Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 15 octobre 1737

A Groningue ce 15 Octob. 1737.

Je reçûs avant hier, Mon cher Monsieur, vôtre Lettre du 8. dans un paquet de
deux Duernes de mon Ouvrage, que le Batteau du Lemmer du Mardi avoit oublié
à quatre lieuës d’ici. Je vous dirai d’abord, que Mr Humbert a fort mal pris le
sens de ma réponse à son Mémoire, comme s’il étoit plein de marques de mépris. Ce
n’est point là mon caractére; je ne méprise personne. Je suis bien sûr de n’avoir
emploie aucun terme offensant: & si j’ai paru n’être pas content de son procédé,
il ne doit pas le trouver étrange. Jamais rien de pareil ne m’étoit arrivé, quoi que
j’aie eû à faire à plusieurs Libraires. Pour ne parler que du long retardement
des exemplaires, je n’ai pû encore en envoier un à mon Neveu. Je vis il y a
deux ou trois semaines Mr d’Aduard, qui étoit venu pour le Mariage de sa derniére
Fille. Je n’osois lui demander, s’il avoit reçu son exemplaire; & je ne lui en aurois
point parlé, crainte qu’il ne crût qu’il y avoit de ma négligence. Heureusement il m’ap=
prit de lui-même, qu’enfin il avoit recu, & Mr de Bynkershoec aussi, ceux qui leur étoient
destinez. Pour ce qui est de Mr Polier, à vous dire le vrai, je n’avois pas compté de
lui en faire envoier un. Il eut la 1. Ed. que je lui fis envoier, quand elle parut; & Mr
de Crousaz n’en avoit point eû de moi. Cependant, En lui écrivant même, il y a quelque
tems, je ne lui en parlai point, & lui dis seulement, qu’encore que cette Edition fût achevée
depuis long tems, je n’avois pû tirer du Libraire le peu d’exemplaires qu’il devoit me
donner. Cependant, comme  je vois par ce que Mr l’Honoré vous a dit, qu’il semble s’y
attendre, si le ballot n’est pas encore parti; vous pourrez lui en remettre un exemplaire
pour Mr Polier. Je ne veux pas que, pour si peu de chose, il croie pouvoir se choquer.

Depuis que j’ai reçû le Manuscrit, & les feuilles, que je n’avois pas encore, j’ai examiné ce
que vous me disiez dans une autre Lettre, sur l’Art. 249. où j’avois écrit tantôt Lacharès,
tantôt C Lacrate; car il s’agit bien du même homme, qui étoit Général des Troupes auxiliaires
des Thébains, au service d’Artaxerxès Ochus. Il faut certainement par tout Lacrate. J’ai été
surpris, qu’on eût changé dans le Grec de Diod. de Sicile, Λακρατους en Λαχαρους. Je
croiois d’abord, que je m’étois trompé en lisant le texte; mais j’ai trouvé par tout Lacrate,
& cela sans aucune indice de variété de lecture. Il en est de même dans la Version de
Rhodoman, que j’ai à part, & qui fut imprimée après son Ed. Gréque & Latine. Ainsi je ne
saurois croire qu’il y aît Λαχαρους dans cette Edition. C’est apparemment celle que vous avez
empruntée. Aiez la bonté de voir ce qui en est. Au reste, je m’imagine, que, comme il peut
être arrivé ailleurs, en relisant mon Ms. pour la derniére fois, j’aie oublié d’examiner
attentivement cet Article; parce qu’en reprenant ma lecture, où je l’avois laissée le jour aupara=
vant, je puis avoir cru que le dernier Article numéroté étoit 1 mot biffure déja lû, & avoir ainsi passé au
suivant. Pour ce qui est de la diversité de mon écriture de ce nom, j’ai découvert d’où elle est
venuë. Lachares se trouve toûjours dans Prideaux, & dans Rollin, mais sans qu’on y cite d’autre
Auteur que Diod. de Sicile. Comme avant que de composer un Article, je cherchois ce qu’il pou=
voit y avoir là-dessus dans ces Auteurs, & autres; j’aurai sans y penser écrit comme eux, & ne
me serai apperçû du vrai nom qu’en allant écrire le passage sur l’original; aussi avant cela y a-=
t’il Lacrate dans mon Ms. puis j’aurai oublié de réformer là-dessus les endroits où je l’avois
écrit Lacharès. L’Errata rectifiera cela. Mais j’aurois bien voulu qu’on eût laissé dans le
Grec Λακρατους: à moins que la correction, ce que je ne crois pas, n’eût été faite sur
l’Original même.

<1r> Pour ce qui est de Θαψος, que Mr Wetstein a marqué sur l’Art 293. n. 4. il est vrai
qu’on le trouve dans Hésychius, comme un fleuve de Scythie: mais la situation ne convient pas
à l’endroit dont il s’agit, où se trouve Psatis, c’est-à-dire, dans le Bosphore Cimmérien. L’autorité
d’Hésychius, ajoûtée à celle de Stephan. de Urb. sur l’Articl. 316. n. 4. est à propos. Elle
trouve même dans une Note sur Etienne, qui est de Saumaise. Ainsi je m'étois contenté de
citer ce Géographe. Je ne crois pas avoir écrit souvent Créteins, pour Crétois, comme vous avez
très-bien changé. Cela paroîtra par bien des Traitez, qui viendront, au sujet des Peuples de l’Ile de
Créte. Au reste, j’ai entiérement achevé de relire la II. Partie de mon Ms.

