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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 10 mai 1740
A Groningue ce 10 Mai 1740.
J’attendois, mon cher Monsieur, pour répondre à vôtre Lettre du 22 Avril, une occasion
de le faire sous couvert. Je commence par vous dire, que vous ne soiyez plus scandalizé du
retardement que vous trouviez de la part de nôtre Prince. Les marques de sa libéralité
étoient venuës justement le jour avant celui que vous m’écriviez, & cela sans qu’il en eût rien
transpiré, qui fût parvenu jusqu’à moi. Ce ne fut qu’après avoir reçû le présent, que
j’appris qu’on savoit à Leuwaarden, il y avoit trois ou quatre mois, que le Prince avoit
fait commander pour moi de l’argenterie à La Haïe. Il avoit sans doute pris ses mesures,
pour pouvoir m’envoier son présent, quand il viendroit ici, & je crois que, quand je le
reçus, qui fut trois ou quatre jours avant sont départ, cette argenterie ne faisoit que d’arriver de
La Haïe. Elle consiste en une Fontaine à large ventre, & une Cuvette de même
forme, mais un peu plus petite que celle de la Princesse; le tout bien massif & bien
travaillé. La Cour ne fut ici que dix-sept jours. J’avois fait demander & au Prince, & à
la Princesse, quand je pourrois avoir l’honneur de leur rendre mes respects; & on m’avoit
répondu à l’ordinaire, qu’on me le feroit dire. Le Prince attendoit apparemment l’arrivée de
son présent, & c’est pour cela que je ne le vis que quand je pûs l’en remercier, le jour avant son
départ. Ils doivent revenir ici, mais pour peu de tems, & en faisant chemin pour les voiages
qu’ils se proposent de faire à Cassel, & de là dans les Etats du Prince. Quand je
pris congé de la Princesse, elle me dit obligeamment qu’elle reviendroit bien tôt ici, & qu’elle
me verroit encore alors, quoi qu’elle n’y dût faire que peu de séjour.
Je reçûs, dans le paquet où étoit vôtre Lettre, les comptes de Mrs Humbert & Kuyper.
Selon cela, je suis redevable au prémier de 7 florins & demi, après avoir rabbattu les
60 qu’il me devoit pour la Copie du Tr. du Jeu. Pour celui de Kuyper, il faut dé=
duire non seulement les cent florins qu’il me doit pour la Copie du petit Pufen=
dorf, mais encore un autre petit article où il y avoit eû de l’erreur dans le
compte que j'arrêtai moi-même avec lui en 1732. le 13 d’Août. C’est qu’il y avoit
mis, sans que j’y eusse pris garde, un Livre, dont feu De Coup m’avoit fait présent,
& que Mr Wetstein le Pére m’apporta de sa part dans un voiage qu’il fit ici; c’est
le Cluvier de l’Edition de La Martiniére, qui est marqué 12 florins. Je n’y pris garde
qu’un peu avant mon départ, & j’en fis convenir Kuyper, en vôtre présence, le jour même
que je partis. Vous pourrez vous en souvenir; & il est certain que De Coup m’avoit dit lui-=
même, en 1728. qu’il vouloit me faire présent de ce Livre, & que je ne l’aurois pas
autrement demandé. Le compte, que j’ai reçû, monte 158 ff 10 V. Ainsi, en déduisant
112. je suis débiteur de 46 ff 10 V. Je vous prie de prendre dequoi liquider l’un &
l’autre de ces comptes cher Mr Le Maître, qui a de l’argent de reste des 600 ff qu’il
retira pour moi, d’une partie du paiement de la Compagnie des Libraires. Vous aurez la
bonté de retirer des quittances, qui témoignent que je suis entiérement quitte. Je ne renvoie
pas les comptes, pour ne pas grossir le paquet de La Carriére. Quand il plaira à Waesberge
de me fournir le dernier Tome de Sigonius, il aura aussi ce que je lui devrai de reste,
déduction faite des cent florins qu’il me doit pour la Copie du Grotius.
Vous m’aviez déja parlé, il y a quelque tems, de ce qu’on souhaitteroit pour une
nouvelle Edition du Polybe du P. Thuillier; & je croiois vous avoir répondu ce que je
vous dirai aujourdhui en un mot, c’est que je ne puis promettre rien là-dessus. Je 1 mot biffure
pourrois vous en donner de bonnes raisons tirées de la nature de l’ouvrage même. Mais il suffit
de dire, que j’ai plus qu’il ne m’en faut avec mes occupations ordinaires. Je suis entré
<1v> dans ma 67 année; il est tems de ne pas me charger de trop de travail, crainte d’un
épuisement. Les forces du corps & de l’esprit ne peuvent que diminuer insensiblement dans un âge
aussi avancé. Vous savez que j’ai refusé de traduire les Quaestiones Jur. Publici de Mr
de Bynkershoek. Et je puis vous assûrer, que si j’êtois à commencer la Traduction du
Cumberland, entreprise depuis tant d’années, & assez avancée, je ne m’y engagerois point.
