Transcription

Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Uckfield, 23 janvier 1788-24 janvier 1788

N° 11

23e Janvier ..88

Je n’ai pas encore comencé depuis que je suis parti une lettre ou j’eus plus de choses
a Vous dire, et ou je fus moins en train de les dire j’ai eu hier le plus terrible accès de
melancolie que j’aie senti depuis que je suis parti, mais au point de ne scavoir ou me
mettre et de faire les hauts cris, il ny a que ceux qui conoissent ces sortes d’etats qui puissent
me plaindre et se faire une idée de tout ce que j’ai souffert. Je m’en vais comencer la
naration de tout ce qui m’est arrivé depuis que je Vous ai ecrit Mardy passé. Si ma
lettre ne devoit pas partir demain pr Vous etre Vendredy grand jour de poste a Londres je
ne la comencerai pas car mon esprit est plus agité qu’occupé de ce que j’ai a dire
et je sens que je suis encore bien triste quoique pas au point ou je l’etois hier.
Après Vous avoir ecrit Mardy passé je reçus le Vendredy Mecredy Votre lettre du 2e de Janvier
et je partis pr Sheffield  ou Vous savès que Mylord  m’invitoit pr aller a un bal a
Lews, petite ville voisine j’y fus en effet le Jeudy avec lui dans sa chaise de poste. il
me presenta au bal a toute la famille Pelham consistant en M.  et Mylady 3 fils dont
deux membres du Parlement deux filles et une etoit restée a la maison pr incomodité
Les Ils me reçurent tous avec infiniment de politesse, et les deux fils ainés surtout me firent
beaucoup d’amitiés. Le bal fut joli sans etre bien animé, Vous avès vu des Anglois dansser
a Lausanne cetoit la même chose, il y avoit de joli visages en femes, je danssai tout
le soir avec la même Demoiselle, elle etoit aimable et je causai avec elle, nous y fumes
jusqu’a onze heures, puis Mylord me mena souper en ville ches un Monsieur qui
a feme et enfans, puis (n’ayant point trouvé de place a l’Auberge) Mylord fut coucher
chès une de ses conoissances et moi dans une chambre que l’on m’avoit procuré de
l’Auberge. Le landemain je fus à une assemblée de Justice qui se tient tous les trois mois
appellée quarter Sessions puis nous partimes de Lews pr retourner diner a
Sheffield, après avoir fait une visitte chès les persones ou nous avions soupé
qui sont des gens trés come il faut, il y avoit quatres jeunes Demoiselles deux filles
de la maison et deux etrangeres, jy jouai du clavecin, et je compte y retourner.
J’ai passé a Sheffield huit jours depuis Mecredy que jy allai, jusqu’a hier
Mardy avec Mr Gibbon et je puis dire que jy très agrèablement, Mylord et
Mylady ont eu pr moi des bontés touchantes, et Mr Gibbon toujours le même
il partit hier matin a 9 heures pr Londres puis les Demoiselles Holroyd a 10 et moi
a une heure pr ici. Mylord et Mylady quittent aujourd'hui Sheffield et sont
peutetre a present a Londres car il est 8 h. du soir, Mylady m’embrassa en me
quittant, et moi je vous avoue que j’avois le coeur bien serré, de les voir partir
et de revenir ici, ils me temoignent tant d’amities et de bontès que cela est
naturel, arrivé ici je lui renvoyai par le retour de ma voiture, (car j’en
avois pris une) des livres et de la musique qu’elle m’avoit preté et je lui
ecrivis deux lignes, dont j’ai reçu aujourd'hui la reponsse qui est pleine
d’amitiés. Arrivé ici il me prit un si terrible accès de melancolie, que je ne
me ressouviens pas d’avoir eprouvé de pareils sentiments, Je voyois partir
ces gens de Sheffield et il me sembloit que j’etois perdu, les amitiés qu’ils
m’avoient faites et la paix dont j’avois joui ces huit jours ny contribuoit pas
peu, a tout cela se meloit, mille sentiment penibles de Vous, des souvenirs enfin
ce fut un point que ne scachant que devenir je fus sur le point de m’enivrer
pr me tirer de cet etat, auquel dans ce moment la je n’entrevoyoit point
de fin, je ne le fis pas, et le someil m’a un peu calmé, cependant la journée
d’aujourd'hui a eté bien penible, mais j’espere peu a peu revenir a moi même
et retrouver mon courage, au milieu de ma tristesse je sentois que je devois
Vous ecrire pr Vendredy et sur un sujet qui demandoit du sang froid et
de la reflexion, je m’en sentois incapable, (car je n’ai pas encore parle de
cet article que Vous savès deja mais sur lequel j’ai tant a vous dire) toute
cette confusion d’idée dans ma tête formoit un Chaos si grand que je ne
savois ce que je faisois, exepté que je me sentois malheureux je passai la
soirée devant un feu dans une chambre seul (car je voulois l’etre) a
ronger mes idées, incapable de lire d’ecrire, et je crois même de pensser
je m’allai coucher après neufs heures, j’ai dormi, et aujourd'hui j’ai eprouvé
les mêmes sentimens mais j’avois plus de forces pr les suporter. Je ne crois pas
d’en eprouver d’agreables ici mais du moins je prie le ciel d’etre a même d’etudier.

