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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 19 août 1740
A Groningue ce 19 Août 1740.
Je vous écris aujourdhui, Mon cher Monsieur, par Mr La Carriére, qui est obligé
d’aller à Leide pour un triste accident qui est arrivé à une Fille de sa première seconde
Femme. Elle avoit épousé Mr Rondeval, que j’avois connu ici, & aux Nôces de qui j’avois
été. Cet homme commençoit à faire bien ses affaires à Leide, où il tenoit des pensionnaires,
& avoit acheté pour cet effet une Maison. Il vint ici pour accompagner une Soeur de
sa Femme, & un certain Viel de Leide, avec qui elle doit se marier. Dimanche passé fit huit
jours, ils soupérent chez moi. Mr Rondeval se trouvant un peu incommodé, se retira
avant les autres; & le Mercredi suivant il mourut d’une fiévre pourprée. Ainsi Mr La
Carriére va pour consoler la Veuve, & lui donner conseil dans ses affaires. Le Défunt la
laisse enceinte, avec deux Enfans, garçon & fille.
Je reçus en même tems vos deux derniéres Lettres du mois de Juin, avec les paquet
où étoient quittances de Mrs Humbert & Kuyper, & le paquet où étoient les Scaligerana
&c. l’Historia Juris de Brunquell, & l’Essai de Critique sur Rollin &c. Quand vous
écrirez à Mr DesMaizeaux, je vous prie de le remercier de son présent. Ce Recueil me
fournira un Article pour la Partie suivante de la Bibl. Rais. Vous m’avez fait plaisir en
de me copier ce que Mr Des Maizeaux dit de mon Histoire des A. Tr. & du bon débit
qu’il a en Angleterre. J’avois bien de la peine à croire ce que Mr Smith vous avoit dit
plus d’une fois, de tout opposé. J’ai attendu encore de lui parler des 500 ff que ces Mrs
me doivent: mais je le fais aujourdhui, puis qu’il continuë à garder là-dessus un parfait
silence.
Mr Coste est donc allé à Montpellier. Je souhaitte que l’air du païs affermisse sa santé,
& qu’il revienne en Angleterre rajeuni. La marque d’amitié, que vous m’apprenez qu’il m’a
donnée dans son Testament, est un nouveau motif qui m’engage à redoubler les voeux
que je fais pour la prolongation de ses jours. Je vous prie, quand vous aurez occasion de
lui écrire, de lui témoigner combien je suis sensible à son souvenir, & plein de sentimens
réciproques d’amitié à son égard.
Il est b Je n’ai point vû l’Hist. de l’Imprimerie de Marchand. Mais il est bien vrai que,
dans la Nouv. Bibliothéque on a donné à l’Auteur, & cela plusieurs fois, le titre d’
Illustre; ce qui m’a fait rire, & dont que Mr Des Maizeaux ne conviendra pas qui soit
fort bien appliqué.
Je reçus, il y a quelques semaines, par la poste de Hollande, une Lettre de Mr De Crouzas,
du 12 Juin 1739. avec un feuillet écrit depuis, mais sans datte, où il me dit, que
celui qui devoit me remettre cette Lettre, ou du moins la faire passer jusqu’à moi depuis
Amsterdam, pour aller de là en Amérique, avoit changé de dessein. Ainsi je ne sai par qui elle
est venuë, qui doit l’avoir envoiée ou de La Haie, ou de Leide. Mr De Crousaz 1 mot biffure me dit,
qu’il jouït d’une santé surprenante, & qu’il n’a jamais travaillé avec plus de facilité &c. Aussi
est-il toûjours plein de projets. Il a donné, déja, dit-il, une Logica Horatii; & il va envoier
à Paupie, Imprimeur des Lettres Juives, qui s’impriment par souscription à Lausanne, deux
Volumes de Lettres sur la Vérité de la Relig. Chrétienne, & son influence sur les moeurs. Il
avoit commencé une Physique, qu’il a interrompuë pour travailler à la réfutation étenduë
qu’il a promise du Fatalisme Spinoziste & Leibnitien. Il se plaint fort de Mr de
Bochat, qui ne l’aime pas, dit-il, & qui a empêché que Bousquet, avec qui il est
associé ne rimprimât son Arithmétique, qu’il a été obligé d’envoier à Paris. Je viens
<1v> de voir dans une Lettre écrite ici par un Professeur de Berne, que Mr De Bochat
s’est démis de sa charge de Professeur, aiant été fait Lieutenant Baillival, à
la place d’un Neveu de Mr de Crouzaz, qui est mort. Dans le Postscriptum, Mr d
De Crouzaz ajoûte, que son Arithmétique retouchée, avec le Discours qui la précéde, vont
s'imprimer à Strasbourg; aussi bien que son nouv Nouveau Traité de l'Education, consi=
dérablement augmentez; & que ses Mss. y sont déja arrivez: qu’il donnera à rimpri=
mer sa Géométrie à P. Mortier, qui la lui demande; & que cette Géométrie sera suivie
d’une seconde, où il parlera des Lignes & des Surfaces courbes, & de plus des Corps
solides. Dans la Lettre du 12 Juin, il disoit encore, qu’on devoit commencer dans le
cours de ce mois l’impression de sa nouvelle Logique. Je voudrois trouver quelque
occasion pour lui répondre.
