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Lettre à Pierre Desmaizeaux, Lausanne, 25 mai 1714
A Lausanne ce 25 Mai 1714.
Je reçûs, Monsieur, vôtre lettre le 14. de ce mois. Le lendemain j’envoiai l’incluse à Made
vôtre Mére, en lui donnant avis que le jour suivant je remettrois au Messager ordinaire de Berne un
paquet de 25 Ecus blancs, à l’adresse de Mlle de la Touche. Je ne manquai pas de le faire;
mais comme apparemment les Lettres & les Paquets ne sont pas toûjours rendus exactement en leur tems,
à cause que la Poste & le Messager ne passent pas dans Avenches même; je n’ai reçû qu’aujour=
dhui la réponse de Made vôtre Mére, qui m’accuse la reception du paquet. Je n’attendois que
cela pour vous donner avis que je m’étois aquitté de vôtre commission le plus tôt qu’il m’a été
possible. Je priai en même tems Made vôtre Mére de m’envoyer sa réponse à vôtre lettre, &
vous la trouverez ici jointe.
Je vous suis, Monsieur, infiniment obligé de tant de peine que vous vous étes donnée pour
me procurer les Livres que vous m’envoiez: mais c’étoit déjà trop, & je vous avouë que je suis
confus de l’excès de vôtre honnêteté. Vous m’embarrassez étrangement. Je ne sai comment accepter
vôtre présent, & je ne sai comment le refuser. Si j’avois pû prévoir que vous prendriez la chose
sur ce pié-là, je n’aurois eu garde de vous parler des Livres que je souhaittois d’avoir. Encore
un coup, Monsieur, je n’ai rien fait qui dût vous engager à tant de générosité envers
moi; & si vous voulez absolument que je m’en prévaille pour le coup, j’aurai le chagrin de
ne pas trouver aussi aisément & aussi tôt que je souhaitterois, l’occasion de vous en témoigner
ma reconnoissance.
Au reste, je ne crois pas qu’il y aît personne à Genéve (car ici on ne sait ce que c’est
que les Géographes Grecs) qui se trouve avoir besoin des 3. voll. que Mr Hudson vous a envoiez si tard.
J’en ai pourtant écrit à Mr Turretin. Comme le livre est rare, je crois que vous ne serez
pas embarrassé de l’exemplaire que vous avez en main, & même vous étes de en droit de le
faire reprendre à Mr Hudson, qui s’est mis si tard en devoir de vous répondre. Pour moi,
il me suffira d’avoir l’exemplaire passablement bien conditionné, qui est en chemin, 3 caractères biffure quoi qu’un
peu moins propre. Peut-être n’y a-t’il eu jamais à Genéve d’autre exemplaire des
Géographes, dont il s’agit, que celui du I. Volume, que j’y achetai par hazard l’année passée, &
que j’eus à très-bon marché. J’ai prié Mr Turretin de retirer le paquet, quand la caisse de
Mrs Rillet & la Rive seroit arrivée.
Il est fâcheux, Monsieur, pour le Public, que vous n’aiez pas présidé vous même à l’Edition
des Lettres de Mr Bayle. Si Mrs Fritsch & Bohm entendent leurs intérêts, ils ne donneront pas tant
de liberté au Directeur de leur Imprimerie, qui peut d’ailleurs leur être fort utile, s’il se tient dans les
bornes de son Emploi. On m’écrit de Genéve, que vous étes dans le dessein de donner vous-même quelque
jour une édition des Lettres de Mr Bayle, plus fidelle & plus ample. Je viens de voir la 3. partie
du Journal literaire de la Haie, où l’on annonce en même tems l’Edition du Dictionnaire qui
s’avance à Genéve, & celle qu’on va faire à Rotterdam, augmentée, dit-on, d’un volume de
supplément. Les Libraires de Genéve ne veulent pas croire que l’Auteur aît laissé un assez
grand nombre d’Articles pour un tel supplément: je ne sai du moins s’ils seront dans l’état
où l’Auteur vouloit les mettre. Quoi qu’il en soit, la meilleure ressource de Fabri &
Barrillot consiste en ce qu’ils ont une bonne partie de leur Edition venduë d’avance, &
qu’il faut du tems avant que celle de Rotterdam soit achevée. La Table de Mr Marchand,
quoi que longue, fera plaisir aux Lecteurs. Jamais Livre n’eut tant bel ni d’un
vaste Indice.