<1v> Je m’en vais enfin entamer ce sujet dont Mr Gibbon Vous a fait mention dans sa
lettre  et sur lequel je m’en vais raisoner avec Vous, Mr Gibbon Vendredy passé come
jetois avec lui dans sa chambre, venant de lui lire les nouvelles de Lausanne me
demanda si Vous conties bien me voir revenir au mois de May ou Juin et me fit une autre
question qui me conduisit a lui dire Mr ma Mere m’a fait part dans sa derniere
lettre  d’un projet, en l’air, que j’avois longtems balancé, si je les Vous en parlerois ou
non, qu’enfin songeant combien il etoit peu sur, je m’etois decidé a ne le lui pas
dire Vous le dire, mais Votre question my conduit et je m’en vais Vous le dire la
dessus il temoigna un desir vif de le scavoir (je ne lui avois même jamais vu
autant d’impatience et de vivacité) je lui ai donc lu l’article de Votre lettre sur
Spa, après l’avoir ecouté il me dit, en recompensse de Votre confiance me dit-il
je m’en vais Vous faire part d’une autre projet (Vous comprenès avec quelle attention
j’ecoutois) la dessus, il me fit part de son projet d’echange entre la fille de
Mylord  et moi, et après en avoir parlé quelques tems, même, dit-il, la
proposition en est faitte et elle voyage a present, j’en ai parlé dans la lettre
que j’ai ecrite a Mad. Votre mere. Rien ne fut egal a mon ètonement, La
dessus il reprit, La fille de Mylord, est une riche heritiere des biens et du titre
de Mylord elle est dans sa dixseptieme anée et le tems après cet hiver
ils sont embarassés sur les maniere de la maniere de vivre a adopter pr
elle ils ne peuvent plus la traiter come un enfant et d’un autre coté ils
ne veulent pas la presenter dans le monde et plus a la cour et ils regardoient
come le plus grand bien qui pourroit lui arriver si Madame Votre Mere
Pour laquelle ils ont conçus la plus haute estime vouloit la prendre auprès
d’elle et la traiter come sa fille, l’exemple de Mad. Votre soeur, les sages leçons de
Mad. Votre Mere jointes a ses bones dispositions la rendroit une persone
accomplie. Enfin Mylord et Mylady ont ce projet extremement a coeur, et ils
regarderont cet evenement projet sil peut reussir come un des plus heureux, sur
de tout le bien qui en resultera pour leur fille. D’un autre coté d'it-il ils s’engagent
a avoir pr Vous toutes les attentions possibles, a Vous procurer tous les agremens
et a Vous traiter plutot come un enfant que come un etranger, Vous passéres
l’eté ici a Sheffield occupant mon appartement, en ville de même, et Vous
serès dans la Cas de faire toute conoissances avec toutes celle de Mylord qui sont les
premieres du Royaume, et je n’ai pas besoin de Vous detailler tout le bien qui Vous
en resultera tant pour Votre conoissance de l’Anglois que pour mille autres choses
Cela eloignera de quelques mois Votre retour auprès de Vos Parens, surement, mais
c’est a Vous de voir, de faire Vos reflexions, Vous me dires si ce projet Vous plait.
