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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 29 janvier 1737
A Groningue ce 29 Janv. 1737.
Il y a, mon cher Monsieur, je ne sai quelle fatalité, qui suscite des contretems
pour retarder la fin de l’impression de mon Tr. du Jeu. Dès que j’eus reçu vôtre
Lettre du 19. de ce mois, je vous envoiai le lendemain, c’est-à-dire, il y a aujourdhui
huit jours, par la poste, le reste de la Copie, adressée à Mr Humbert, & je vous écrivis
dans ce paquet. Je vois néanmoins, par vôtre Lettre du 26. que je reçus hier, que
vous n’avez rien reçû. Et c’est-ce qui m’oblige à vous écrire aujourdhui, comme vous l’a=
vez fait, à cause du retardement du paquet envoyé par Mr Humbert. Je ne comprens
pas comment le d4 caractères biffure mien ne lui est pas parvenu. Je le fis remettre de bonne heure
à la poste. J’avois reçû enfin le jour auparavant vôtre Lettre du 4. Janvier,
avec le paquet de Genéve. Vous verrez par lma Lettre du 22. que je ne doutai pas que
ce paquet n’eût été remis au Beurtman; quoi que vous eussiez dît de le d faire
passer par le Lemmer. J’en aurois été encore plus persuadé, si j’avois sû qu’on
y en avoit joint un pour Mr Rossal. Celui-ci lui aura sans doute recommandé,
de la prendre la voie du Beurtman, quand il lui envoieroit quelque chose en
droiture. Savez-vous pourquoi? C’est parce qu’il en coûte deux sols de
moins, que par le Lemmer. Encore en ai-je paié quelquefois autant, lors que
contre mon gré il m’est venu quelque chose par le Beurtman, comme cela est
arrivé plus d’une fois. Du reste, comment peut-on dire, que cette voie est la
meilleure? Mr Rossal m’a lui-même dit une fois, que, quelques années en a
auparavant, il avoit reçu au mois de Mars un paquet de Chataignes,
parti d’Amsterdam au mois de Décembre. Je lui ai épargné bien des ports,
aiant souvent recu & de Mr Humbert, & de Mr Smith, ou d’ailleurs, des paquets
pour lui, venus dans le mien.
Je puis donc maintenant répondre à vôtre 3 caractères biffure derniére Lettre, & à la
pénultiéme; l’aiant déja fait à celle du milieu. J’ai écrit par la derniére poste à
Mr de Crousaz, & lui ai mandé ce que vous me dites, sur la rimpression de son Tr. de
l’Education, & sur l’envoi des exemplaires de ses deux derniers Ouvrages au Prince par Mr
Châtelain. Je lui ai dit aussi, que j’avois envoié à Amsterdam, pour lui faire tenir,
deux exemplaires de ses Opuscules imprimées ici. Je l’ai remercié de son Abrégé de Logique,
& de ses Divers Ouvrages, que j’ai bien reçûs. Je ne me souviens pas si je vous le
dis. Je viens de faire paier ici au Libraire Sypkes les deux exemplaires des
Opuscules, dont j’ai donné 2 ff 18 V.
Je remercie Mr Châtelain des complimens que vous me faites de ma part, &
je lui sai autant de gré de ce qu’il auroit voulu que la Compagnie m’eût donné
purement & simplement 4000 ff sans barguigner, que si ses autres Associez étoient
entrez dans une pensée si équitable. Le reproche qu'ils lui faisoient sur ce qu'il
n'a qu'une petite portion en comparaison de la leur, me paroît très-mal fondé.
Car s’il auroit eû moins à donner, il gagnera aussi moins qu’eux à proportion.
<1v> Mr Smith m’a cependant toûjours parlé, comme s’il y avoit eû entr’eux une
parfaite unanimité de sentimens. J’aurois cru, que lui au moins auroit pû, en
rappellant le souvenir de sa premiére profession d’Homme de Lettres, se mettre
un peu à ma place. Je sai, comme vous le dites, que ce qu’ils me donnent, va
au delà de ce qui se donne ordinairement: mais aussi ces Mrs pouvoient-ils
s’imaginer, que pour un Ouvrage entrepris uniquement à leur sollicitation, un
Ouvrage que j’avois voulu abandonner après l’avoir commencé, & que je ne repris
que sur de fortes instances de leur part, ap un Ouvrage dont je leur ai tant
de fois représenté la difficulté, le long tems qu’il demanderoit, les dépenses que j’ai
faites à cette occasion; je consentirois qu’ils le mesurassent à leur aûne
ordinaire? C’étoit à eux à m’en avertir. Je n’aurois jamais crû, qu’une
Compagnie, composée de six des plus puissans Libraires, eût voulu marchander
tout comme pourroit faire le plus petit Libraire affamé. Mr Smith me
dit, dans sa derniére Lettre, à l’occasion de ce que je lui avois marqué des Livres
qu’on rimprimoit à Lausanne & à Bâle, Que c’étoit la crainte d’un pareil
sort, qui avoit obligé sa Compagnie à tant marchander. Je suis persuadé pour
moi, qu’aucun Libraire, où que ce soit, ne sera assez hardi pour entreprendre la
contrefaçon de mon Ouvrage. Ils savent que tous ceux qui ont le Corps Diploma=
tique, ou qui voudront l’avoir, n’acheteront pas deux fois un si gros Livre contrefait.
