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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 19 mars 1740
A Groningue ce 19 Mars 1740.
Il me tardoit bien, Mon cher Monsieur, d’apprendre de vos nouvelles. Mr Smith ne me
disoit rien de vous, dans une Lettre du 30 Janvier, la seule que j’aie recuë pendant le terrible hiver
que nous avons eû, & qui, je crois, se fait sentir ici encore plus vivement que chez vous. Cependant
de son silence même, je conclus, que, si vous aviez été incommodé, ce n’avoit été que des incommoditez
qui vous sont assez ordinaires, & auxquelles vous êtes par là durci en quelque maniére. Pour moi, je
n’ai jamais tant regretté les poëles d’Allemagne & de Suisse. De toute cette année, je n’ai guéres
pû m’occuper sérieusement, que par intervalles. Du reste, je me suis toûjours bien porté, graces à
Dieu. Mais ma Fille fut fort incommodée pendant le grand froid, d’une perte extraordinaire,
dont elle ne s’est remise que lentement. Ce que Mr La Carriére a eû, n’étoit qu’une espéce
de colique, dont il fut attaqué à quelques reprises, & à quoi il est sujet depuis quelque tems.
Chabrier, dont vous me parlez, qui devoit me donner de vos nouvelles ne l’a point fait. Il est
peut-être encore ici.
C’est bien à Mr Smith, que Mr Vernet dit avoir envoié l’Errata pour l’Eloge de M. T. Dans
la derniére Lettre, que je recus de lui, du 5 Fevrier de l’année passée, il m’avoit 1 mot biffure marqué le nom
de Pollot changé en p Gollot: & j’ai fait indiquer cette faute dans l’Errata, que j’envoiai, inséré au
T. XXII. p. 234, & suiv. Cette faute venoit de son Manuscrit même; comme je le lui dis, en lui
répondant, & de ce qu’il n’avoit point eu marqué aucun endroit, dans les des Lettres de Descartes, où il renvoioit
comme faisant mention de ce parent de Mr Turrettin. J’avois inutilement parcouru ces Lettres, pour l’y
trouver. Et ce ne fut qu’après qu’il m’eût averti de la faute, qu’aiant cherché de nouveau, je trou=
vai un seul endroit, où Descartes parloit de ce Pollot en passant; n’y aiant aucune Lettre ni de lui, ni
adressée à lui. S’il y a d’autres fautes dans l’Eloge, elles ne peuvent guéres venir que de Mr Vernet
même; je n’en ai au moins apperçu aucune. J’envoie les Nouvelles Littéraires, contenuës dans
sa derniére Lettre, & un Mémoire joint, à l’occasion d’un endroit de mon Extrait de la Biblioth.
Manuscr. du P. de Montfaucon. Vous verrez ce que j’ai dit, après le Mémoire. La maniére
embarrassée, dont ce P. s’est exprimé, & le nom de Mr Lullin, changé en Hullin, dans trois de
ses Ouvrages, ont donné lieu à confondre deux Mss. différens. 1 mot biffure L’Auteur du Mémoire, Mr
Baulacre, me fait prier de l’insérer dans la Bibl. Rais. Au reste, je ne savois pas que Mr Vernet
fut devenu Professeur en Belles-Lettres & en Histoire, dès l’Eté passé. Il n’a eû aucun Concurrent:
& je ne doutois pas, qu’étant comme en possession de la 1 mot biffure de ce poste, il ne lui demeurât.
Il me parle, comme supposant que je l’ai vû, d’un Ouvrage de Mr Turrettin sur les Epîtres aux
Thessaloniciens, imprimé furtivement à Bâle, "& pourtant d’une maniére fidelle & correcte,
quoi qu’il faille bien avertir que l’Auteur l’auroit retouché pour le stile, s’il l'avoit destiné
à voir le jour. L’Editeur est Mr Buxtorf, qui en avoit recueilli une Copie fort exacte,
prise de ce qu’écrivoient quatre Etudians, à mesure que Mr T. parloit. Quoi qu’il eût
été à souhaitter (ajoûte-t’il) que cet Ouvrage fût sorti des plus fini des mains de l’Illustre
Auteur, je n’ai pas la force de savoir mauvais gré à ceux qui l’ont donné au Public, n’y
aiant guéres de Livres, à mon avis, plus propre à être mis entre les mains des Jeunes Théolo=
giens ou Prédicateurs." Pour moi, comme c’est un Livre imprimé à Bâle, je n’ai pas voulu le
joindre aux Nouv. Literaires de Genéve. Mais j’en demande un exemplaire à Mr Smith; & quand
je l’aurai, j’en donnerai l’Extrait, en disant ce qu’il faut sur la maniére dont il paroît. Je me
suis contenté de mettre aussi simplement le titre d’une Réfutation qu’on imprime a Genéve, &
qui doit bien tôt paroître, de la Religion Essentielle à l’Homme &c. & qu’il ôse assûrer d’avance
être un Ouvrage solide, & satisfaisant.