Mon Neveu est parti d’ici Dimanche passé. Je l’ai chargé, quand il sera à Berlin,
de m’écrire ce qui s’y passe dans cette circonstance, où le nouveau Roi fait tant de
changemens, comme il y avoit lieu de s’y attendre.
J’ai appris de plus d’un endroit, que Mr Burman est fort malade, en sorte qu’on ne
croit pas qu’il en revienne. Son Neveu, le Professeur de Franeker, m’envoia il y a
quelques 1 mot biffure trois semaines, ou environ, d’Amsterdam, une de ces Lettres imprimées, circulaires, par
où il me communiquoit son mariage avec une Mlle Marie van der Strengh.
On m’a dit que c’est la Fille d’un Maître Charpentier d’Amsterdam, fort riche.
Vous avez sû la mort du Jeune d’Arnaud, mort avec le titre de Professeur; car
il n’avoit point encore été installé. On dit, que les Curateurs ont résolu d’appeller,
ou de rappeller à sa place, Mr Heineccius, en lui offrant 2500 florins. Il n’y a
nulle apparence qu’il accepte, après avoir refusé Utrecht, Leide, &c. outre qu’il se
déplaisoit beaucoup à Franeker, qui effectivement est un triste séjour. Ces Mrs veulent
aussi appeller pour la Profession en Théologie Mr Jablonsky le fils, qui est
Professeur à Francfort sur l’Oder. Je crois qu’ils l’appelleront aussi en vain.
* [Voici quelques Livres que j’ai à vous demander. 1. Histoire de l’Académie Royale
des Sciences, les deux derniéres Années 1 mot biffure 1735, 1736. reliées en veau, comme le sont
touts les précédens volumes que j’ai. Depuis le commencement de l’Edition de Hollande, j’avois
eû ce Livre de la Boutique de feu De Coup; je le prendrai désormais chez vous. Il faut mettre
ainsi le titre :
Histoire
de
l’Academie.
Et ensuite dans une case au dessous, l’année ainsi | 1735.
2. Le Dictionnaire Anglois Franc. de Boyer, derniére Edition, relié aussi. L’exemplaire que j’avois, &
que j’ai donné à mon Neveu, étoit de l’année 1727. imprimé chez Humbert. Je ne sai si
on l’a rimprimé depuis. 3. J. Frid. Gronovii Lectiones Plautinae. &c que j’ai vû annoncé
sur les Gazettes, comme imprimé à Amsterdam, je ne me souviens pas chez qui. 4. 1 mot biffure
Lettres sérieuses & babdines, T. VIII Part. 2. & Tom. 9, 10, 11, 12. qu’on a aussi annoncez, &
dont j’ai tous les précedens. Ces Lettres & le Livre de Gronovius, cousus seulement. Et je vous prie
de vous souvenir, que, quand je ne parle point de la reliûre, j’entens toûjours que les Livres soient
cousus.
*Aiant commencé d’écrire ma lettre de à Mr Smith, & voulant la continuer, je me suis mépris,
& ai écrit ceci sur la vôtre. Je l’ai ensuite copié à la suite de ce que j’avois écrit de la sienne.
Ainsi il se trouve que vous saurez par là une partie de ce que je lui dis
à lui-même.*
<2r> Mr Engelhard a enfin paié le petit compte. Mais vôtre Compagnie a-t’elle
poublié qu’elle me doit encore cinq cens florins pour reste du dernier payement,?
qui devoit avoir été fait tout entier, selon le Contract, il y a quinze mois? Lors que
vous me donnâtes, il y a environ un an, une Assignation sur la Haïe, pour les autres
600 florins, qui furent paiez à la fin d’Octobre, vous m’écrivites qu’après vôtre
retour de Leipsic vous me feriez paier le reste. Cependant vous ne m’en avez
pas depuis dit le mot. Il faut donc bien que je vous en parle enfin; & c’est
avoir bien attendu.]*
Après ce coq à l’ane, que j’avois fait, je finis en vous assûrant, que je suis
toûjours, Mon cher Monsieur, avec mes voeux ordinaires pour vôtre santé,
Tout-à-vous
Barbeyrac