,
Lettre à Pierre Desmaizeaux, Lausanne, 11 septembre 1716
A Lausanne ce 11. Sept. 1716.
J’ai recu, Monsieur, il y a quelques jours, vôtre lettre du 6 Août, venuë par la poste de
Genéve, sous couvert de je ne sai qui. Je vous avois écrit un peu auparavant par commodité,
en vous envoiant mon 3. & dern. Discours Rectoral, sur le Benefice des Loix; mais apparemment vous
ne recevrez pas cela si tôt. Dès que j’eus reçû les 48. florins de Holl. que Mr de la Motte me
fît tenir de vôtre part, & qui montérent à 19 Ecus 12 sols monnaie courante, j’envoiai
9 Ecus douze sols à Made vôtre Mére, qui doit vous avoir écrit par Mr Bosset, jeune Min.
d’Avenches. J’aurai soin d’envoyer à Mrs Fabri & Barrillot le Traïté de Orig. Mali, qui est pour
eux, & que Mr de la Motte a recu, avec le petit Pufendorf Anglois; dont il m’apprend que vous me
faites présent. Je suis confus de vos honnêtetez, & je n’oserai plus vous rien demander, si 1 mot biffure
vous vous mettez ainsi en frais pour moi. J’ai une Edition du Livre de Origine Mali, faite
à Breme en 1704. & cela est cause que je me suis toûjours étonné que Mr Bayle eût éte
si peu soigneux de chercher ce Livre, qu’il a voulu refuser sur de simples Extraits.
Mr Constant, qui vous a écrit par le même Bosset, dont je viens de vous parler, n’a pu
encore trouver aucune Lettre de M. Bayle, quoi qu’il croie en avoir d’autres. Il craint que
quelcune ne soit restée chez Mr Minutoli, à qui il communiquoit celles qu’il recevoit de leur
Ami commun. Au reste, quand verrons-nous vôtre Vie de Mr Bayle? Le Public l’attend
avec impatience, & l’Histoire qu’on vient de publier est un nouveau motif pour vous faire
hâter de donner la vôtre. Il est de l’intérêt des Amis de Mr Bayle, que l’on aît une Vie
qui fasse plus d’honneur & à eux, & à sa mémoire, que ce Livre, ou ce Libelle, où pour
défendre un Mort on ne garde aucune mesure de l’honnêteté la plus commune envers
des Vivans, & des Vivans dont le mérite est au dessus de tous les traits d’un Anonyme emporté.
C’est une plaisante régle de Morale, que celle qu’il nous débite dans sa Préface, où il veut nous faire
accroire, que, du moment qu’on cache son nom, on est en liberté de dire tout le mal qu’on veut des
autres. Personne ne lui contestera là-dessus la gloire de la nouveauté. La Dissertation de Mr
La Bastide, bien loin de désabuser le Public de la pensée où il est & où je vois qu’il se confir=
me tous les jours, que Mr Bayle est le véritable Auteur de l’Avis aux Refugiez, fournit plûtôt,
ce me semble, de quoi le persuader davantage. J’ai ouï dire plusieurs fois à Mr Constant,
que, quand ce Livre parut, il y reconnut d’abord certaines particularitez dont il avoit informé Mr
Bayle, comme ce qui regarde Mr Merlat.
Je ne savois point qu’il y eût deux Versions Angloises de Grotius, dont la vieille est même meilleure,
que la nouvelle. Si j’étois en païs où je pusse trouver à emprunter ces sortes de Livres, cela me
suffiroit: mais comme je puis en tirer quelque usage, & qu’il n’y a guéres que moi qui puisse
savoir de quelle utilité ils peuvent m’être par rapport à mon plan & à mes idées; ne les n’aiant
aucune espérance de les voir jamais ici, je suis contraint d’accepter l’offre que vous me faites de me
procurer ces deux Versions; à condition que vous me marquerez bien exactement ce que vous
aurez déboursé pour cela, dont je vous rembourserai en faisant tenir l’argent à Made
vôtre Mére, ou autrement. Je dis la même chose de l’Abrégé que vous m’apprenez qu’on vient
de publier, du gros Pufendorf, où l’on a fait entrer 2 mots biffure une Version de l’Abrégé faite
sur la mienne, avec mes Notes. 3-4 caractères biffure Il est bon pour moi d’avoir ces sortes de Livres, ne fût-ce que
pour pouvoir en parler dans une Préface; & j’en tirerai d’ailleurs cet usage, que j’y apprendrai de quelle
maniére on exprime en Anglois bien des termes de l’Art. Je voudrois, Monsieur, être dans un Païs
d’où il pût sortir quelque Livre que vous souhaittassiez d’avoir, je me ferais un grand plaisir de vous
l’envoier. Au défaut de Livres nouveaux, il se pourroit faire que je trouverois parmi de vieux Livres
quelcun qui vous fût utile; j’en ai rencontré quelquefois d’assez rares, qui ne sont pas connus dans
un lieu où il n’y a pas des Curieux. S’il y a quelque Livre de ce genre, dont vous vouliez
me donner le titre, vous pouvez compter, que, quand il me tomberoit entre les mains, je ne le laisserois
pas échapper. Fournissez moi cette occasion, ou quelque autre, de vous marquer ma recon=
noissance. Je suis avec tout l’attachement possible, Monsieur,
Vôtre très-humble & très-=
obeissant serviteur
Barbeyrac
On va reimprimer deux Tomes de Tillotson, que j’ai un peu
<1v> revus; & aussi l’Abrégé de Pufendorf, que vous receverez en son tems. J’ajouterai à celui-ci
un Jugement d’un Anonyme sur cet Ouvrage, avec mes des remarques, qui serviront à éclaircir
quelques Principes de l’Auteur. Cet Anonyme, que vous reconnoîtrez aisément, c’est Mr
Leibnitz, que dont la Lettre Latine qui contient ce Jugement, n’a paru 2-3 mots biffure que dans un
Programme Académique, imprimé à Helmstad il y a quelques années, & que je n’aurois jamais
vû, s’il ne l’eût envoyé lui-même à Genéve à un de mes Amis.
Je vous prie de faire mes amitiez à Mr Coste.
A Monsieur
Monsieur DesMaizeaux
A Londres