Je lui repondis Mr Je comence par Vous remercier de la bone opignon que Vous
Voules bien avoir de nous tous, ce projet merite reflexion je suis on ne peut pas
plus touché de Vos bontes et de ceux de Mylord et de Mylady. La dessus nous raisonames
beaucoup sur mille circonstances, relatives a la choses, et nous pensames tout ensembles
Puis je le quittai pr faire mes reflexions qui je Vous assure ne furent pas en petit
nombre, je dormis peu, et voici quel fut ma reponsse suite de mes reflexions lesquelles
ils me seroient impossibles a Vous detailler simplement voici, le principe sur lequel
je lui repondis, Je songeois que dans cette circonstance je ne pouvois a ses yeux et a ceux
de M. et Mylady paraitre que come goutant extremement leur projet; çauroit eté mal
reconoitre leur bontés que de temoigner ne pas vouloir rester quelques mois de plus
avec eux; Voici donc ma reponsse. Vous sentés Monsieur combien la chose que
Vous proposès est delicate, pour la grande consequence combien un depot come celui
la fit une chose precieuse, et de conséquence, je ne vois rien dans le monde qui
soit au dela, vous sentes de plus que c’est une peu chose qui faut qui reussise dans
tout les points generalement, et qu’un seul qui elocherait detruiroit par son importance
tous les autres, bien des autres, et je m’etendis un peu, puis je lui dis Monsieur
Vous savès que la santé de ma Mere est foible, ou du moins pas bien forte cette
chose demande tous les soins et toute la suite possible et je suis sur quelle les prendrois
au plus haut degrès s’il elle entreprend la chose, je ne puis que lui exposer la
chose, et c’est a elle a juger si sa santé lui permet, de se charger d’un depot qui
par son importance ne peut que lui doner beaucoup d’inquietude, pendant tout ce
tems qu’il sera entre ses mains, si je la pressois de le faire, elle le feroit j’en suis sur
par consideration pour le bien qui m’en reviendroit mais Vous jugès si aucun
bien dans le monde pouroit equivaloir auprès de moi un affoiblissement dans
la santé de ma Mere, je lui dirois les en lui ecrivant les raisons diverses circonstances
<2r> que je la prie de se decider non par raport a moi mais par raport a elle. Mr
Gibbon fut a ce qu’il m’a paru fort content de ma reponsse. Mylady a qui il la repeta
ensuite fut touchée des sentiments qui me la dictoit. Puis nous raisonames Mr
Gibbon et moi pendant plus de deux heures, je conclus, que je Vous ecrirois et que je
repondrois a tous les obstacles qui naturellement devoit se presenter a Votre esprit
au premier coup d’oeuil j’ajoutai que si la chose ne pouvoit reussir il pouvoit etre
persuadé que cela viendroit (il avoit s’etoit lui-même servi de cette Phrase) de Votre
exès de delicatesse. Dans le cours de la conversation en raïsonant sur la societé des jeunes
gens que Mlle Holroyd verroit a Lausane, et sur le peu d’Anglois jeunes que nous voyons
je lui dis Vous ne craindriès pas David ou Seigneux, Oh! mon Dieu non, dit-il en
eclatant de rire, je Vous craindrois bien plus; Oh! pour moi, lui dis-je Monsieur
Vous auriès tort de me craindre dans une circonstance come celle cy, Et je disois bien
vrai jai ladessus des senti Je me sens la dessus des sentimens d’honeur que
rien ne me feroit transgresser (ceci est une simple reflexion je ne lui dis pas cette
derniere Phrase). Il reprit en disant Si la chose ne reussit pas (ce qui me feroit
bien du chagrin) cela servira du moins a Vous prouver l’estime que moi M. et
Mylady ont conçus pr Votre famille et pr Vous, il ny a pas de femes a qui je voulusse
engager Mylord a confier sa fille, et l’intention qu’il fait paroittre de Vous prendre