Je fus surpris, en lisant mon Extrait des Emend. de De Valois, d’y voir Mr Burman
qualifié Prof. d’Utrecht. La faute vient sans doute de moi; on auroit pû hardiment la corriger,
puis que je ne mettois pas alors. Elle n’est pas néanmoins de grande conséquence, puis que ce Professeur
l’a été aussi à Utrecht. J’ai remarqué quelques autres fautes, mais d’impression, dans les autres Extraits. S’il vous
en souvient de quelcune qui m’aît échappé, je vous prie de les noter.
Je recus l’année passée une Lettre de Mr Sidobre, du 7 Décembre, le jour même que le
<1v> Paquet de Livres lui étoit parvenu. Il me dit, que l’Abbé des Fontaines, dans ses Observations
sur les Ecrits Modernes [je n’ai jamais rien vû de ces Observations] Lettr. 274. & 282.
"fait un grand Eloge de mon Hist. des A. Traitez, & une Critique. Il prétend, que je 1 mot biffure ne
1 mot biffure devois donner vôtre mon Recueil que comme une portion curieuse & intéressante de l’ancienne
Histoire, & que ce que vous dites des Traitez Anciens, qui peuvent être utilement rapprochez des
modernes, & donner des lumiéres à nos Politiques, ne sauroit s’appliquer aux Traitez des Grecs
& des Romains, qui ne sont 1 mot biffure d’aucune utilité pour cela." Mais a-t’il bien lû ma
Préface, cet Abbé? Vous en jugerez. Je crois m’être assez expliqué, pour distinguer l’usage qu’on
peut faire aujourdhui des anciens Traitez des Grecs & des Romains, d’avec ceux qui peuvent
être utilement rapprochez des Modernes. Si l’on trouve des Observations, je serai bien aise de voir
ce que c’est. Au reste, Mr Sidobre me dit, qu’il espére d’achever dans le Cours de l’année
où nous sommes, la une partie de son Ouvrage qui contient la Théorie & la Medecine, fo de Medecine,
fondé sur l’expérience de feu mon Oncle, & qui contiendra la Théorie; ce qui formera un gros
volume in 4. qu’il croit qu’il prendra le parti de publier, en attendant d’avoir achevé ce qui
regarde de la pratique, & dont il a déja tous les matériaux prêts. Il fera graver le Portrait de
mon Oncle, bien ressemblant, pour le mettre à la tête.
Je n’ai vû de l’Abbé Bellenger, que sa Traduction des Vies ajoûtées à Plutarque. Cet Ouvrage,
& la Préface, où il critique Mr l'Abbé le Traducteur François de Pausanias, m’ont donné de lui une
idée avantageuse. Trouve-t’on son Denys d’Halicarnasse, que je n’ai jamais vû? Il me semble
qu’il y en avoit une Traduction de quelque autre, à peu près du même tems. Mr de la
Martinière lui a donné un beau champ, s’il a épluché son gros Dictionnaire. Je crois que cela
seul fourniroit matiére à un gros volume.
Mr Smith m’a envoié ce qu’il me devoit pour le compte de l’année passée. Mais croiriez-=
vous, que les Libraires du Corps Diplomatique sont encore à aquitter le reste du dernier paiement,
c’est-à-dire, 500 florins. Mr Le Maître retira pour moi les autres 600. à la fin d’Octobre. Mr
Smith, en partant pour Leipsig, me mandoit qu’à son retour il feroit paier le reste. Il ne
m’en a pas dit depuis un seul mot. Cela est assez plaisant, après que ces Mrs ont tant
marchandé & leziné à mon égard. Ils devroient en avoir honte, s’ils en étoient capables.
Je n’ai pourtant voulu encore en rien dire, par curiosité, & pour voir jusqu’où va leur discré=
tion 1 mot biffure pour une chose expressément stipulée par le Contract, selon lequel ils devoient m’avoir
satisfait entiérement dès le mois de Juin, auquel le Livre fut mis en vente.
Quand vous pourrez sortir, vous vous souviendrez sans doute de ce que je vous avois prié,
l’année passée, de demander mon compte à Humbert, & de prendre chez Kuyper les cinq
derniers Volumes des Discours de Saurin, Roque &c. qui me manquent.
Ma fille & mon Gendre vous remercient de vôtre souvenir, & nous vous embrassons
tous de très-bon coeur.
Je suis, Tout à vous
Barbeyrac