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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 06 février 1742
A Groningue ce 6 Fevrier 1742.
J’avois bien parlé, Mon cher Monsieur, avant que de recevoir vôtre derniére Lettre, que Mad.
Smith aiant résolu de quitter le commerce, & par conséquent ne pouvant exécuter le
projet du nouveau Journal, formé par son défunt Mari, ce projet s’en iroit en fumée. Je
m’imaginai d’abord, que ces Mrs de la Haie trouveroient, comme il est vrai, beaucoup plus
commode pour eux, de fournir à Paupie des Extraits pour la Nouv. Biblioth. & que ce
Libraire ne manqueroit pas de saisir une si bonne occasion d’améliorer son Journal. Je
ne sai comment vous avez pû croire que je me chargerois seul de tout le travail, en
diminuant même quelque chose des feuilles; ce qui toûjours ne conviendroit pas, ce me semble, aux
intérêts même du Libraire. Je ne m’étois engagé à fournir ma quote part du nouveau
Journal, qu’en supposant que Mrs de La Chap. & Chais fourniroient exactement la leur, & que
ma tâche seroit par là diminuée, plutôt qu’augmentée. Ce devoit être d’ailleurs la vraie
Continuation de la Bibl. Raisonnée sous un autre titre; & ce ne seroit plus cela, dès-là
qu’il ne resteroit qu’un de ceux qui y avoient le plus travaillé. D’ailleurs, Westein pourroit
croire & publier, que c’est pour me venger de lui que j’ai entrepris un nouveau Journal moi
seul. J'ai dit enfin plus d'une fois à feu Mr Smith, comme il étoit vrai, que j'étois souvent
bien dégoûté de ce travail, qui me coûtoit plus de tems & de peine, que vous ne croiez peut-=
être. La nécessité seule de fournir à un ouvrage périodique est pour moi une grande
gêne. Quoi que je me prisse presque toûjours d’avance, je ne laissois pas d’être inquiet en
quelque maniére, jusqu’à ce que je fusse assûré d’avoir suffisamment de quoi fournir. Et quand
il restoit quelque Extrait, ce qui est arrivé sur la fin assez souvent, bien loin de m’en
plaindre, j’en étois bien aise. Enfin, j’achéve ma 68 année; & quoi que je me porte assez
bien pour mon âge, les forces du corps & de l’esprit ne peuvent que diminuer insensiblement.
Je vous ai déja dit, pour le Cumberland, que je n’aurois garde de lâcher mon Manuscrit
qu'à bonnes enseignes; & il faudra certainement que la Veuve prenne quelque parti qui n’aît rien
de préjudiciable pour moi. Je me suis mis à relire pour la derniére fois ma Traduction d’un
bout à l’autre: mais cela va vîte, & ce n’est que pour prendre garde qu’il ne soit rien
échappé qui puisse embarrasser les Imprimeurs, ou quelquefois recopier des endroits trop barbouillez &c.
Après cela, je veux revoir mon Grotius, afin que la Copie soit prête, quand il y aura lieu, &
que, si je venois à mourir, cette Traduction ne demeurât pas sans la revision & les additions que
je pourrai y faire, outre celles dont est déja chargé par occasion l’exemplaire en feuille, que je garde.
C’est un malheur, que cette Copie soit en de si mauvaises mains.
Je n’ai point vû la 2 Partie du T. XXVII. de la Bibl. Raisonnée; & je ne sai si on l’a
reçû ici. Il n’y a que peu de Jours que les Canaux sont ouverts. J’avois déjà soupçonné, que
Massuet & Rousset seroient les principaux Auteurs de cette Continuation. Il faudra bien que je
l’aie, aussi bien que les autres Journaux, & je vous prie de me les faire envoier par Mad. Smith,
aussi bien que la Table des 25 prémiers Tomes de cette Bibliothéque. On pourra y joindre, le Tome
V. de l’Histoire Romaine; les Remarques de Mr de Beausobre sur le N. Test. un Livre
traduit de l’Anglois, intitulé, Sykes Connexion de la Religion Naturelle & Revelée; & la
Belle Wolfienne de Mr Formey.
Ce qui m’a fait penser à demander ce dernier Livre, c’est une Lettre que j’ai recuë
la semaine passée, de Mr de Crousaz. Elle m’est venuë par la poste (apparemment de
La Haïe) mais elle est dattée du 21 Novemb. de l’année passée. Il me dit, entr’autres
<1v> choses, qu’il y a une Lettre de sa façon dans la Belle Wolf. par laquelle il a ramené l’Auteur
des idées du Systême Wolfien. Cépendant je ne vois pas qu’on parle de cette Lettre, dans
l’Extrait du Livre qui se trouve au T. VIII. de la Nouvelle Bibliothéque. Il faut qu’elle aît été imprimée
depuis. Et il me semble avoir vû quelque part annoncer une suite de la Belle Wolfienne. Ainsi
on prendra garde que l’exemplaire qu’on m’envoiera soit complet. Mr de Crousaz me parle
aussi 1 mot biffure Mr Form d’un Abrégé que le même Mr Formey a fait de son Examen du
Pyrrhonisme, que l’on traduit en Allemand. Il me dit, qu’il cherche les moiens de me
faire parvenir son Traité de l’Esprit Humain; & qu’il espére que j’aurai déja reçû la
nouvelle Edition de sa grande Logique, qu’il m’a envoiée avec une assez longue Lettre; mais
il ne dit point par qui, & je n’ai rien reçu encore.
J’oubliai de vous dire, dans ma précédente, que Waesberge, en m’envoiant le dernier
Tome du Sigonius, n’y avoit pas joint mon compte, comme je m’y attendois. Je vous avois
dit plus d’une fois, que, dès que j’aurois reçû ce Tome, je voulois lui paier ce que je pourrois
lui devoir de reste; déduction faite de 75 florins, qui joints à 25 flor. que je lui
devois du compte que j’arrêtai avec lui à Amsterdam en 1732. font les cent florins que
nous convinmes qu’il me donneroit pour la nouvelle Edition du Grotius Latin. Je vous prie
de lui demander ce compte, afin que je puisse le liquider.
Je vous prie aussi de retirer les deux Extraits, que Mr Smith avoit de reste, savoir, un
second de l’Institution d’un Prince; & celui de l’Essai de Mr Barnaud sur les Avertissemens de N. S. J. Ch.
Je n’ai point vû Mr Burnand de vôt depuis vôtre derniére Lettre. Tout ce que je puis vous
dire sur la grosseur de l’Ouvrage, & que lui-même apparemment pourroit dire, c’est que l’Original
est en trois Tomes in quarto, que je n’ai point vûs; & que l’Auteur doit y en joindre au
prémier jour un Quatriéme. Pour ce qui est de la Traduction de l’Ouvrage de Mr
Masccow, supposé que ce ne soit pas un simple projet, il me semble, autant qu’on en
peut juger, par l’Extrait que l’on a donné dans la Bibl. Germanique, des deux Tomes de cet
Ouvrage, que celui de Mr Bunau est fort différent, & pour la composition, & pour
le tour, & pour l’étenduë.
Je souhaitte que vous soiyez quitte de vôtre rhume; & que le l’accès de fiévre qu’a eû
Mr Le Maître, n’aît point eû de suite. Je suis toûjours, Mon cher Monsieur,
Tout à vous
Barbeyrac