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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 28 janvier 1741
A Groningue ce 28 Janvier 1741.
J’ai bien reçû, Mon cher Monsieur, vôtre Lettre du 12 de ce mois. Je profite du couvert
de Mr Smith pour vous écrire un mot, quoi qu’il fasse grand froid. Je lui envoie
des Extraits, parmi lesquels sont ceux de l’Historia Juris de Brunquell, & de l’Essai
de Critique sur Rollin &c. Il m’a écrit, que, pour les conditions de l’impression du
Cumberland, quand il sera tems de les regler, il vouloit bien en passer par ce que vous jugeriez
raisonnable. C’étoit aussi mon dessein de vous remettre mes intérêts. Et c’est pour cela
que je vous parlai de la Lettre que j’avois mise à part, dans laquelle vous me disiez quelque
chose sur ce que je pourrois demander.
Je n’ai point reçû la Bibliothéque Raisonnée, ni même un autre paquet, que Mr Smith
marque m’avoir envoié le 20 Decembre. Le froid, qui a fermé les canaux, est cause que les
Batteaux du Lemmer, qui d’ailleurs ne vont pas réguliérement dans cette Saison, sont arrêtez ou
à Amsterdam, ou au Lemmer. Ainsi je n’ai pû voir la faute que vous dites avoir remarquée
dans l’Extrait de l’Hist. de Christian III. où j’ai mis Cragius pour Grammius. Cela peut être
aisément arrivé, sans que j’y aie pris garde en relisant mon Ms.
Je savois ce que vous me dites de Mrs Drakenborck & Wesseling. On m’a dit, que
dans la prochaine assemblée des Etats de Frise, qui doit se tenir au mois de Fevrier, on
devoit proposer la demande que Mr Wesseling fait, d’une Pension pour sa Femme, au
cas qu’elle lui survive; & il y a apparence que la proposition sera acceptée.
Je suis bien aise que vous aiyez enfin reçu des nouvelles de Mr Coste, mais je
souhaitterois qu'il vous donnât de meilleures nouvelles de sa santé. Je fais bien des
voeux pour lui à tous les égards, & je vous prie de le lui témoigner, quand vous lui écrirez.
J’ai reçû une Lettre de mon Neveu Theremin, du 17 Decembre. Il m’écrit
de Berlin où il devoit le lendemain recevoir l’imposition des mains, par le ministère de
Mr de Beausobre. Il m’apprend, qu’à Berlin on attribuë hautement au Roi
l’Anti-Machiavel: qu’on dit que la Reine est enceinte, & que cela donne beaucoup
de joie à tout le monde: que Berlin est rempli d’Etrangers, qu’on n’y parle
que de la Guerre, & que de plaisirs & de divertissemens, quoi que la misére soit
très-grande. Cette misére est assez générale. Vous avez raison de croire, que
nous ne sommes pas exemts ici de la cherté des vivres. Tout généralement a
renchéri beaucoup, & bien des choses au double, ou au delà du prix ordinaire.
Un barril de beurre, par exemple, qui coûtoit 13 ou 14 florins l’année avant
le grand hiver, ma fille en a paié l'1 mot biffure l’automne passée 32 florins, &
depuis peu 35.
On parle beaucoup ici d’un Mariage, dont vous aurez peut-être ouï dire quelque
chose, c’est de Mr d’Aduard, veuf depuis le mois de Mars de l’année passée, avec
une Dame d’Amsterdam, que l’on dit extrémement riche; qui est de la famille
des Trip, & veuve d’un Conseiller, nommé Du Fray, si je m’en souviens bien. On
dit que c’est Mr Castricum qui a introduit Mr d’Aduard chez cette Dame,
& apparemment il aura ménagé l’affaire d’avance; car, de la maniére que je
connois ce Seigneur, je doute qu’il eût voulu paroître tout ouvertement, sans être
comme assûré de son fait.
Je vous souhaitte, mon cher Monsieur, une bonne santé pendant ce
froid, & suis toûjours
Tout à vous
Barbeyrac