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Lettre à Louis Bourguet, Lausanne, 30 avril 1717
A Lausanne ce 30 Avril 1717.
Monsieur,
J’aurai l’honneur de vous dire, pour répondre à ce que vous me demandiez dans vôtre
derniére Lettre, que l’on ne m’a jamais rien prescrit pour les fonctions de ma Profession, ni pour
le nombre des Leçons. J’ai fait comme j’ai voulu. Je me proposai d’abord de faire quatre
Leçons la semaine; savoir le Lundi, pour le Droit Romain, en Latin par conséquent; les
autres trois jours en François, savoir le Mardi & Jeudi, sur le Droit Naturel, & le Vendredi, sur
l’Histoire. Mais les Auditeurs aiant manqué absolument pour la leçon du Lundi, je ne fis
depuis que les trois autres leçons. Pour le Droit Naturel; l’expliquais le petit Pufendorf, des
Devoirs de l’Homme & du Citoien; & depuis que j’avois commencé à faire mes leçons à la
Maison de Ville, je m’étois proposé, quand l’ordre des matiéres y meneroit, de faire applica=
tion des principes du Droit Naturel aux Loix du païs, & de les expliquer ainsi les uns après
les autres dans quelque ordre. Mais l’occasion ne s’en étoit pas encore présentée, parce que ces
Loix ne se rapportent qu’à un petit nombre de matiéres encore éloignées. D’ailleurs les leçons
publiques vont fort lentement: car elles sont souvent interrompuës, & par les Congez fixes,
qui vont assez loin, & par les Assemblées ou autres fonctions Académiques, qui dispersent
ces jours-là du faire leçon.
Pour ce qui est des Livres, il est certain qu’on ne peut s’en passer, non plus qu'
un Ouvrier de ses outils. Mais on fait de la terre le fossé; on achéte ceux
dont on a le plus de besoin, & puis les autres; surtout dans un païs comme celui-ci,
où l’on ne peut pas vivre d’emprunt. Il vous faudra un peu faire trêve au Chinois, &
autres études plus curieuses, qu’utiles. La vie est courte, & le nécessaire seul emploie
beaucoup de tems.
J’écris aujourdhui aux Curateurs de Berne, pour demander mon congé. J'ai
recommandé en même tems vos intérêts à nôtre Baillif présent, Mr Hacbret;
& au précédent, Mr Sinner, qui est l’auteur de l’établissement de ma Profession, &
qui, à mon avis, voudra soûtenir son ouvrage. Quelcun, qui est venu de Berne,
a dit, qu’on pourroit avoir égard à ma recommandation pour le choix d’un
Successeur. Je ne m’en flatte pas; mais s’il ne tient qu’à cela, vôtre
affaire est faite.
Je vais commencer à emballer mes Livres; ainsi vous jugez bien que
je serai désormais dans de grands embarras. Je passerai par la France, & j’ai
écrit pour avoir un passeport, que l’on espére que j’obtiendrai. Je suis sincérement
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Bourguet
A Neufchatel