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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 17 septembre 1711
A Lausanne ce 17 Sept. 1711.
Monsieur,
J’ai laissé passer plusieurs postes sans vous écrire, faute de tems. Je serois fâché
que vous crûssiez que je néglige d’entretenir un commerce aussi agréable, que le vôtre, &
de m’informer de vôtre état, auquel je prens toûjours beaucoup de part. Je
n’avois garde de m’imaginer que vous eussiez rien dit qui pût me commettre avec
Mr Constt mais je voulus vous marquer par occasion ce qu’il m’avoit dit
que vous lui aviez écrit. C’est, du reste, un bon homme, qui n’étudie plus, & qui
ne s’embarrasse guéres d’Orthodoxie ou d’Eterodoxie, j’ai presque dit de Théologie.
Avez-vous vû, Monsieur, la Vie de Mr Leclerc ? Apparemment on vous
l’aura envoiée. Elle est d’un stile modeste, & il auroit bien pû y mettre son
nom. La reserve qu’il y garde, est cause qu’il n’y a pas bien des parti=
cularitez qu’une autre que l’Auteur n’auroit pas omises. Ceux qui le connaissoient
d’ailleurs par ses Ouvrages, n’y apprendront pas grand’chose de nouveau. Il a fait
imprimer à la fin quelques Lettres de Graevius & de Mr de Spanheim; apparemment
pour faire voir à Mrs Perizonius, Gronovius, & autres de même trempe, que ces
grands Humanistes faisoient cas de lui & de ses Ouvrages. Le stile de Mr de
Spanheim dans ces Lettres, s’y ressent de son grand âge.
J’ai reçû, aussi bien que vous, la Lettre au Chevalier Barck, qui me
paraît très-belle, & très-forte; & les Orig. Babylonicae & Aegyptiacae de
Perizonius. Celui-ci a bien pris de la peine, pour ne nous apprendre rien de
plus certain, que les autres; son affectation à maltraiter Mr LeClerc, est visible.
Il pourroit pourtant avoir raison en certaines choses, comme à l’égard de
l’Assur du X. de la Genése. Je croirois, comme lui, que c’est véritablement
le nom d’un homme. Sa conjecture, qu’on avoit déja vuë, du motif qui
obligea à bâtir la Tour de Babel, est plaisante.
<1v> J’avais oublié de vous parler des Comtes de Wartensleben, qui me dirent
qu’ils avoient une lettre pour vous de Mr Chauvin. Je ne manquerai pas
de lui faire vos complimens. Le Pére de ces Mrs est un bon homme, quoi que
Luthérien.
Mr le Baillif d’Aubonne m’a chargé de m’informer si on ne
trouveroit pas un Gouverneur pour les fils de Mr le General d’Erlach.
Il assûre qu’on lui feroit des avantages considérables. Si par hazard il vous
tomboit quelcun entre les mains, qui souhaittât un parti comme celui-là,
vous me feriez plaisir de l’indiquer. Il serait facile alors de s’informer plus
particuliérement de toutes choses. Je n’ai pas le tems de vous écrire
plus au long. Je suis avec respect
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
Ma femme vous fait ses complimens;
& elle & moi assûrons de nos respects
Madame vôtre Epouse.
A Monsieur
Monsieur Turrettin, Pasteur & Professeur en
Theologie & en Hist. Ecclesiastique
A Genéve