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Lettre à Jean-Pierre de Crousaz, Groningue, 23 novembre 1732
A Groningue ce 23 Nov. 1732
Monsieur mon très-honoré Ami, & ancien Collégue
Je profite de l’occasion que j’ai d’écrire à Mr Polier, pour vous remercier de
l’exemplaire de vôtre nouvel Ouvrage, que je reçus avanthier, avec vôtre Lettre. J’envoie
aujourdhui à Breda celle que vous écrivez au Prince. Mon Gendre l’addresse au
Chapelain de la Princesse, & le charge de demander à Son Altesse, si elle veut
qu’on lui envoie là l’exemplaire que j’ai pour lui, ou si elle veut qu’on attende
son retour en Frise, qui ne sera, à ce qu’on dit, que dans le mois prochain. Pour
ce qui est de l’exemplaire, que vous destinez à la Reine, je doute si le Gentilhomme,
que je connois, voudra ou pourra trouver le moien de le faire parvenir à cette
Princesse. Je le lui ferai pourtant proposer, quand la Cour sera revenuë à Leuwarden,
où mon Gendre ira aussi tôt à cette occasion.
Ce que vous me dites de Genéve, & ce que j’en sai d’ailleurs, montrent bien que
vous avez raison de regarder l’Areligion comme une grande source de ces Séditions
effrénées. J’ai fait, comme vous, réflexion à la grace que Dieu avoit faite à
Mr Turrettin, de le retirer avant cette derniére catastrophe. Il m’avoit dit plus
d’une fois, en parlant du passé, que ce qui le consoloit, c’est qu’il n’y avoit point
eû de sang répandu. Mais il n’a jamais cru, que la tranquillité apparente dont
on jouïssoit depuis quelque tems, fut durable.
Je suis fâché d’apprendre, que Madame Crousaz ne jouït pas d’une bonne
santé. Je souhaitte qu’elle reprenne sa vigueur ordinaire, & que cela affermisse
le bon état où vous vous trouvez; en sorte que vous puissiez exécuter tous
les projets que vous formez pour l’utilité publique. La maladie de Mr
de Chesaux, vôtre Petit-fils, a quelque chose de fort extraordinaire. Je souhaitte
que les espérances, que vous donne Mr Boerhave, se vérifient, & je l’espére.
La jeunesse est un grand point, pour aider à l’effet des remédes.
Nous venons de perdre Mr le Bourguemaître Gockinga. Vous le connoissiez,
& vous jugerez ainsi que c’est une grande perte pour l’Etat. Il étoit dans sa
74 année. Je perds en lui un grand Patron. J’ai vû Mr d’Aduard à sa
campagne, dans deux voiages qu’il a faits ici l’Eté passé; le dernier pour le
mariage de celle de ses Filles qui restoit à pourvoir. Je ne manquai pas de
lui faire vos complimens; il s’informa fort de vôtre état, & me chargea de
de vous saluer de sa part.
Ma fille a perdu les deux jumelles, dont elle avoit accouché l’Eté passé.
Cette perte ne m’a pas été aussi sensible, que l’allarme que j’eus d’un
fâcheux accident qu’eut la Mére, & qui a fait qu’elle a été long tems
à se remettre. Je fais toûjours les vœux pour les plus ardens pour vôtre
Conservation, & pour celle de toutes les personnes qui vous sont chéres. Je
suis avec tout le dévouement & toute la sincérité possible,
Monsieur
Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur
Barbeyrac
J’oubliois de vous marquer, que, quand le
Prince étoit ici le Printems passé, je lui demandai,
s’il avoit bien reçû les deux Livres, que vous lui aviez fait
envoier d’Amsterdam. Il me répondit, qu’ouï. C’est tout
ce que je puis vous dire.
<1v> J’oubliois encore de vous dire, que je vous ai fait envoier,
dans un ballot pour Genéve, la nouvelle Edition de mon
Traité du Jeu, en 3. volumes.
A Monsieur
Monsieur De Crousaz Conseiller des
Ambassades de S. Maj. le Roi de Suéde &c
A Lausanne