Vous aurez reçû, à ce que j’espére, les Discours que je viens de faire imprimer en un volume,
& que Mr de la Motte doit vous avoir envoyez. Je ne sai si je vous ai dit, que j’ai entrepris une
nouvelle Version de Grotius de Jure Belli ac Pacis, avec des Notes; où je ne repeterai pourtant rien
<1v> de ce qui aura été dit dans Pufendorf. J’y joindrai les Notes de l’Auteur même; & les citations de ces
Notes, aussi bien que celles du Texte, seront redressées sur les Originaux, autant qu’il me sera possible
de les y trouver. Cela fera un volume in quarto, de la même forme que Pufendorf. L’affaire est
de trouver du tems pour travailler à un si grand Ouvrage. Je vais donner bien tôt une nouvelle
Edition de l’Abrégé des Devoirs de l’Homme & du Citoien, revuë avec beaucoup de soin, & augmentée
d’un bon nombre de Notes nécessaires pour faciliter l’intelligence de ce petit Livre, qui en son
genre est mieux fait que le gros Ouvrage. J’aurai soin de vous le faire envoyer en son tems;
aussi bien qu’une petite bagatelle Académique, que l’on m’a comme forcé de faire imprimer,
& dont je viens d’envoyer le Ms à Fabri & Barrillot; c’est un Discours sur l’utilité des
Lettres & des Sciences par rapport au bien de l’Etat, prononcé aux Promotions de ce mois de
Mai, où j’ai commencé de faire les fonctions pénibles de Recteur, dont j’aurois bien voulu
me dispenser. Au reste, pour revenir aux discours imprimez en Hollande, vous me
sauvez à dire, si Mr de Joncourt ne méritoit pas d’être relancé vigoureusement. Je vous
avouerai pourtant, que, quoi j’eusse un peu de loisir dans le tems que je reçûs ses Lettres, je
ne lui aurois peut-être rien répondu si j’avois prévû en commençant de prendre la plume, que cela
dût me mener si loin. Je n’avois dessein d’abord que de dire un mot; en forme de queuë d’une
Préface sur la nouvelle Edition des Discours de Mr Noodt.
Qu’est-ce que c’est qu’une nouvelle Edition d’Horace, dont on parle dans le Journal
Litteraire, faite par un Neveu de Mr Bentley, qui y ajoint des Notes de sa façon? Je
vous serai obligé de m’apprendre ce que c’est que les nouvelles Notes ajoûtées à la Trad. Angl. du
Lucréce de Creech. J’ai cette Version, & une autre du I. Livre, avec des notes copieuses, par Mr
Evelyn; qui toutes deux me furent envoyées à Berlin par Mr Collins, à qui, par parenthèse,
je vous prie de faire mes complimens, & de dire qu’on doit lui avoir envoyé en même tems qu’à
vous un exemplaire des Discours de Mr Noodt. On parle dans le Journal litéraire de la
n. édition des Emendationes in Menandrum du d. Bentley; & on ne dit pas qu’il y aît ajoûté
autre chose, que sa Lettre sur Malela. Il est néanmoins surprenant qu’en faisant imprimer
lui-même ce Livre sous son nom, il n’aît pas répondu du moins à Philargyre.
Je ne sai si vous savez que le P. Mallebranche se dispose à refuter le Livre de
l’Action de Dieu sur les Créatures, dont on fait un éloge si magnifique dans le J. Literaire.
Mr Dacier travaille à donner ses Vies de Plutarque, & Made Dacier son Odyssée,
dans la Préface de laquelle elle répondra à Mr de la Motte. Le P. Bernard de Mont=
faucon a entrepris un Ouvrage sur les Antiq. Grecques & Romaines: ce sera un Livre
tout rempli d’Estampes sur tout ce qui regarde les Coûtumes des Anciens. Le P. Le Quien,
après son édition de Léontius, travaillera à un grand Ouvrage sur l’état présent des
Eglises d’Orient. Mr Du Pin a publié une Analyse de l’Apocalypse. Voilà des nouvelles
Literaires, que je vous mande à tout hazard; car peut être les savez-vous mieux que moi.
Quelcun a écrit ici de Hollande, que le D. Bentley travaille à une nouvelle Edition
de Térence, où il y aura encore plus de changemens dans le texte, que dans celui d’Horace. Je le
crois aisément. Je me souviens qu’il promet, dans ses Notes sur les Tusculans de Ciceron un Plaute
& un Térence fort différens de tous ceux qu’on a vû.
Mr Constant m’a chargé de vous saluer, & de vous remercier de l’exemplaire des
Lettres de Mr Bayle, que vous voulez lui envoier. Je vous remercie aussi d’avance pour ma
part. Faites moi, Monsieur, l’honneur de m’écrire le plus souvent que vous pourrez, & je serai
exact à vous répondre autant que j’en trouverai le loisir. Sur tout ne m’épargnez pas, quand
il s’agira de vous rendre quelque service. J’y étois déjá tout porté, & vos honnêtetez ne peuvent
que m’y engager fortement. Je suis, Monsieur, avec tout l’estime & toute la reconnaissance
possible,
Vôtre très-humble & très-obeissant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur DesMaizeaux
A Londres