chès lui sur un pied aussi intime Vous prouve combien il est satisfait de Votre
conduite. Si je Vous avois conu aussi bien que je Vous conois apresent, je Vous aurois
certaiment pris avec moi a mon depart de Suisse, et je n’aurois pas crain pr Vous
les dangers, qui m’en empecherent alors. Mylady me parla de son coté de la chose come
la souhaitant beaucoup, Mylord aussi, il me parla avec une franchise et une ouverture
qui me toucha, il me dit Vous voyès ma fille elle doit-etre mon heritiere elle l’est même de
mon titre ce qu’elle ignore, car j’ai taché de l’elever avec la plus grande simplicité, je crois
que cette absence de la maison paternelle, et l’avantage d’etre aupres dans une maison
composée come la Votre, lui sera infiniment avantageux, quand a Vous dit-il en me
prenant la main, Nous ne negligerons rien pr Vous rendre ce sejour agrèable et
pr vous prouver combien nous avons conçu pr Vous d’estime et d’amitié. Enfin que
Vous diraije ils m’ont comblès jusqu’au dernier moment que je les ai quitté de bontés
J’ai promis de Vous ecrire au plutot, et après Vous avoir exposé la chose en detail
je Vous ferai la naration de tous les articles relatifs a Mlle Holroyd au cas que la
chose reussit, et puis dont Mr Gibbon me pria de lui faire une liste pr que je n’oublia
rien. Puis je Vous dirai quelles sont mes reflexions et mes souhaits. J’ai recu ce
matin 24e Votre chere lettre du 9e N° 14 . Mais je n’ai pas voulu interompre le fil
de ma naration et même aujourd'hui je ne serois pas capable de Vous repondre
bien en detail, sur Votre chere lettre. Ce que j’ai a Vous dire est si interessant par les
suites qu’il doit avoir, j’en suis si occupé, et n’ayant persone ici avec qui je voulus
et même puisse en raisoner, Vous jugès combien cela m’inquiete et m’absorbe.
Il me paroit (qu’outre le bien qui en resulteroit pr M. Holroyd d’etre avec Vous qui est
bien clair) Neptune  voit dans ce projet, une manière sure d’attirer Mylord et Mylady
a lui faire une visitte a Lausane, pr a mon egard il est sur que dans un sens, je
voyoit aussi la reussite du projet du voyage avec quelqu’un Vous savés, A cela je Vous
dirai que jy repugne autant que Vous, je n’ai pas contrecarré ces idées lorsqu’il
m’en parla mais je ne conssentirai jamais, a devenir ce qui pr parler clair et
net le Serviteur payé de gens, qui quoique grands Seigneurs, ne me le paroissent
pas assés pr devenir cela auprès d’eux. Mes vuës ne sont point ambitieuses je ne
desire qu’acquerir pendant le tems que je serai forcé a m’eloigner de Vous non de
l’argent, mais des idées des regles de conduites, et des moyens de Vous rendre
heureux par mes sentimens, je Vous avoue que l’idée de prolonger mon
absence m’est odieuse le tems est precieux pr etre ensembles, Aucun agrent
quelconque ne sauroit me tenter, Je desire Vous revoir au mois de Juin ou de
Juillet au plus tard, même supossé que je prisse un mois de plus pr me
perfectioner cela seroit bien mais de pousser jusqu’au milieu ou même a
l’automne de 1789, cela me fait horeur. Je fais ici un role qui n’est pas dans
mon caractere, tout en temoignant a Mr G. a M. et a Mylady que ce projet
me plaisoit, je sentois au fond de mon ame qu’il m’inspiroit pr eux une vive
reconoissance mais qu’en même tems il me faisoit trembler, pr la 1re fois de
ma vie ma bouche a prononcé ce que mon coeur ne sentoit pas, mais pouvois
faire autrement? je Vous le demande? Je n’ai pas de termes pr Vous exprimer
ce que m’a fait souffrir cette foule d’idée contraires les unes aux autres, joint aux
sentiments de craintes d’etre obligé d’acquiesser a ce projet la manière de Vous