Je crois vous avoir parlé de l’envie qu’avoit Mr de Crousaz, de redevenir Professeur
à Lausanne, en succédant à son Successeur. Il attendoit apparemment qu’on le priât.
Quand il a vû qu’on ne le faisoit pas, il a offert directement ses services à Mrs de
Berne. On n’a ni accepté, ni refusé ses offres. Seulement on a ordonné qu’il seroit près
de la dispute avec plusieurs autres Prétendans, nommez par l’Académie de Lausanne, &
mis ensuite en élection avec ceux qu’on jugeroit avoir le mieux réussi. La dispute doit se
faire après vendanges. On croit qu’il sera choisi, & que la Dispute n’est ordonnée que pour
lui désigner dès a présent un Successeur, à cause de son grand âge. C’est ce que
me mande Mr Polier, dans une autre Lettre que j’ai reçuë de lui, du 20. Septembre. Mr
Bousquet a imprimé un petit Ouvrage du même Mr de Crousaz, intitulé, Examen
de l’Essai de Mr Pope sur l’Homme
.
Mr Polier n’y trouve pas assez de netteté, ni de
méthode. L’Ouvrage est écrit en forme de Lettres, & divisé en 4. parties, comme l’Essai.
L’Auteur y fronde encore l’Harmonie préétablie de Mr Leibnitz.

Mr Polier me parle encore du triste état où est Genéve, par les nouveaux troubles
plus grands que les précedens, & des fortes représentations que le Roi de France a fait faire
par son Résident aux Bourgeois séditieux, les menaçant, s’ils ne suivent pas ses conseils &
ses désirs, de s’en ressentir d’une maniére qui ne leur sera pas agréable. Cela n’avoit
pourtant encore alors produit aucun fruit. La derniére Gazette que j’ai luë, semble faire
esperer qu’ils seront un peu revenus à eux-mêmes. Le païs de Vaud est rempli de gens
qui viennent s’y établir, ou s’y refugier. Un Professeur en Droit, Allemand, faisât 1 mot illisible
un logement à Lausanne, avec les Comtes de la Lippe, qui demeurent chez lui. Ces
troubles peuvent avoir empêché, que Mr Vernet ne m’aît envoié, comme il le dit,
son Eloge de Mr Turrettin. Ils n’ont commencé pourtant que long tems après la Lettre
que je lui écrivis sous couvert de Made Turrettin, quand je lui fis mes condoléances à
la mort de son Mari, le lendemain après avoir reçu la Lettre de Mr Vernet, qui me l’annon=
çoit, c’est-à-dire, vers la fin de Mai. Je ne crois pas que les Lettres se perdent par la poste.
Cependant je suis surpris de n’avoir aucune nouvelle de la mienne.

J’oubliois de vous dire, que Mr De Crousaz, qui a dessein de répondre à la Défense de
Bayle contre lui, a chargé l’Honoré par le canal de M. Polier de lui envoier ces nouveaux Volumes de Lettres, à la
tête desquels vous m’avez dit il y a long tems qu’elle devoit être. Je ne sai sils pa=
roissent encore.

Vous avez bien raison de croire, que Mr de la Ch. n’auroit pas dû entreprendre
l’Extrait du nouveau Livre de Mr de Bynk. sans en faire faire du moins quelque compliment pour
celui qui avoit parlé du précedent. On n’étoit pas si empressé à user du droit qu’on pouvoit
croire avoir, qu’on ne lui eût cedé sans la moindre peine.

Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle est, graces à Dieu, assez bien
retablie. Son Mari est retourné a Embden; mais il doit revenir le mois prochain,
pour passer ici l’hiver. Je vous souhaitte une bonne santé, & suis toûjours, Mon cher Mr

Tout à vous

Barbeyrac

<2r> J’oubliois de vous apprendre, que Mr Chenevix, & sa Femme, quittent le Service
de la Princesse Roiale; non pour aucun mécontentement qu’il y aît de part
ni d’autre, mais on a compris que le Prince veut désormais que ceux qui seront
au service de Leurs Altesses, ne soient pas des gens mariez. Mr Chenevix
espére que la Princesse le recommandera au Roi d’Angleterre.

Il me tombe sous les yeux en ce moment une grosse faute que les Imprimeurs ont
faite àux l'Art. 314 & 316. au titre: 1 mot biffure Roiaume d’Egypte, pour d'Epire, comme
il y a bien dans mon Ms. J’en ai trouvé plusieurs autres ci-dessus, qui gâtent le sens
p.e. pag. 224. lig. 35. dans un Cabinet, pour dans un Cabaret, ainsi que j’avois
écrit, & que le montre un passage Grec cité plus bas.

Note

  Public

NB: Les mots surlignés en jaune devront encore être revus et corrigés sur la base de nouvelles reproductions de meilleure qualité.

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 15 octobre 1737, cote BPF Ms 295/78. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/816/, version du 25.07.2016.
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