,
Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 25 juin 1737
A Groningue ce 25 Juin 1737.
Je reçûs Samedi passé, Mon cher Monsieur, le paquet envoié par Mr
Humbert. Mais Je jugeai bien d’abord, en lisant vôtre Lettre, que je n’y
trouverois que les 4 exemplaires reliez, dont vous lui aviez donné ordre. C’est
inutilement qu’il cherche à empêcher qu’on ne sâche que le Livre est imprimé
par les exemplaires dont je ferai présent. Tous ceux à qui j’en dois donner dans
ce païs, le savent déja. Mr Aduard, qui est retourné à La Haye il y a
une quinzaine de jours, vint prendre congé de moi. Je dus lui dire alors, que,
puis qu’il n’y avoit pas moien que je lui présentasse moi-même mon
Livre, je le lui ferois envoier d’Amsterdam, aussi bien qu’à Mr de
Bynkershoek, que je le priai de remercier du sien; car je n’ai d’ailleurs
aucun commerce de Lettres avec lui depuis long tems. Il me fait envoier
ses Livres par son Libraire de Leide. Ainsi je vous prie, si vous le pouvez,
de prendre deux Exemplaires reliez, & de les faire envoier vous même à la
Haie, l’un à l’adresse de Mr de Bynkershoek, l’autre à celle de Mr
d’Aduard, qui y est Membre des Etats Generaux. J’espére que, comme
vous le dites, vous m’aurez en fait envoier hier des Exemplaires cousus. Au
reste, dans la Lettre que Mr Humbert m’a écrite, il revient encore à se
plaindre de ce que Mr Smith divulgua l’impression commencée. Je ne sai
à quoi bon cela. Il sait bien que ce n’est pas moi, qui l’en ai informé.
Il peut compter même qu’on le savoit d’ailleurs avant cela à La Haie.
Et pour moi, j’ai bien des raisons de croire, que s’il lui reste encore quelque
peu d’exemplaires de la prémiére Edition, c’est sa faute, parce que
depuis long tems on s’est plaint à moi de divers endroits, qu’on ne
trouvoit point mon Livre chez les autres Libraires.
Je vous prie de prendre pour vous un Exemplaire relié; & d’en donner
un de ma part à Mademoiselle Smith, qui a une petite Bibliothéque de Livres
Anglois ou François. Il y a fort long tems que j’avois résolu de lui faire ce petit
présent, qu’elle agréera, j’espére.
Des exemplaires cousus, vous aurez la bonté d’en donner un à Mr de
la Riviére; & d’en garder un pour Mr Coste, un autre pour Mr DesMaizeaux.
J’en ai promis un à Mr De Crouza, que vous aurez la bonté de lui faire
envoier dans l’occasion. J’en envoierai moi-même d’ici à Berlin par Hambourg.
Parmi les Extraits que j’envoie aujourdhui, il y a un Article du
Catéchisme de Clarcke, & un autre du Tr. du Jeu. Mr Humbert me dit,
<1v> que les Auteurs de la Bibl. Raisonnée pourroient parler en même de tems
donner un Extrait du Discours sur la nat du Sort, parce qu’il ne sache pas
qu’on en aît parlé en son tems. Il a oublié, qu’il y en a un assez long
Extrait dans le Journal Litteraire. Mr Le P Clerc en parla aussi, mais
succinctement, dans la Bibl. Anc. & Moderne.
Je suis fâché que vous n’aiyez pas ouvert le paquet du Livre de
Mr Turrettin, puis que vous souhaittiez de le feuilleter. Il est relié proprement
en 3. voll. Je n’y ai point trouvé de Lettre, & n’en attendois point. Mr
Smith a reçû depuis plusieurs semaines nombre d’exemplaires de ce Livre,
à ce qu’il m’a dit. Le troisiéme Volume, le plus petit, contient toutes les
Harangues, & les deux prémiers toutes les Dissertations. Il n’y a aucune
Préface. Je suis surpris de ce qu’on vous a dit, que les deux places de
Mr Turrettin sont déja remplies. Ce n’est pas la coûtume à Genéve d’aller
si vîte dans ces occasions. Ce Mr Des Roches, qui étoient un des Prétendans,
est apparemment celui qui avoit été Précepteur de Mr Lullin, dans la
Maison duquel il demeuroit toûjours depuis. Le Pére même en mourant
lui avoit fait un Legs considérable, comme je me souviens de l’avoir
entendu dire. Mais il ne passoit pas alors pour grand Prédicateur.