<2v> en ecrire m’inquietoit aussi, livré seul a mes reflexions, sans conseil que moi
même assiegé d’idées qu’un moment d’entretien avec Vous me seroit precieux
combien je sens en ce moment le manque d’amis come Vous, mon inquietude ne
toucheroit persone ici, et je suis reduit a mon chien Julia qui me fait des amitiés
mais qui ne m’entend pas. Je sens combien la lettre de Mr Gibbon va Vous agiter
et je desirerois que celle cy n’arriva pas huit jours plus tard, Il m’a fait part
des termes dans lesquels il Vous avois proposè la chose et il attend Votre reponsse
presqu’aussi impatiement que moi, Vous voyès par l’exposé que je Vous fais de
la chose mes chers Parens, que c’est de Vous que dois venir le refus, et que moi je dois
en paroittre même faché outre la peine que je ressentirois moi de cette imensse
absence pr la longueur et Vous aussi, je n’ai pas besoin de Vous faire remarquer ce
que c’est que de prendre une jeune fille et de plus une persone come celle cy, destinée
par sa naissance Sa fortune et mille autres circonstances a devenir la feme d’un
des premiers personages du Royaumes; je sais bien que toutes ces circonstances
n’ajoutent rien a la tendresse des Peres pr les enfans, mais a mes yeux et aux
Votres surement, cela ajoute infiniment a la delicatesse d’un depot come celui
la. Je suis sur de ma conduite a moi, mais jugès aussi combien il est difficille de vivre
pendant si longtems dans une maison come celle la et sur un pied intime ou jy
serais. Je suis sur de J’ai reçu trop d’amities de M. et de Mylady pr ne pas pouvoir
faire fond sur leur indulgence, au cas que je manquasse en quelques choses, mais
toujours il faudroit une delicatesse et une egalité de conduite bien rare, et dont je
ne me sens rellement pas capable, lorsqu’on est si près les uns des autres pr si
longtems les moindres actions d’un individus influent sur tous les autres, j’ai
le coeur bien placé je le sens (il ressembles aux Votres il s’est formé sur Votre exemple)
mais quel est le mortel qui puisse etre sur de toutes ses actions, non pas une faute
mais une imprudence seule m’oteroit tout le plaisir de ma situation et en
eclipseroit a mes yeux tous les avantages, Vous chers Parens qui avès tant de
sens et de jugement Vous verrès et reflechirès beaucoup mieux que moi, Mr Gibbon
M. et Mylady compte beaucoup sur cette lettre ici pr Vous engager a accepter la
proposition, et je leur ai promis de refuter les objections qui se presentent le
plus naturellement, et je le ferai pr tenir ma parolle. J’en ai fait une notte et je m’en
vais la suivre article par article, du moins je n’aurai pas eté faux dans
toute l’etenduë du terme, j’ai dit a Mr G. que je ne pouvois pas Vous presser
je m’en vais Vous detailler coment Mr G. il a levé les obstacles, que lui est moi
avons trouvé ensembles. Je conois d'avance trop bien Votre delicatesse et Votre
tendresse pr moi pr ne pas scavoir d’avance Votre reponsse. Tous les Mettons
que tout reussiss reussit au mieux dans l’execution du projet les avantages
qui en resulteroient pr moi ne compensseroit jamais Vos inquietudes continuelles
les mienes et la dure absence. Je ne pourrois assès Vous repeter combien
il m’en a couté pr deguiser mes vrais sentimens, et combien malgré la necessité
qui my obligeoit et apresent encore il me semble avoir trompè des gens qui
agissoient avec moi avec la plus grande franchise, qui m’ont comblès de
bontés d’amities et a qui je voudrois temoigner ma reconoissance. J’espere que
quelques jours affoibliront l’amertume de mes pensées. Je m’en vais donc comencer
la note des objections que j’ai ecrite devant Neptune et y repondre.

