,
Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 28 février 1713
A Lausanne ce 28 Fevrier 1713.
J’aurois été bien mortifié, Monsieur, s’il y avoit eu quelque chose qui
m’eût empêchez d’exécuter le dessein que j’avois formé depuis long tems de mettre
vôtre nom à la tête du 1er volume de Tillotson, qui est imprimé présentement.
Il n’auroit pas moins fallu pour cela qu’une défense absoluë de vôtre part,
ou la vuë de quelque tort de cette Dédicace eût pû vous faire. Mais les
raisons que vous m’avez alléguées n’étant qu’un effet de vôtre modestie, je
n’aurois pas crû devoir y avoir égard, quand même il en auroit été
encore tems. Je suis assûré que vos sentimens ne s’accorderont pas ici avec
ceux du Public, & que toutes les personnes raisonnables trouveront que je ne
pouvois faire un meilleur choix, ni mettre une Epître Dédicatoire mieux assortie
avec le Recueil des Sermons de ce grand Prélat. Pour la raison que vous
ajoûtiez tirée de mon intérêt, je conviens avec vous que je n’avois nul besoin
de vous dédier ma Traduction, pour me procurer quelque part dans vôtre
affection, vous m’en avez trop donné de marques dans toutes les occasions:
je n’ai eu d’autre vuë que de repondre en quelque maniére aux sentimens
favorables où vous étes à mon égard, & de me faire honneur de vôtre
amitié. Je préfére cela à toute la protection des Grands & des autres
personnes de crédit, que je suis peu propre à rechercher. Mais quand même
j’aurois voulu faire une dédicace par des vuës intéressées, ceux dont vous me
parlez ne sont pas gens sensibles à de pareilles choses, sur tout quand il s’agit
de Sermons comme ceux de Tillotson. Je me suis d’ailleurs si mal trouvé à
Berlin de cette maniére indirecte & autorisée de briguer la faveur des Grands,
que je ne crois pas que l’envie me prenne de long tems d’y revenir. J’ai
naturellement une telle répugnance pour ces sortes de choses, que je ne me
flatte pas de faire jamais fortune, & de sortir de l’état peu accommodé
où je me suis entretenu jusqu’ici.
J’apprens avec plaisir que l’on est après à examiner Mr vôtre
Cousin; je vous félicite par avance de sa reception, & vous prie de lui
témoigner les voeux que je fais pour lui. Je vous félicite aussi &
l’Académie de Genéve, de l’installation de Mr Leger à la
Profession en Théologie, par laquelle on m’a dit qu’il a fait
son Oraison inaugurale.
<1v> On me mande que Mr Jurieu a donné sa Bibliothèque à la Ville de
Rotterdam: mais que sa Femme en a distrait les meilleurs livres pour les donner
à la cabale des Visionnaires d’Angleterre avec qui elle a de grandes liaisons.
L’Abrégé d’Hist. Ecclésiastique de Mr Le Clerc, sera assez ample, parce
qu’il se veut borner pour le coup aux trois ou quatre prémiers Siécles.
Au reste, j’ai en chemin le prémier exemplaire qui a été relié du I. Tome
de Tillotson, & que je vous enverrai des que je l’aurai reçû. Mr Duclerc
me charge de vous saluer. Je suis, Monsieur, avec les
sentimens ordinaires,
Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur &
Professeur en Théologie & en
Histoire Ecclésiastique
A Genéve