J’espére qu’au moins, quand on envoiera la Bibl. Raisonnée, on y joindra
les feuilles de mon Ouvrage qui me manquent. J’en suis déja, pour la II. Partie,
au régne de Charlemagne, & il ne me reste plus, pour les Notes à mettre, ou
autres choses, que neuf feuilles. Après quoi je pourrai à mon aise relire
le tout pour la derniére fois. Je commence à respirer, de me voir sur
la fin d’une si longue & si pénible carriére.
Mr Talbot m’a dit, que le Prince comptoit que je lui dédierois
cet Ouvrage. Je l’assûrai, que c’étoit bien mon dessein, mais que je ne lui en
faisois pas encore demander la permission, parce qu’il falloit beaucoup de
tems pour imprimer un tel Livre. Je sai que Mr Chenevix lui avoit
montré une Lettre, où je lui parlois du dessein que j’avois, mais sans le
charger de le dire ni au Prince, ni à la Princesse. Et il me s’offrit alors à en
demander la permission, qu’il savoit bien sans doute qu’il obtiendroit aisément.
Sa Femme n’est point en Angleterre, comme vous le croiez. Elle est
revenuë avec lui, après avoir laissé en Angleterre un garçon dont elle
y accoucha. Et c’étoit la raison de leur voiage.
Au reste, je crois que les Libraires ne feront pas difficulté
<2r> de faire graver le Portrait du Prince, qui sera un Ornement pour leur
Corps Diplomatique, & un ornement qu’ils se font bien paier aux
Acheteurs.
J’avois oublié que je devois à Mr Bernard le Traité des Superstitions.
Je me souviens bien qu’il me le fit envoier: mais je ne me souvenois pas d’où
il venoit. Vous m’avez fait plaisir de le paier, avec les derniers Tomes des
Ceremonies &c. J’ai écrit à Mr Lastrop, pour lui apprendre que
j’ai son Livre complet.
Ce que vous me dites des affaires de Mr La Chapelle, m’a fait
plaisir. Je souhaitte que le Parti contraire se lasse de faire des efforts
inutiles contre lui.
J’ai vû dans le Journal des Savans, qu’on imprime un Ducatiana, dont
vous avez apparemment fourmi le Manuscrit au Libraire.
J’en étois ici, lors que Mr Talbot est venu, de la part de la
Princesse, & m’a fait apporter son présent. C’est une petite Cuvette d’argent,
pour mettre les des Bouteilles a deux à rafraichir, ou des Verres à rincer. Elle
est très-bien faite, & bien pesante. Madame Chenevix a trouvé cette
piéce toute faite à La Haie, selon ce que son Mari en écrivit à mon
Gendre, qui fut ici pendant six ou sept jours la semaine passée. Voilà le
plus beau Meuble de mon ménage, & que j’estime infiniment à cause
de la main d’où il me vient. Je voudrois que vous le vissiez. Mais je
crains fort que, quand même vous seriez en état de faire le voiage, vous
ne renvoyiez toûjours, comme vous avez fait par le passé.
J’espére de voir demain la Princesse, pour la remercier. On croit
qu’elle partira Jeudi, avec le Prince. Elle doit aller passer une partie
de l’Eté à Breda, dont elle fait meubler le Château, comme étant
de son appanage. Il faut fermer ma Lettre, car je dois l’envoier
à la poste. Je suis toûjours, mon cher Monsieur, Tout à vous
Barbeyrac