La Santé est le premier point que j’objectai et je dis Ma Mere dira - Grand
Dieu si cette jeune persone alloit tomber malade entre nos mains? A cela Gibbon
repond que la jeune persone a une exelente santé cela est vrai, que dailleurs
elle seroit en cas de malheur a même d’avoir tous les secours possibles et que lui
qui seroit toujours la ajouteroit a la confiance de M. et M. sur cette article. Ensuite
sur la simplicité de nourriture, il repondit Que je devois voir qu’elle etoit fort
simple dans son ce qu’elle mangeoit cela est vrai et que notre table seroit plus que suffisante
pr elle. Quant au logement 3eme de mes objections il me dit, que cette jeune
personne avoit eté jusqu’ici elevée avec tant de simplicité qu’elle n’avoit jamais
eu de chambre a elle etant toujours et couchant dans la même chambre que sa
gouvernante, qu’elle n’avoit jamais eu de tiroir a elle fermant a clef, et qu’elle se
trouveroit plus qu’heureuse d’occuper ma chambre a coté de celle de ma soeur
Quand a la manière de vivre, elle navoit eté elevée jusqu’ici avec tant de
simplicité qu’elle n’avoit point vu le monde elle n’a pas même eté a un bal
de sa vie, et pr comencer a voir compagnie celle de Lausanne lui conviendroit
beaucoup mieux que le grand monde de Londres, elle Vous suivroit avec plaisir
a la campagne a Rolle  & &. La jeune Demoiselle ne sait rien absolument de tout
<3r> le projet cela fit que je demandai a Mr Gibbon si elle le feroit de bon coeur
La dessus il me dit, que par plusieurs questions indirecte que lui le Pere et la Mere
lui avoient faites ils avoient jugé que ce seroit un bien grand plaisir pr elle. Elle
souhaiteroit disoit-elle se reveiller demain dans une ville du continent, Quoi
sans Vos Parens lui dit-on, Je sais, repondit-elle, que c’est le plus grand bien que les
Parens, mais je ne demanderois qu’une persone a qui je pus me fier, en general
elle est envieuse de voir et de conoittre. Pr les maitres, elle prendroit tous
ceux, de Musique, Dessein &&. qui lui seroient necessaires. Son caractere est
fort bon elle a bon coeur, elle est toute inocente, elle a de l’esprit, beaucoup
d’application et de suite, elle est fiere et a les manieres douces et engageantes
Sa figure est mieux après l’avoir vuë longtems qu’au premier abord, mais je
crois qu’elle sera mieux dans un ou deux ans, c’est je crois de ses persones qui
plaisent a la longue, et par consequent beaucoup plus fortement, je conçois
qu’elle peut plaire beaucoup. Sans etre une beauté elle passera toujours pr
jolie, elle a de fort beau yeux et beaucoup de timidité de de decense dans
son maintien, suite de son education. Mr Gibbon m’a surtout prié d’apuyer sur
les secours et sur la tranquilité que devoit Vous inspirer sa presence continuelle
la bas, La jeune persone vous suivroit dans toutes les sociétés, et les amusements
ou Vous voudriès lamener, Mylord et Mylady souhaiteroit, qu’elle partit avec Mons. G. au mois
de Juin dans une Voiture a part avec sa Gouvernante, qui resteroit huit jours et puis
reviendroit auprès de l’autre fille, puis dans l’eté de 89. Mylord et Mylady en me
viendroit chercher leur fille et me rameneroit en même tems Voila en detail la chose
J’ai tenu ma promesse et Vous ai rendu compte de tout. Lorsque Vous me J’atend
avec une impatience plus que vive Votre reponsse a ma lettre j’espere que Vous
n’aurès pas repondu encore a la lettre de Monsieur Gibbon et que Vous aurès attendu
de mes nouvelles il y a huit jours quelle est partie, je ne pourrai avoir Votre
reponsse que le 18 ou 20 de fevrier, qu’elle longeur. J’ai penssé que Vous ne pouries pas
en parler a la Guerre  qui est cependant secret et de bon conseil il est trop
sensible a toutes les choses ou Neptune a raport. Dans Votre reponsse a Mr Gibbon
ayès la bonté de parler de moi come je Vous ai dit que j’avois parlé, Vous avès
millions de raisons a alleguer pr une, et la preuve même en est dans la crainte
