Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 28 mai 1737

A Groningue ce 28 Mai 1737.

Je vois par vôtre Lettre, Mon cher Monsieur, que vôtre santé n’est pas encore bien
rétablie, quoi que, selon ce que Mr Smith me disoit il n’y a pas long tems, vous vous
portassiez à merveille. Mais la saison est si déréglée, que j’espére que le beau tems
pourra vous mettre en meilleur état. Il fait encore froid, au moins ici. J’ai été obligé
de reprendre une camisole d’hyver, que j’avois quittée.

Il n’est que trop vrai, que Mr Turrettin est mort. La Lettre de Mr Vernet,
que vous m’avez envoiée, me l’annonce de la part de la famille. Quatre jours de
fiévre continuë avec des redoublemens, l’ont emporté. Il avoit été à l’Eglise six jours
auparavant, & dix jours auparavant sa mort, il soûtint sa derniére Thése de Théologie
Naturelle, sur l’Immortalité de l’Ame. Ç’a été pour lui une consolation de pouvoir ainsi
mettre la cloture à ses Ouvrages. Le deuil est universel à Genéve. Mr Vernet prépare
l’Eloge de ce grand homme; il dit qu’il me l’envoiera. Il ne dit pas, s’il le fera
imprimer d’abord à Genéve. Je lui réponds aujourdhui (en lui écrivant, aussi bien qu’à
Made Turrettin & à son Fils) que, de quelque maniére que ce soit, je ferai inserer
cet Eloge Histor. dans la Bibl. Raisonnée, où il mérite bien d’avoir place. Personne
n’est plus propre, que Mr Vernet, & mieux au fait de tout, pour cet ouvrage. Pour
moi, en donnant l’Extrait du Recueil de ses Ouvrages, je ne manquerai pas de dire en
mon particulier, & en peu de mots, ce que j’aurai naturellement occasion de dire.
Dix jours avant sa mort, il m’a envoié, dans une Balle adressée à Mr Benelle,
un exemplaire relié. J’en ai un exemplaire imparfait, & où il avoit écrit le titre de sa
main.

Ne soiez pas en peine, au sujet de la générosité de la Princesse à mon égard.
J’ai toûjours cru, qu’elle attendoit le retour de Mr Chenevix. La semaine passée, celui-ci
écrivit à mon Gendre, qui est à Embden. Il lui dit, que la Pri en confidence, que
S. A. R. a chargé de sa Femme de faire faire quelque piéce d’argenterie, &
qu’elle y destinoit cent Ducats; qu’ainsi il le prioit de lui marquer, ce
que j’aimerois le mieux. J’ai fait répondre, que je n’avois rien à prescrire là-=
dessus, & que Made Chenevix pouvoit choisir ce qu’il lui plairoit; que quoi que ce
fût, il seroit reçû avec beaucoup de reconnoissance, comme venant de la libéralité
de la Princesse. Effectivement, je serois fort embarrassé à me déterminer là-dessus,
J’ai assez de Caffetiéres, Pot à Thé, & autres choses semblables, qui me conviennent.
Le Prince est, depuis Mercredi passé, campé avec son Régiment, à trois lieuës de
Lewarde, & il doit y rester pendant dix jours. La Princesse campe avec lui, &
couche dans la Tente.

L’obligation indispensable, où je suis, de faire présent de mon Livre, & à Mr
Chenevix, & au Gentilhomme de la Princesse, est la principale raison pourquoi je
souhaitte d’avoir des exemplaires de mon Livre. On sait d’ailleurs ici, que je l’ai
présenté, a depuis long tems, à la Princesse; & ceux, à qui j’en dois faire des
présens, peuvent croire que je n’y pense pas. J’ai été obligé d’en faire des
<1v> excuses à Mr d’Aduard, que je vis la semaine passée à la Campagne. Il y est
venu faire un tour de la Haïe, où il est en famille depuis près de deux ans, & y sera
encore, car il y a loué une nouvelle Maison depuis peu. A propos de ce Seigneur,
je lui demandai des nouvelles des affaires de Mr de la Chappelle. Il me dit, qu’il
croioit qu’elles iroient bien pour lui, & qu’il en avoit parlé depuis peu avec un
des Principaux de l’Etat. Nous en parlames beaucoup, & je le confirmai de mon
mieux dans l’opinion où je vis qu’il étoit, du tort qu’avoit le Synode de
pousser les choses avec tant d’animosité. Il me dit, qu’il avoit lû avec plaisir
l’Ouvrage de Controverse de Mr de la Chapelle contre le P. Schefmaker.

