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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 29 mars 1714
A Lausanne ce 29 de Mars 1714.
Il y a long tems, Monsieur, que je n’ai eu l’honneur de recevoir de vos
nouvelles, & je vous en aurois demandé, n’étoit que j’ai été fort distrait par le
commencement des fonctions du Rectorat, dont je suis chargé depuis le mois de Janvier; fardeau
pénible dans cette Académie, plus que dans toute autre. Je suis d’ailleurs incommodé
depuis quelques jours, par un redoublement de mon incommodité ordinaire, qui m’obligea
de me faire saigner Dimanche passé. Il y avoit quinze mois que je n’avois rien
eu d’extraordinaire. L’attaque n’a pourtant pas été aussi rude, que celles que
j’avois euë autrefois: mais c’est toûjours une chose fâcheuse, de ne pouvoir déraciner
un mal qui ne paraît pas venir d’un dérangement de la constitution de mon Corps, puis
que je mange & dors bien à mon ordinaire, & que le sang qu’on me tire n’est
point gâté. Je souhaitte que vôtre santé aît été bonne, & qu’elle continuë
de l’être.
Je reçûs il y a dix ou douze jours une lettre de Mr de la Motte, où il me
dit à vôtre sujet: «Il y a long tems que nous attendons quelque Ouvrage de Mr
Turretin, entr’autres son Abrégé d’Hist. Eccl. auquel il doit ajoûter quelque chose
pour le grossir. Mr le Clerc m’a prié de parler à quelque Libraire pour l’imprimer,
& j’y ai engagé Humbert, qui le fera avec plaisir. Je m’imagine que Mr L. Cl.
ne veut pas paroître dans cette occasion, pour ménager la reputation de Mr Turetin; car le
commerce avec Mr L. Cl. est tenu pour suspect auprès de bien des gens. On dit qu’on
ne trouve pas à Genéve toutes les Dissertations de Mr Turretin, parce que plusieurs n’ont
été imprimées qu’en petit nombre. Je voudrois bien avoir une liste de toutes ces Dissertations,
s’il se pouvoit sans beaucoup de peine.»
Il y a à Amsterdam à l’heure qu’il est, un Mr Dartis, Min. dont vous
pouvez avoir ouï parler comme d’un emporté, & d’un homme qui a joué bien des person=
nages en sa vie. Comme il s’est trouvé des plus maltraitez dans la reformation faite à
par le Nouveau Roi de Prusse, il a quitté Berlin depuis quelque tems. Il prêcha à
Amsterdam contre le N. T. de Mr Le Clerc; & il parle fort mal en toute occasion
des Ministres de Genéve. Il y a quelque tems qu’il vous maltraitoit en particulier
chez Mr Got, qui le relança de la belle maniére. C’est ce que Mr de
la Motte m’apprend aussi.
Je ne sai si vous avez sû la mort de Mr Baux, un des plus beaux Esprits
que j’aie connu. Il est mort à la Haie, où il étoit Gouverneur de Mylord Bury, fils
du Comte d’Albemarle.
Mrs Lenfant & Beausobre se disposent à revoir leur Traduction du N. T.
pour la faire enfin imprimer à Amsterdam, chez Humbert. Ils auront plus de liberté
sous le regne d’un Prince, qui ne s’embarrasse point de science, ni d’orthodoxie. A quelque
chose malheur est bon. Il est à souhaitter que Mr Lenfant soit exact à revoir
le travail de Mr Beausobre.
<1v> C’étoit Mr Bernard, qui avoit dressé l’Article du synode contre Mr Masson; mais,
ce qu’il y a de plus surprenant, il l’avoit aussi sollicité lui-même. Il veut paroître orthodoxe
à quelque prix que ce soit. On imprime enfin son Ouvrage de l’Excellence de la Religion,
qui a demeuré près d’un an entre les mains des Examinateurs. Il y ajoûte quatre dissertations,
dont l’une traite d'un du Mensonge; sur quoi il prend le parti le plus outré. Je m’imagine
que, comme il croit in petto qu’il est permis de mentir, il pousse le privilége jusqu’à
la promesse de soûtenir en vertu de ce principe même, que tout Mensonge est absolument
illicite. Il ne persuadera guéres au moins, qu’il agisse bien sincérement.
On va rimprimer en Hollande l’Iliade de Mr de la Motte, en vers; précedée
d’une très-belle Préface. On achéve aussi d’imprimer un 3 Tome de ses Odes.
Les Auteurs du Spectateur Anglois, dont il paroît un volume en françois, sont
Mrs Steel & Addison.
Je ne sai si vous savez que Mr le Févre, Min. & frére de Made Dacier,
est allé à Paris se faire Catholique. Mr Dacier l’a présenté au Roi, qui
apparemment lui donnera quelque pension, comme il en a donné une de 2000 ff à
Mr Kuster. Ce dernier fait imprimer un Ouvrage sur la nature des Verbes
moyens des Grecs; à quoi il joint une Réponse à Perizonius, sur la dispute
qu’ils ont au sujet de l’Aes grave des Romains. Il se dispose à donner aussi
un Hésychius, & un nouveau Dictionn. Latin.
On imprime à Paris un le livre du Pére l’Amy, De Tabernaculo
foederis, de sancta civitate Jerusalem, & de Templo ejus; Ouvrage de plusieurs
années, & accompagné de plusieurs figures. Le Dictionn. de Mr Du Cange
de la moyenne & basse Latinité, se rimprime avec grand nombre d’additions &
de corrections de l’Auteur. On se prépare à mettre sous la presse une collection
d’Ouvrages par le Pére Martenne, qui sera presque toute composée de
piéces avec Notes, & qui fera 4 ou 5 voll. in folio. En cas que ce Recueil
soit goûté du Public, on donnera une nouvelle Edition du Spicilége, auquel
on joindra le Canisius.
Mon volume de Discours doit être imprimé à l’heure qu’il est. Je
vous l’enverrai dès que j’en aurai reçû quelques exemplaires. Mr de Joncourt
est fort intrigué. Son impatience l’a porté jusqu’à oser prier Mr de la Motte de
lui communiquer les feuilles de la diss. sur la nature du sort, à mesure qu’on les
imprimeroit. Vous jugez bien que Mr de la Motte n’en a rien voulu faire. Qu’y
alloit-il faire, dans cette Galére?
Voilà, Monsieur, tout ce que je puis vous dire par le coup. Donnez
moi, je vous prie, de vos nouvelles, si vous le pouvez, sans vous incommoder. Il me
tarde fort de savoir ce que vous faites. J’assûre de mes respects Madame, &
je lui souhaitte une parfaite santé, aussi bien qu’à Marquet. Je suis avec
mes sentimens ordinaires, Monsieur, Vôtre très-humble & très-obéïssant
serviteur
Barbeyrac
J’oubliois de vous dire que j’ai très-bien reçû
le Grotius & le petit Hotoman, avec un paquet de Mrs
Fabri & Barrillot
A Monsieur
Monsieur Turretin Pasteur & Prof. en
Theologie & en Hist. Ecclesiastique
A Genéve