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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 16 août 1712
A Lausanne ce 16 Août 1712.
Je reçûs hier, Monsieur, la lettre incluse de Mr l’Abbé Bignon: j’ai crû que vous seriez
bien aise de voir la maniére dont il y parle de Mr vôtre Cousin, & la justice qu’il lui rend.
Je vous avois bien dit, que ma recommandation ne lui étoit nullement nécessaire. Comme je conserve
avec soin toutes les lettres de cet Abbé, vous aurez la bonté de me renvoier celle-ci.
Je vous suis infiniment obligé, Monsieur, de la part que vous prenez à ma santé, & de la
bonté que vous avez eüe d’en parler à Mr Chenaud, qui m’a fait la grace de m’écrire, & qui
veut bien me donner ses bons airs. Je suis le conseil qu’il m’a donné, de ne faire aucun remède
pendant ces grandes chaleurs. Je me trouve un peu plus dégagé. J’avois déja éprouvé que
le Caffé & le Chocolat ne me sont pas bons, & j’y ai entiérement renoncé jusqu’à nou=
vel ordre.
Je suis bien fâché d’apprendre la maladie de Mr L. C. & j’attens avec impatience d’ap=
prendre qu’elle n’aît point eu de fâcheuses suites. On ne m’en disoit rien dans la derniére
lettre que j’ai reçuë d’Amst. du 8. Juillet, de sorte qu’il doit être tombé malade depuis ce
tems-là. J’ai lû depuis long tems son Eschine & Sylvae Phil. &c. & j’ai actuellement
à Morges la nouvelle Ed. de sa Critique, dans le ballot de la Logique de Mr de Croza, dont
il reçoit bon nombre d’exemplaires. Vous avez raison d’admirer ces beaux Ouvrages, &
d’être indigné contre ces misérables Grammairiens qui déchirent un Auteur à qui l’on a tant
d’obligation. Pour moi, je je n’ai jamais pû entrer dans la pensée de bien des gens qui
blâment Mr L. C. de ce qu’il mêle trop de personnalitez dans ses Ouvrages, sur tout
dans sa Bibl. Ch. Il fait à la vérité trop d’honneur à ses Ennemis: mais on doit
bien lui pardonner, s’il embrasse les occasions de faire connoître ces gens-là, qui ne
sauroient être trop décriez. A propos de cela, ne vous ai-je pas dit que Mr Masson,
que vous avez vû à Genéve, a beaucoup de part à l’infame libelle du Gazetier Menteur?
On me l’a assûré, & je n’ai pas de peine à le croire. Cet homme, & son frére cadet Min. de
Dort, l’Eglise Angloise de Dort, sont grands Ennemis de Mr L. C. quoi qu’il leur aît
fait mille civilitez. On a ouï dire à l’aîné, que le Gazetier Menteur est mieux écrit que
tous les Ouvrages françois de Mr L. C. Le Cadet, dont le Journal est très-mal écrit &
peu estimé, à ce qu’on me mande, fut fort fâché de ce que Mr L. C. ne voulut pas
inserer, il y a quelques années, dans sa Bibl. Ch. une Dissertation fort longue & écrite en stile
barbare, que ce nouveau Journaliste a insérée depuis, avec quelques autres, dans le prémier
Tome de son Journal.
La blessure de Mr le Général de Sacconnet, va bien: mais vous aurez appris
qu’un des fils de Made de Chabot est resté sur la place à l’action de Denain. Je n’ai
aucune rélation avec cette famille; mais je leur ferai faire vos complimens.
Mr l’Abbé Bignon m’écrivit il y a quelque tems, d’une maniére fort obligeante,
qu’il ne manqueroit pas de faire inserer dans le Journal de Paris le Mémoire que je lui avois envoié
pour répondre à Mr de Tremblai. Mr vôtre Cousin, qui est encore apparemment à Paris,
pourra vous apprendre s’il n’a point apperçû ce Mémoire dans le Journal.
Je vous souhaitte une bonne santé, & toute sorte de plaisir, dans vôtre Campagne, &
suis toûjours avec les sentimens sentimens ordinaires,
Monsieur
Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur
Barbeyrac