu’on m’a envoyé;
mais il s’est tiré d’affaires auprès des Commissaires que la Cour avoit
nommé pour connoître de ce démêlé. C’est un Esprit fort libre, mais
qui n’a pas assez de serre, & qui tient un peu du génie des Auteurs de
sa Nation. Ses derniéres pensées ne sont pas toûjours les meilleures; & en
croiant donner au Public de nouvelles idées, il ne lui donne souvent
qu’un nouveau langage. Parmi quelques bonnes remarques qu’il
m’a fournies dans les notes de la 1 mot biffure seconde Ed. de Pufendorf, j’en
ai rapporté d’autres, que j’ai refusées honnêtement. Il faut lire bien
de fatras, pour trouver quelque chose de bon, dans la plûpart des
Ouvrages que j’ai vûs de lui. Il parle mal Latin, comme vous le
verrez sans doute dans les nouvelles Notes qu’il vous a envoyées sur Monzam=
bano. Je ne savois pas qu’il eut publié de nouveau ce livre, dont j’ai
deux ou trois Editions, & entr’autres une en forme de Variorum, où il
y a par conséquent les meilleures notes de la 1e Edition de Mr Thomasius. Je
ne sai s’il aura suivi pour le texte l’ancienne Edition, ou celle que
Pufendorf avoit revuë, & laissée à ses Héritiers pour la publier après sa
mort avec son nom, qu’il avoit déguisé jusques-là. Il me tarde de
voir vôtre dispute de revelat. necessitate. Je suis, Monsieur, avec
mes sentimens ordinaires,
Vôtre très-humble & très-obéïssant
serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur & Prof.
en Theologie & en Hist: Ecclésiastique
A Genéve