Transcription

A Lausane ce 23 Juillet 1713.

J’appris hier, Monsieur, que Madame vôtre Epouse étoit heureusement accouchée
d’une fille. Je vous en félicite tous deux, & vous souhaitte à tous une bonne santé.
Je crains que vous n’aiyez eu quelque nouvelle attaque de vôtre incommodité. Je souhaitte
que cela ne soit pas, ou que du moins vous en soiyez quitte à l’heure qu’il est.

Vous n’avez peut-être pas vû les Acta Eruditorum de Leipsic, de l’année
passée. Voici ce que l’on y dit de vous, dans les Nouvelles literaires du mois de Juillet.
Cl. Turretinus, Theologue apud Genevenses insignis, Vir cui res metaphysicas scrutati
imprimis datum, Positiones Theologicas edidit, quibus Leibnitiana Theodiceae dogmata
2 mots biffure & principia, à 2 mots biffure nobis in Actis anni superioris commendata,
valde probat. Vous voilà erigé en grand Métaphysicien, & en approbateur de
tous les principes de M^r Leibnitz; car ces Messieurs ont tout loué. Ils parlent du
Clement Alexandrin de Potter, comme devant paroître sur la fin de l’année passée; & du
Joseph d’Hudson, comme étant sous la presse. Un Allemand, nommé J. Ulric Meurer,
qui est en Angleterre, doit donner en plusieurs Voll. Thesaurus Antiquitatum Hebr. dont
il a publié un Essai. Je crois avoir lû quelque part, que M^r Fabricius de Hambourg
avoit le même dessein. Les Wetsteins impriment le 2. Tomes des Medailles de feu M^r
de Spanheim. Voilà, autant qu’il m’en souvient, ce qu’il y a de plus considerable dans les
Nouvelles Litteraires de l’année passée de ce Journal.

On me mande de Hollande, qu’on y rimprime Boileau sur la nouvelle édition
de Paris, où il y a entr’autres une réponse violente à ce que M^r Le Clerc avoit dit en
faveur de M^r Huet, sur le passage de Longin &c. Cependant M^r l’Abbé Bignon y a
fait adoucir bien des choses. M^r Le Clerc a reçû une réponse de Paris pour M^r
Huet, qu’il a insérée dans le XVI. Tome de sa Biblioth. avec une Réponse de lui-même pour
ce qui le regarde. M^r L’Archevêque de Cambrai veut publier lui-même sa
Démonstration de l’ex. de Dieu, qui lui avoit été volée; & il y ajoûtera une Préface contre
Spinoza & M^r Bayle. M^r Collins a publié un Livre Anglois, qu’on m’a dit
qu’il m’enverroit, intitulé Pensées libres, sur tout contre les Ecclésiastiques. On a publié 12
réponses, parmi lesquelles il y en a une du D. Bentley, & l'au une autre de Whiston. On
rimprime la Theolog. de Limborch, augmentée de 20 ou 30 feuilles. M^r l’Abbé Regnier
a fait voir à M^r Coste quelques feuilles d’une nouvelle Edition qu’on fait du Dictionn. de
l’Acad. Françoise. Il s’est élevé une Dispute Grammaticale sur l’Aes grave, entre M^r
Perizonius et M^r Kuster, qui a déja produit plusieurs petis Ecrits.

Je ferai bien tôt rimprimer les Discours de M^r Noodt, dont les exemplaires
manquent; je n’en suis pas fâché, parce qu’il est bon que ces sortes de livres se répandent.
Outre la revision de ma version, & plusieurs nouvelles Notes, j’y joindrai la traduction d’une
bonne Harangue de Gronovius le Pére, de Lege Regia, dont le con sujet est nécessaire pour
l’intelligence du prémier discours de M^r Noodt. Elle sera aussi accompagnée de bien des
Notes, parce qu’il rapporte quantité de passages & de faits historiques, sans citer presque
jamais ses Auteurs. J’aurai besoin de Dion Cassius, Ed. d’Hanov, que vous avez, je crois,
<1v> dans vôtre Bibliothéque. Je pourrai bien vous prier dans quelque tems de me l’envoyer
pour quelques jours. J’attens une nouvelle Edition de cet Auteur, qu’on a projettée depuis
plusieurs années en Angletere; je ne sai si elle est prête à paroître.

M^r Maurice a fait agir M^rs les Comtes de Wartensleben, pour
avoir des 1 mot biffurePatentes de Socius dans la Soc. R. des Sciences de Berlin. C’est M^r Chauvin
Chauvin, qui a demandé cela, à la sollicitation de M^r le FeldMarêchal, Pére de
ces M^rs. Mais j’ai été bien surpris de recevoir, en même tems des Patentes
pour moi, qui n’y songeois nullement, & qui n’ai jamais voulu faire aucune
démarche pour cela, pendant que j’étois à Berlin. Je les reçûs hier, dans une
lettre de M^r Chauvin, venuë sous couvert des M^rs les Comtes de Wartensleben. Les
affaires vont toûjours mal à Berlin. M^r Chauvin a perdu cent Ecus de sa
pension; & je l’estime encore heureux, si on ne touche pas à ce qu’il a sur
l’Etat civil, auquel on n’a encore fait aucun changement; mais on est dans une
grande impatience de savoir ce qui en sera à l’avenir. M^r La Croze, ce Savant
Moine défroqué, dont je vous ai parlé, aiant été privé de sa pension de Bibliothé=
quaire, songeoit à aller en Angletere; mais on lui a donné la place d’Informateur
du Jeune Margrave Philippe, vacante par l’expulsion d’un Allemand, nommé M^r
Hill. On ne sait pourquoi celui-ci a été congédié: mais je soupçonne que c’est
parce qu’il étoit une créature du Comte Alex. de Dhona; car il avoit été
Gouverneur d’un jeune Comte qui mourut à ce seigneur.

J’ai commencé à prendre les eaux de Wisbourg. J’en suis assez fatigué;
sans savoir encore si elles feront l’effet auquel elles sont destinées. Je vous souhaitte,
Monsieur, une bonne santé, à vous, à Madame, à Marquet, & à la
fille nouvelle née. Je suis avec mes sentimens ordinaires, Vôtre
très-humble & très-obèïssant serviteur

Barbeyrac

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur en
en Theologie & en Hist. Ecclesiastique

A Genéve