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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 23 décembre 1710
A Lausanne ce 23 Decembre 1710.
Monsieur,
Vôtre lettre m’a fait, d’un côté, beaucoup de plaisir, par les
témoignages que vous m’y donnez de la continuation de vos bons sentimens
en ma faveur; mais de l’autre, j’y ai appris, avec beaucoup de
chagrin, le mauvais état de vôtre santé. J’espére, Monsieur, que
vous me ferez la justice d’être persuadé, qu’il n’y a personne, qui
fasse des voeux plus ardens, que moi, pour vôtre convalescence, &
pour vôtre prospérité en toutes maniéres. Ce m’auroit été, à la
vérité, une très-grande satisfaction, de m’approcher tout-à-fait de
vous; & je vous serai toûjours infiniment redevable des efforts que vous
avez fait pour m’attirer à Genéve. Mais puis que la Providence en
a disposé autrement, je m’estimerai fort heureux d’être à portée de
recevoir quelquefois de vos nouvelles, & d’aller aussi vous voir quelquefois.
Vous n’aurez pas besoin de m’y solliciter, dès que mes affaires me
permettront de m’absenter un peu de Lausanne. Je n’ai pas encore
commencé mes fonctions. Outre que Mr le Baillif est à Berne, d’où il
ne reviendra peut-être pas de deux ou trois semaines; je me suis trouvé
logé en arrivant dans une Maison, où il y a encore bien des reparations
à faire, sur tout dans la Chambre destinée pour mon étude; de sorte que
me voilà tout aussi desoeuvré & dissipé, que quand je suis arrivé
dans ce païs. Vous avez, Monsieur, trop bonne opinion de moi,
<1v> par rapport à l’exercice de mon Emploi. L’établissement est très-utile en lui-=
même, & il auroit été à souhaitter qu’on eût choisit quelcun de plus propre
à le faire valoir; sur tout dans les commencemens. Mais, puis que je’y suis
appellé, je ferai tout ce qui dépendra de moi, pour le rendre utile au
Public; & je n’oublierai pas d’inspirer, dans toutes les occasions, à la
Jeunesse, des sentimens de modération, dont on a grand besoin par
tout; & peut-être que, quoi qu’indirectement, je contribuerai quelque
chose à sapper les fondemens de l’Autorité tyrannique, qui n’est que
trop affermie, sur tout en certains Païs. J’ai été pourtant surpris de
agréablement, de trouver ici plus de gens modérez & raisonnables, que je
ne m’y étois attendu, & qu’il n’y en avoit autrefois.
Je vous suis bien obligé, Monsieur, des offres de services que vous
me faites, par rapport à vos Libraires. Je ne serai pas apparemment de
long tems en état de donner de l’occupation aux Imprimeurs; & quand
cela sera, sur tout à l’égard de Tillotson, que je continuerai à loisir, j’ai
des engagemens avec les Libraires de Hollande, qui ne me permettent pas
d’en chercher d’autres ailleurs; outre qu’il n’y a guères de païs, dont
les impressions fassent plus d’honneur & de plaisir à un Auteur. Mais,
à cette occasion, je prens la liberté de vous prier de faire rendre l’incluse
à Mrs Fabri & Barrillot, qui m’écrivirent il y a quelque tems, pour
m’offrir leurs services, & à qui je demande aujourdhui un livre dont
j’ai besoin.
Ma femme, Monsieur, se souvient avec plaisir, des momens agréables
qu’elle a passé avec vous à Rotterdam, & elle vous est bien obligée
de vôtre souvenir. J’ai reçû, depuis quelques jours, des nouvelles de Mr
Chauvin, qui se porte bien, pour un homme de 72 ans; & il me
charge expressément de vous faire ses complimens à la premiére occasion.
Je suis avec respect
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Turrettin, Pasteur &
Professeur en Théologie
A Genéve