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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 04 octobre 1714
A Lausanne ce 4 Octobre 1714.
J’étois fort en peine de vous, Monsieur: tous ceux de qui j’avois eu occasion de m’in=
former de l’état de vôtre santé, m’avoient dit qu’ils vous avoient laissé malade; & c’est cela même
qui m’empêchoit de vous écrire. Je suis ravi que vous soiyez enfin en état de me donner vous-mêmes
de vos nouvelles, & je souhaitte de tout mon cœur qu’une meilleure santé, que celle dont vous
avez jouï par le passé, me procure souvent ce plaisir.
Je vous suis fort obligé des nouvelles literaires que vous me mandez. Je voudrois pouvoir vous
en apprendre de mon côté: mais il y a assez long tems que je n’en ai reçû d’aucun endroit.
Mr de la Motte, qui a une santé fort delicate, ne m’a point écrit depuis quelques mois: un autre
Ami, qui m’écrivit d’Amsterdam au mois d’Août, m’apprenoit qu’il avoit eu de violens accès de
fièvre, & depuis je n’en ai sû aucunes nouvelles. Je l’avois prié d’écrire à Mr Coste, sur les bruits
qui couroient de lui; & j’en étois d’autant plus en peine, qu’on me mandoit qu’il y avoit
assez long tems qu’il n’avoit écrit à Mr de la Motte, son intime Ami. Je suis ravi d’apprendre
par vôtre lettre, que Mr Baulacre l’a vû à Londres.
Ce que vous me dites du Comm. de M. Du Pinc sur l’Apocalypse, est fort plaisant, Il avoit fait
quelque chose de semblable en quelques endroits des prémiers volumes de sa Bibl. Ecclesiastique.
Je n’ai pas vû son Hist. Profane, & ne me suis pas mis en peine de la chercher, parce que je n’ai
point douté que ce ne fût un pauvre Ouvrage. J’en juge par sa Bibliothéque des Hist. Profanes,
dont il nous a donné un volume, qui va jusqu’à Alex. le Grand: toutes les fois que je l’ai consultée,
je n’ai guéres manqué d’y trouver quelque grosse bevuë. Il est certain qu’il lit fort à la hâte,
& qu’il range ses Recueils avec beaucoup de négligence.
J’attens l’édition qu’on fait en Hollande de l’Iliade de Mr de la Motte. A en juger par
quelques morceaux qu’on a rapportez dans le Journal des Savans, on ne trouve pas dans les vers héroïques
de ce grand Poëte la beauté & la vivacité qu’on remarque dans ses Odes. Il y a des vers fort
languissans & assez négligez.
J’ai la Bibl. anc. & Moderne; & j’ai aussi reçû les Lettres de Mr Bayle. Il est certain que
Mr Le Clerc en veut à Mr Lenfant: & je me souviens d’avoir ouï 1 mot biffure parler à celui-ci d’une
Lettre de Mr Bayle, où il y avoit des choses choquantes pour Mr Le Clerc, que laquelle tomba
entre les mains de Mr Le Clerc lui-même. Cela auroit dû obliger Mr Lenfant à ne pas publier
cette Lettre, ni aucune autre semblable, sans savoir si Mr Le Clerc, de qui il fait profession d’être ami
depuis long tems, n’en seroit pas fâché. On voit qu’il avoit omis seulement les lettres intiales de L. & S.
pour marquer le P. Simon: mais, quand même Mr Marchand n’auroit pas expliqué ces lettres dans ses
Notes, on auroit assez reconnu de qui il s’agissoit. Du reste, si j’étois à la place de Mr Le Clerc,
j’aurois été bien aise qu’on publiât ces sortes de lettres. On voit par là que dès long tems Mr Bayle ne
l’aimoit point, & on peut aisément déviner pourquoi. Ce Recueil en général, quoi qu’on n’y voie aucune
lettre de ceux avec qui il Mr Bayle avoit les rélations les plus particulières, & avec qui il s’ouvroit le
mieux; servira à faire connoître son caractère, & ne fera pas honneur à sa mémoire. Il me
semble que vous me disiez qu’il y avoit quelque chose de désobligeant sur vôtre compte dans quelques
Lettres: Je n’y ai rien vû de tel: au contraire il paroît avoir beaucoup d’estime pour vous.
Je m’imagine que le but de Mr Le Clerc, en publiant ses remarques sur les Versions franc. du N.T.
faites par le P. Simon, par le P. Martianay, &c. a été en partie, de faire sentir à Mrs Lenfant &
Beausobre, qui se disposent à publier leur Traduction, combien est difficile l’entreprise dans laquelle ils
s’engagent. Il me semble que la reflexion qu’il fait à la fin de l’Article, le donne assez à entendre.
Mr de Crouza ne manquera pas de vous aller voir à vôtre campagne, si vous y êtes.
Je voudrois pouvoir en faire autant: mais le Rectorat est une attache, qui selon toutes les apparences
ne me permettra pas de long tems d’avoir ce plaisir. Je suis avec mes sentimens ordinaires, Monsieur,
Vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
Je me réjouis d’apprendre que Mr vôtre Cousin est à demi Professeur: j’espére qu’avec le tems il
le sera tout-à-fait.
A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Theologie & en Hist. Ecclesiastique
A Genéve