que Neptune a du refus. Milady m’a chargé au cas que la chose ne reussit pas
de Vous faire ses excuses sur la liberté qu’ils avoient pris de Vous proposer cela
elle craint bien que cela ne puisse reussir. Vous jugès parfaitement chers
Parens dans quelle position je suis, il faut que tout aille bien naturellement
car c’est une chose bien delicate. J’ai pr Mylord et Mylady une vive reconoissance
et même une vraie amitié, je Voudrois que la chose put se faire par le
desir que j’ai de les obliger, mais je trouve cela si difficille et puis cette
absence si longue jointe a toutes les raisons cy dessus mentionées font que
je ne puis la souhaiter, ou plutot que je serois au desespoir qu’elle eut lieu
Plus jy pense et plus jy trouve de risques, La Premiere proposition je
Vous l’avoue m’avoit ebloui, d’etre dans la maison de Mylord sur ce pied
voir l’Angleterre & & 1 mot dommage a Sheffield j’etois moins opposé au projet mais
ensuite revenant en arriere, pesant tout par rapport a Vous et a moi j’ai
vu (que mettant de coté l’absence et le tems qui ne revient pas et dont il
faut profiter) il y avoit mille risques inconvenients et inquietudes
continuelles pr Vous et pr moi. Qu’il est dur lorsqu’on est vrai de ne pouvoir
pas toujours dire ce que l’on pensse et surtout a des gens, pr qui je sens ce
que je sens pr Mr Neptune Mylord et Mylady. Consolès moi dans Votre
reponsse et dites moi que Vous aprouvès ma conduite j’ai fait du mieux
que j’ai pu. Je crois que j’ai tout dit sur ce sujet et que je l’ai epuisé. Vous
voyès ce que je pensse, du reste s’il me revient quelques nouvelles idées je
les ecrirai pr ma prochaine lettre, quoiqu’elle viennent trop tard. Je veux
Vous revoir cette anée, lorsque Vous m’ecrirès instruisès moi bien de Votre
Reponsse a Neptune. Il m’est impossible de repondre a Votre chere lettre N° 14.
je suis rendu plutot confli de mes idées, que d’avoir tant ecrit, le billet de
d’Eyverdun  est charmant je l’enverrai ou la copie plutot a Mylady a Londres je
lui ai promis de lui doner souvent de mes nouvelles depuis ici.

<3v> Suposès que le projet n’eut pas lieu j’etois convenu avec Neptune que
j’irai a Londres a la fin de Fevrier ou au comencement de Mars, mon
Anglois avance j’ai traduit le billet de d’Eyverdun en Anglois a Mad.
Clark  pr m’essayer et elle m’a fort bien compris de vive voix. Votre chere
lettre renferme mille details agreables, qu’ils m’ont fait plaisir ils
ont fait diversion a mes idées pr un moment, je suis delivré d’un
grand poix depuis que je Vous ai ecrit, cela me paroit a un point
terrible. Les repetitions de Votre amities de ma Soeur de Babelle
sont pr moi le souverain bien, quand serois je au milieu de Vous?
Cette anée surement bien surement mais les mois sont des
siecles et les heures des anées. Je sens que j’aurai beaucoup de
chagrin a quitter Mylord Mylady toute leur maison, mais ma
patrie est au fond de mon coeur, D’Eyverdun y a lu, j’en aime
les habitans les habitantes j’en suis aimé j’espere. Adieu mes
bien aimès Parens je Vous quitte dans une situation d’esprit peu
tranquille, le repos parfait je n’en puis jouir qu’en Vous voyant
Adieu mon coeur mon ame tout mon etre est a Vous pour jamais

Vilhelm

24e Janvier 1788. Votre lettre N° 14
est arrivé aujourd'hui tout est en ordre et toutes Vos lettre sont
arrivées exactement.

J’ai oublié de Vous
parler dans mes lettres
sur ma soeur et M.
H…
au cas qu’elle ne
s’accordassent pas
je n’ai ni la place ni
le tems de le faire
au reste Vous pensseres
surement a tout. 


Enveloppe

A Madame
Madame de Severy
Ruë de Bourg
a Lausanne
Canton de Berne
En Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Uckfield, 23 janvier 1788-24 janvier 1788, cote ACV P Charrière de Sévery B 104/2613. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/776/, version du 21.08.2017.
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