Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 28 juillet 1712

A Lausanne ce 28 Juillet 1712.

J’ai reçû, Monsieur, il y a sept ou huit jours, une lettre de Mr de la Motte,
qui me charge de vous assûrer de ses respects, & de vous dire que Waesberge imprimera
le Recueil de vos Dissertations. Il ne doute pas qu’il ne trouve à faire imprimer les autres
Ouvrages dont je lui ai parlé, lors qu’ils seront prêts. Il souhaitte de savoir s’ils
sont Latins ou François; j’avois oublié de lui dire qu’ils sont tous Latins; au moins
je l’ai ainsi compris. Mr de la Motte ajoute, qu’un Livre imprimé à Genéve
n’est qu’à demi public; les Libraires de Holl. n’aimant guéres à négocier avec ceux
de Genéve; qu’on n’a pas encore vû dans ce païs-là vôtre Diss. de Christo audiendo;
Qu’il voudroit qu’on n’imprimât à Genéve d’autres Livres que ceux de Mr P…
qui ne sont guéres lûs que par la Populace. Il vous souhaitte une meilleure
santé; il vous félicite de la naissance de vôtre fils, que bien des honnêtes gens ont
apprise avec joie.

Je ne sai si vous avez sû ce qui est arrivé au sujet de la succession à la
Chaire de Théol. des Rémontrans; & qui ne fait guéres honneur à la secte. Un
certain Cattemburg, Min. de Rotterdam, riche, mais fort ignorant, l’emporta
sur Mr Le Clerc à la pluralité des voix; quoi que tous les honnêtes gens fussent
pour Mr Le Clerc. Mais ce Min. saisi d’un remors, & voiant qu’il s’attiroit
l’indignation de toutes les personnes sages & éclairées; engagea le parti qui avoit cabalé
pour lui à faire deux Profess. en Théol. au lieu d’un, & à nommer avec lui
Mr Le Clerc; on ne me dit pas si les gages ont été partagez, ou si l’on a fait
un nouveau fonds pour un second Prof. en Théol. Un Min. d’Harlem, qu’on
vouloit nommer, le refusa tout net, disant qu’il n’étoit pas assez téméraire pour
entrer en concurrence avec un si grand homme, dont pers du mérite duquel personne
n’approchoit dans toute la société. Je juge par là, que le Parti des Rémontrans
n’est plus que la baliûre de tems de ce qu’il a été autrefois.

Avez-vous appris la triste fin de Mr Sick, qui avoit travaillé avec
Mr Kuster à la Bibliotheca Libr. novoru imprimée à Utrecht, & qui étoit depuis Professeur
à Cambridge. Il s’y est pendu; on ne me dit pas pourquoi. Mr Kuster
faisant mal ses affaires en Holl. est passé tout d’un coup en Angletterre. On croit
qu’il pourra bien donner Hesychius; un Libraire de Leipsic lui aiant déja
avancé de l’argent sur la copie de ce Livre.

Le Hammond de Mr Le Clerc est sous presse. Le Livre de Mr Bernard de
la Repentance tardive
paroît. On va rimprimer dans 4 ou 5 mois (c.d. après
que les Wetsteins auront achevé l’Horace de Bentley) la Théol. de Limborch; & l’on
<1v> y joindra l’Oraison funebre de cet honnête homme, faite par Mr Le clerc. La
Vie de Boileau par DesMaizeaux, paroît. Mr de la Motte a reçû du même Desmaizeaux
de quoi faire un volume de lettres de Mr Bayle, au nombre de 285. mais où il y en a
beaucoup qui ne mériteroient pas l’impression.

Je recûs en son tems le volume de Pétan: je vous l’aurois déja renvoié
n’étoit que depuis ce tems-là j’ai été presque toûjours incommodé. Il s’est fait un
désordre dans mon estomac, qui me cause une oppression ou un serrement, où il se
mêle des vents, dont je suis fort incommodé. Il y a trois semaines que, pour me
dégager, je pris l’émetique: mais le même jour, mon oppression augmenta si fort,
qu’il fallut me saigner le soir, sans pouvoir attendre au lendemain; & le lendemain,
aussi bien que deux jours après, on me resaigna encore. Ces remédes & quelques
autres, joints à la violence de cet accident, m’ont si fort affoibli, que j’ai de
la peine à me remettre; quoi que l’oppression ou l’essoufflement soit supportable &
diminue un peu à l’heure qu’il est: quelquefois même elle cesse presque entiérement. Cependant je ne puis pas parler longtems
de suite, & ce qu’il y a de plus fâcheux, je suis réduit à me sevrer jusqu’à
nouvel ordre, de tout étude & de toute application. Mr DuClerc avoit crû
que mon mal étoit une espéce d’Asthme: mais je n’en ai pas eu les
Symptômes. La tête ni la poitrine n’ont jamais été affectées en aucune
sorte. Je croirois plûtôt que ce sont des vapeurs, ou du moins que quelque
chose de semblable y entre. Je mange & je dors assez bien à l’heure qu’il
est: & il ne faut pas s’étonner si je suis foible, après la violente secousse du
mal & des remédes. Demandez un peu, je vous prie, à Mr Chenaud,
ce qu’il penseroit de mon mal. J’ajoûterai encore, que cet essoufflement est
accompagné d’un espéce de mal de coeur, quoi que petit, & d’une foiblesse de
jambes, aussi petite. J’ai commencé à prendre des gouttes d’une teinture d’Anti=
moine, par ordre d’un Médecin, qui croit que mon sang ne circuloit pas
bien, & que c’est ce qui m’a causé la grande oppression que j’eus. Pardon,
Monsieur, de tout ce détail. Comme vous n’étes que trop accoûtumé à sentir
ces incommoditez, vous excuserez ce que vous dit-là un homme qui a
moins que personne besoin d’être malade & languissant. J’ai
pourtant envoié à l’Imprimeur le I. Tome de Tillotson, qui s’est trouvé
fait, & que je n’ai eu besoin que de relire. On l’imprimera incessamment.
Je vous souhaitte une bonne santé & suis toûjours, Monsieur,
avec respect, Vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turrettin, Pasteur et Professeur
en Theologie & en Hist. Ecclesiastique

A Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 28 juillet 1712, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 129-130. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/860/, version du 10.02.2024.
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