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Lettre à Angletine de Charrière de Sévery, Uckfield, 29 décembre 1793
Sheffield Place
29e Dec. 1793
Je viens de recevoir par Monr Francillon ,
le Gobelet que ma tres chere Angletine m’a
envoyée. Je trouve la Porcelaine très belle,
mais si elle ne l’etoit pas autant qu’elle
l’est, je la prefererois à la meilleure Manufac=
ture du Monde, puisqu’elle vient de vous &
de la Suisse. Mais ce qui me rend ce Gobelet
d’un Prix inestimable, c’est qu’il me prouve
que vous ne m’avois pas entierement oubliée,
quoique je le merite bien, n’ayant pas repondu
à votre derniere Lettre, & par cette omission, vous
auriez pu me croire insensible aux temoignages
de votre Amitié. Cependant votre Souvenir
est toujours au fond de mon Cœur, & mon
premier Désir, est de conserver cette Amitié,
& de vous revoir. Oui, ma Chere Angletine,
quoique j’ai laissé passer plusieurs Mois
sans vous ecrire, vous m’êtes toujours bien
chere, & je pense souvent à vous. Je porte
toujours vos Cheveux que vous m’avez donné
& votre Canne, m’accompagnera toujours
à Cheval, si je ne craignois de la briser, au
<1v> Moins, je la regarde souvent, & je me rappelle
à lors, le dernier Jour que nous avons passées
ensemble, & notre Promenade, quand vous me l’avez donnée.
Notre cher M. Gibbon a été malade depuis
quelques jours . Il n’a pas même quitté sa Chambre
ayant eu un peu de Fievre, mais il est
beaucoup mieux aujourd’hui, & il compte descendre
à Diner, pour la premier fois depuis Mardi.
Le tems approche bien rapidement, quand
il doit nous quitter pour aller à Londres,
& nous ne le reverrons que pour quelques
Jours avant qu’il quitte L’Angleterre, pour
retourner en son Paradis, à Lausanne.
Nous devons rester à Sheffield Place l’Année
prochaine, & je m’en réjouis, puisque je
n’aime pas beaucoup le Séjour de Londres,
qu’il m’est tout-à-fait une Nouveauté de
passer le Printems à la Campagne, & que
cette Saison a bien de Charmes. Je n’aurois
pas voulu choisir cet Hiver en particulier
pour notre Retraite, s’il n’y avoit pas eu
de fortes Raisons, puisque je perds beaucoup
de la Societé de M. Gibbon 1 mot biffure en restant
a là Campagne. Mais la Santé de Louise
<2r> est très délicate, & elle ne pourroit pas encore
supporter les fatigues de la Vie qu’on mene
à Londres. Mon Pere sera obligé d’aller
souvent remplir son devoir de Membre
de Parlement, mais je ne crains pas,
de me fatiguer ici, à l’aide de ma Musique
de la Lecture & de l’Ouvrage, & Louise & moi
ne seront pas seules, puisque nous avons
une excellente Tante, qui a la Bonté
de rester avec nous l’Année qui vient .
Nous attendons demain, La Princesse d’Henin
& M. de Lally . Nous ne les avons pas vus
depuis que nous avons quitté Londres.
Savez vous que Pauline, est en Angleterre
& mariée depuis quelque temps à un
Banquier Hollandois, assez vieux pour
être son Grand Pere, & avec un Nom, dont
je ne me rappellerai jamais.
Nous parlons tous beaucoup de Lausanne avec
M. Francillon. Les Desseins de la Maison & du
Pavillon de M. Gibbon, que M. Levade envoye à mon
Pere, me rappellent vivement les Jours que j’y ai
passée, & les Personnes que j’y ai vûs. Adieu, ma
toujours chere Angletine. Quoique je n’ai aucun droit
de le demander, je vous prie de m’ecrire bientôt une
<2v> longue Lettre, & je vous promets une meilleure
Conduitte de ma Part, & de ne plus laisser passer tant
de Semaines sans vous repondre. Encore Adieu,
& croyez à la sincère & parfaite Amitié de
votre Affectionnée
Maria Holroyd.
Si M. de Seigneux est à Lausanne, faites lui, je
vous prie, les Complimens de toute cette Famille, mais
particulièrement les miens.
À Mademoiselle
Mademoiselle de Severy
à Lausanne
en Suisse