Je n’y ai pas touché de tout l’hyver; & je ne sai quand je pourrai m’y remettre. Il fait
encore froid ici.
J’ai bien cru, que vous trouveriez de la différence entre les deux Extraits des Lettres
de Libanius, dont l’un est dans la Bibl. Germanique, & l’autre dans la Bibl. Rai=
sonnée. L’Auteur du prémier est apparemment ce Mr Formey, que l’on
prône tant, & qui a succédé à Mr La Croze dans la Profession de Philosophie. Lors
que je fus à Berlin, il y a près de 17 ans, je n’ai jamais entendu parler de lui.
Son nom me fait conjencturer, qu’il a de la faveur à la Cour; car il est apparem=
ment de la famille d’un Formey, que j’ai connu il y a bien long tems, qui étoit Valet de
Chambre du feu Roi, & bien aimé de ce Prince.
Je ne savois pas qu’il y eût une si grande disproportion d’âge entre le jeune La
Riviére, & la fille qu’il a épousée. Quand le Pére m’écrivit, pour me communiquer
l’affaire, il m’en parla comme d’un Mariage fort avantageux pour son fils, & fort
approuvé.
Mon beaufrére Chauvin, de qui je reçus hier une Lettre, m’apprend que
Madame Lenfant tombe entiérement en enfance: que Mr Gautier, Ministre de
Berlin, fils de celui jadis de Montpellier, est mort: que Mr des Vignoles, à l’âge de
près de 90 ans, se porte fort bien, malgré la goutte qu’il a euë pendant trois mois:
que ce Mr Sack, que vous m’envoiâtes autrefois pour mon fils, & de qui je n’avois point
entendu parler depuis, est devenu Ministre de la Cour. On n’a garde de me parler de la
santé du Roi: mais je sai, par ce qu’en disent diverses lettres particuliéres, & par ce qu’en
dit un Officier, Enseigne de la Compagnie de mon gendre, qui vient de Berlin tout fraîche=
ment, que ce Prince est dans un état, d’où il n’y a pas d’apparence qu’il revienne, quoi
qu’on cache le danger, autant qu’on peut.
J’ai prêté mon exemplaire de la Bibl. Raisonnée, dern. partie à Mr Fontaine; ainsi je
ne puis vous marquer l’endroit où vous dites avoir remarqué une Note ou citation omise. Je
l’avois bien remarqué, & non seulement cela, mais encore il y a là plusieurs Notes dont le
chiffre est faux, aiant êté transposé, en sorte qu’un se trouve dans la page suivante, qui se
rapporte à la précédente. Cela est arrivé plus d’une fois, comme j’en ai marqué quelques
exemples dans le dernier Errata de quelques Tomes, qui a êté imprimé. Je voudrois bien
qu’on eût plus d’attention à éviter ce bouleversement, en changeant les chiffres de mon Ms.
Je vous prie de remercier Mr Coste de la nouvelle Edition du Christ. Raisonnable que
vous m’avez envoiée de sa part.
Je vois par les Gazettes, qu’on annonce, comme paroissant déja, l’Essai de critique des Ouvr
de Mr Rollin &c & la Version d’Hérodote, comme étant déja sous presse à Amsterdam. Je
m’imagine que c’est pour prévenir les autres Libraires, qui penseroient a rimprimer cette Version;
à moins que l’Auteur n’en envoie de Paris les feuilles au Libraire d’Amst. à mesure qu’elles
s’impriment.
J’ai reçû, depuis peu, par Mr Rossal, le dernier Tome des Observationes Miscell. de la part de
Mr d’Orville, qui a eû, dit-on, plusieurs mois la fiévre quarte. Je vois par la Préface, que
cet Ouvrage cessera d’être périodique, & sera 3 mots biffure publié seulement de loin à-loin.
La matiére manque apparemment, & le débit n’encourage pas le Libraire.
Il faut finir ici, pour envoier ma Lettre à La Carriére, qui l’attend, & doit la
mettre sous son couvert. Ma fille vous saluë, elle se porte bien présentement. Son Mari est retourné
à sa Garnison. Je vous souhaitte une bonne santé, & suis toûjours
Tout à vous
Barbeyrac