Transcription

A Groningue ce 18 Août 1738.

Quand j’eus appris, Monsieur mon très-honoré Collégue, que vous aviez
repris vôtre ancien poste dans l’Académie de Lausanne, je ne pus
qu’admirer vôtre courage, & vôtre zéle pour le bien public. Je souhaitte
de tout mon coeur, que la continuation d’une santé & d’une vigueur aussi extraordinaire
que celle dont vous jouïssez, vous mette en état de rendre ainsi service pendant
long tems, & ultra sortem vitae humanae, à vôtre Patrie & au Genre Humain.

Dès que j’eus reçû vôtre Lettre du 21 Mars, que l’on m’envoia d’Amsterdam,
comme aiant été apportée par la Sœur de M^r DesMoulins, Ministre à Leide;
j’envoiai à Breda celle que j’y trouvai jointe pour S. A. S. M^r le Prince
d’Orange. M^r de Saumaise, son Gentilhomme, à qui je l’adressai, la lui
aura sans doute remise. Vous me parliez alors d’un Exemplaire de vôtre
Commentaire sur l’Essai de Pope, comme souhaittant que je le fisse aussi
parvenir à ce Prince: mais vous ne disiez pas par qui vous l’envoieriez; &
j’étois surpris que la personne, qui avoit apporté vos Lettres de Lausanne,
n’eût pas été aussi chargée du Livre. Deux ou trois semaines après, je reçus
par le Batteau d’Amsterdam, sans aucune Lettre ni avis, un paquet, où je
trouvai deux exemplaires de vôtre Commentaire. J’en fis remettre un
à Leuwarden, pour être envoié de là au Prince; & je ne doute pas qu’il
ne l’aît bien reçû. Je m’en informerai dans l’occasion. Je vous rends de
très-humbles graces de l’autre exemplaire, que j’ai gardé pour moi. Tout
ce qui part de vôtre plume, & qui me vient de vous, m’est précieux. Vous
verrez dans la Bibliothéque Raisonnée un Article sur l’Examen; auquel
on a joint un mot sur le Commentaire, comme en étant une suite & un supplé=
ment. Peut-être cet Article, qui est entre les mains des Libraires, se trouvera-=
til dans la Partie du Journal, qui est sous presse, pour Juillet, Août, Septembre.

Vous ne sauriez mieux faire, que de réfuter en forme, dans un
Ouvrage exprès, les Principes de la Philosophie Leibnitzienne. Il est
fâcheux qu’un Systême, également chimérique & dangereux, trouve tant
de défenseurs, & qu’il se glisse chez vous, où de meilleurs principes s’étoient
établis depuis assez long tems.

Voilà enfin la Paix rétablie à Genéve. Dieu veuille que ce soit
pour long tems. Je ne sai rien des conditions, que ce qu’on en a
<1v> dit dans les Gazettes. Je puis néanmoins comprendre par là, que le Peuple
a assez gagné, & que la forme de l’ancien Gouvernement a reçû divers
changemens. Mais il vaut mieux un ordre fixe, quel qu’il soit, que de laisser
lieu à de nouveaux troubles. Ce que j’y vois de plus fâcheux, c’est que
par la garantie, qui néanmoins étoit nécessaire, les Genevois se sont mis dans
quelque dépendance de la France; car pour ce qui est des Cantons, ils n’ont
rien à craindre de ce côté-là.

Depuis que j’ai trouvé un exemplaire de vôtre Dissertation De Physicae utilitate,
j’ai ou manqué d’occasion, ou oublié, d’envoier ce petit Livre à Amsterdam.
Je le fais aujourdhui, afin qu’on vous le fasse tenir par la prémiere voie
qui se présentera. J’y joins l’exemplaire de vôtre Examen, qui étoit
destiné pour la feue Reine d’Angleterre, puis que vous ne m’avez
donné aucun ordre d’en disposer autrement.

Je renouvelle les vœux que je fais pour vôtre conservation, & pour
le rétablissement de la santé de Madame vôtre Epouse. Je suis &
serai toûjours avec le plus parfait dévouement

Monsieur & très-honoré
Ami & Collégue

Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur

Barbeyrac

A Monsieur

Monsieur de Crouzas, Conseiller de S. M.
S. & Landgrave de Hesse &c.

A Lausanne