Et si, comme vous le croiez, ils on en tire à part quelques centaines d’exemplaires,
cela empêchera de plus plus en plus qu’aucun Libraire ne pense à une chose dont
il n’auroit à esperer aucun profit, & tout à craindre. Il ne m’est jamais venu dans
l’esprit, & on s’est bien gardé de me dire, qu’on voulût imprimer des Exemplaires
à part. Et voilà pourtant qui éloigne à mon préjudice le tems d’une seconde
Edition. Je puis vous assûrer, que la principale raison pourquoi j’ai donne consenti
à donner mon Ouvrage à fai si bas prix, eû égard à ce qu’il me coûte, c’est
afin qu’il soit mieux imprimé, qu’il ne le seroit ailleurs, & que vous pûssiez être
à portée d’en diriger l’impression. Ces Mrs, qui m’ont tâché d taxé d’attachement
à mon intérêt, peuvent voir, s’ils y pensent bien, que je ne le suis guéres, & que j’ai
plus à coeur que mon Ouvrage paroisse de la maniére la plus propre à me faire
honneur. Je sai assez qu’eux-même comptent de perdre, lors qu’ils ne font pas
de fort gros gains. Et je crois l’avoir ouï dire à Mr Barrillot, en parlant des
Libraires en général.
Vous me parlez des Auteurs inconnus du Journal Litteraire; & vous dites que Beau=
marchais s’est brouillé, aussi bien que la Martiniére, avec Van Duren. Est-ce que le
prémier étoit revenu de Francfort, où il faisoit la Gazette? Je n’ai de ce Journal
que le Tome XXIII. complet. Ainsi il y a long tems qu’il n’en a rien paru, à moins
que Mr Smith aît oublié de m’envoier la suite; comme il peut avoir fait à l’égard
de la Bibliothéque Britannique; car la derniére Partie que j’en ai reçuë, est la I. du
Tom. VII. ou Avril, Mai, Juin, de l’année passée.
<2r> Ce que vous me dites des suites fâcheuses que peut avoir pour Mr de La
Chapelle, la mort de Mrs de Slingeland & de Boetslaer, m’a été marqué par
Mr Polier, qui le tenoit du Colonel Constant (fils du Feu Professeur) qui venoit
tout fraîchement de La Haïe. Je n’ai nullement douté, avant que vous me le
dissiez, que les deux derniers Extraits de l’Histoire du Conc. de Trente &c. ne
fussent de Mr de la Chapelle.
Je suis bien aise que vous aiyez détourné les Libraires du dessein impraticable
qu’ils avoient de tirer du Texte les Passages Grecs & Latins. Je vous avois déja
dit, que je croiois qu’à chaque numero des Traitez, on devoit repeter le mot d’
Article; & que, si je ne l’ai pas mis moi-même, hormis au 1. c’étoit parce que je
croiois que l’Imprimeur, averti une fois, suppléeroit aisément ce mot. Pour ce qui
est du Titre, j’avois déjà résolu de vous proposer, si vous ne trouveriez pas bon
de faire préceder celui que j’ai mis sur la Copie, d’un 1 mot biffure plus court, dont l’autre
seroit l’explication: Histoire des Anciens Traitez, ou Recueil Historique & Chron. &c
Ainsi on pourroit mettre au haut des pages le prémier seul; avec la désignation de
la I. Partie, ou II. Partie. J’ai oublié aussi de dire à l’égard des Tables, qu’il n’en
faut, à mon avis, faire que pour toutes les deux parties. Ainsi je désignerai la Partie,
par un Chiffre Romain, & le Traité par un petit chiffre, en ajoûtant ensuite les chiffres
des Notes, ou de la page, selon qu’il sera nécessaire. Par exemple: I. 28. pag. 36.
I. 30. Not. 2. col. 1. &c.
Je plains Mr Coste d’avoir perdu si tôt une Epouse, du caractére dont vous
la représentez, si propre à lui faire passer agréablement le reste de ses jours. Il y a
long tems que vous m’aviez dit qu’il étoit à Paris; je le croiois de retour en Angleterre.
Cependant de la maniére que vous parlez, sa Femme doit être morte à Paris.
Ce que vous m’apprenez de la maniére tranquille dont vous vivez, & de
la bonne servante que vous avez, me fait beaucoup de plaisir. Je vous souhaitterois
tous les jours quelque Compagnie, dans les heures où vous ne pouvez vous divertir
à la lecture. Mais c’est ce qui n’est pas à esperer, malgré le nombre de vos Amis,
dans une Ville, qui, comme vous le dites très-bien, n’est guéres bonne que pour
des Marchands. Je souhaitte que vôtre vuë s’affermisse autant qu’il est possible,
& que du moins vous jouïssiez d’ailleurs d’une bonne santé. Mon Gendre & ma
Fille font les mêmes voeux, & vous remercient, aussi bien que moi, des voeux
que vous faisiez pour nous dans cette nouvelle année. Ma petite-fille
croit & se porte à merveille, aiant beaucoup de connoissance pour un enfant qui
n’aura que deux ans le 13 du mois prochain. Je suis toûjours, mon
cher Monsieur, Tout à vous
Barbeyrac
Si vous avez eu quelque tems occasion de
voir M. Waesberge, je vous prie de le faire souvenir.
1ò. Qu’il m’avoit promis la seconde Partie du Prémier Tome des Scriptores Rerum
Italicarum de Muratori, lors qu’il m’envoia la II. Partie du II. Tome. 2ò. Qu’il ne m’envoia
des Oeuvres de Sigonius, dont je lui demandai tout ce qui avoit paru & qui paroîtroit en suite, que
les deux prémiers Tomes, dont l’un est cousu en deux. Et cependant, il y en avoit alors quatre
Tomes: & on voit par le Journal de Paris Octobr. 1736. pag. 271. que le cinquiéme a paru;
qui sera bien tôt suivi du sixiéme & dernier.