Mr de Bynkershoek vient de m’envoier son nouveau Livre, Quaestiones
Juris Publici
. Le Libraire m’a en même tems chargé de sa part d’en remettre
trois exemplaires, qui étoient joints au mien, l’un à Mr d’Aduard, le second à un
Conseiller de cette Ville, & le troisiéme à Mr Rotgers, un de mes Collégues de
Faculté. L’exemplaire pour le dernier n’est qu’en petit papier, & en parchemin;
les trois autres sont en veau, & en grand papier.

Je vous prie de remercier Mr Bernard, de son présent de l’Hist. des Yncas.
J’ai tant écrit aujourdhui, que je ne saurois, ni n’aurois pas le tems, de répondre à
sa Lettre, où il me demande un mot de recommandation pour son Livre. J’en
donnerai avec plaisir un petit Article, & le recommanderai de mon mieux. Ce Je
suis fort trompé, si Mr Bernard n’en a parlé au long, à l’occasion de l’Edition
in 12. que j’ai. Et le Livre est d’ailleurs a été rimprimé 2 mots biffureplusieurs fois en
France, comme le suppose la Préface du II. Tome, qui n’est pas dans l’Edition de
Hollande.

J’ai reçû les Duernes F.–I. de l’Hist. des anciens Traitez, que je lirai inces=
samment. Dans les deux précedens, je n’ai trouvé que deux fautes, qui vaillent la peine d’être
rapportées. Pag. 36. Not. col. 1. lig. 1 le Roi, pour Roi: Ibid. l. 5. autorisé, pour
autorité; comme porte mon Ms. Car je ne compte pas Halicarnase, pour Halicarnasse,
pag. 25. Art. 35. l. 7. ni quelques menuës fautes pour les accens Grecs. J’oubliois pag.
29. Art. 39. l. 24. L’article de Deuil, pour du Deuil, comme il y a aussi dans mon
Ms. J’ai déja fait les Tables pour les cinq prémiers Duernes, qui m’ont emporter
deux jours entiers. J’ai préparé beaucoup de papier, pour avoir de la place, sans
qu’il y aît du dérangement dans la suite des articles.

Ma petite fille est guérie, graces à Dieu, & se porte bien. La poudre de
Berlin lui arrêta tout court la fiévre, dès le lendemain que je vous eus écrit
ma derniére Lettre.

Je ne sai si le Prince a grande influence sur la vocation des Ministres de
Leuwarde. En ce cas-là, je croirois qu’il seroit porté pour ce Ministre, sur lequel
Mr Fontaine l’emporta ici, & à qui certainement la recommandation du Prince
nuisit, à cause des circonstances; de sorte que je suis persuadé, que c’est uniquement
<2r> à cela, que nous sommes redevables de Mr Fontaine, dont on ne lui a pas
pourtant grande obligation. Ce Ministre, à ce que j’ai appris, est revenu de
Paris, où il avoit été Chapelain de l’Ambassadeur de Hollande; mais je ne sai
où il est présentement. Quand il briguoit nôtre Eglise, on disoit, que
c’étoit pour se fraier le chemin à celle de Leuwaerde. Je ne sai pourquoi
Mr Renaud voudroit quitter. Sa famille est établie là depuis long tems.

Vous ne m’avez point marqué le prix restant pour le Livre des
Cérémonies, dont j’ai reçû la fin.

Made Boyer, que je saluë, pourra donner le reste de mon argent à Mr
Le Maître, sur le compte de Mr La Carriére.

Je suis très-fatigué d’écrire tant de Lettres; & 1 mot biffure finis par mes
voeux ordinaires pour vôtre santé.
Tout à vous

Barbeyrac

J’ai fait un petit Article, pour sur la
nouvelle Ed. de mon Traité du Jeu, pour
les mois de Juillet, Août &c. Je crois, que ce
ne sera pas trop tôt pour les intérêts du
Libraire. Vous m’avez déja dit, qu’il le
faudroit pour cette partie de la Bibl. Raisonnée.

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 28 mai 1737, cote BPF Ms 295/75. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/813/, version du 19.07.2016.
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