Transcription

du bignon le 2 8^bre 1782

à l'instant où je reçois votre lettre mon cher amy, j'y réponds
aussitost comme vous le voyes, si je n'avois eu de vos nouvelles
par ailleurs, je vous aurois cru mort ou malade; car je tenois vos
courses et impegne militaires finies il y a longtemps, mais vous
m'aviés oublié comme vieux linge. heureusement la dame notre
digne amie est venue réveiller votre coeur dans lequel je tiens ma
place depuis trop longtemps pour ny pas etre regnicole. soyés donc
le bien retrouvé, et rapelés vous quelquefois que les gens constamment
et infiniment malheureux, prennent fort aisement condamnation
sur la crainte d'etre abandonnés et à charge.

semblable à encélade que les poètes disoient ensevely soux le mont
etna, et qui toutes les fois quil se remuoit pour se mettre mieux
ny gagnoitent que de faire exhaler, le feu, le bitume, la cendre
la lave et la fumee, je cours vainement après le repos qui me fuit,
et chaque pas que je fais, ne sert qu'a me faire trouver de nouvelles
inquietudes. je scais que vous les partager, mon amy, et bientost
viendra le temps où l'on pourra me rendre justice; mais en attendant
il m'importe fort de conserver une amitié comme la votre et d'en
avoir quelquefois des témoignages. notre amie a eté arretee chex
M^e votre charmante fille, quelle aime tendrement et admire judi=
cieusement. elle va nous revenir et jay souvent regret à la tirer des
lieux beaux et propices, où elle est prisée ce qu'elle vaut, pour venir
<1v> partager les horreurs dont je suis environné. mais son coeur qui
est vrayment l'ame de touts ses avantages, souffriroit de laisser
plus longtemps l'amitié isolée et dans le malheur. jouisses mon bon
amy de la paix et des agréments qui vous environnent et contes
que tant que mon ame tiendra sa pénible place, elle sera bien à vous

Mirabeau

à monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle 
en Suisse

Par Pontarlier