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Lettre à Henri Polier, Tsarskoïe Selo, 14 août 1785
Tsarskoé-Sélo le 14e Août 1785.
Je suis touché mon bon ami! de toutess les témoignages d'amitié que vous
me donnés. Je suis convaincû que vous n'auriés jamais permis que
j'eusse perdu ma liberté par le besoin. et c'est cette conviction même
qui me mettoit plus mal à mon aise, non que je rougisse d'avoir obli=
gation à mes amis, car ce qu'ils feroient pour moi je le ferois pour
eux en pareïl cas, mais il est dur d'être obligé de recourir à ces
moyens extrêmes sans y être réduit par quelque malheur inopiné.
Incomoder ses amis sans avoir essuyé aucun revers, m'a toujours parû peu
généreux. On doit les reserver pour cette seule occasion la seule extrêmité
et tâcher hors de là de se tirer d'affaire aussi bien que l'on peut. Si
je me suis adressé à Guiguer préférablement à vous mon cher Polier,
c'est qu'il m'avoit sollicité de le faire, ç'est que je savois qu'un déplace=
ment d'argent ne pouvoit lui être aussi à charge qu'il vous
l'auroit été. Ses rélations avec des banquiers lui donnoient la facilité
de me faire passer un Crédit sans beaucoup de peine, et c'est aussi pour
celà que je lui demandai un Crédit et non pas une lettre de change,
mais vous mon cher Polier! vous aurriés été embarrassé, et come il
ne s'agissoit pas de me4 caractères biffure mal de remedier à un malheur arrivé, mais uniquement d'un
futur d'en prévenir un futur, je vous aurois incomodé à pure perte. Voilà
mon cher quelle a été ma pensée, mais je dois m'estimer l'un des
homes les plus heureux, puisque j'ai trouvé des amis qui se sont disputés
le plaisir de mêtre utile, aussi je l'avouërai je ne voudrois pas pour
beaucoup n'avoir pas fait l'Epreuve que j'ai faitte.
Vous ne vous êtes pas encore fait une idée de ma place mon cher
ami! a en juger par ce que vous m'en dites. Il n'y a pour moi
qu'un seul Chef qui est le Gouverneur home respectable, et très
poli: remarqués surtout ce dernier point, car on ne se met guères en peine
de l'être ici avec ses Subordonnés. Deux Généraux majors (ou en ayant le rang) logent
chacun auprès de l'un des Elêves, et veillent sur leur conduite, mais
sans avoir le titre de Sous-gouverneurs. On peut les considérer come les
1ers des Cavaliers ou Menins puisque par leur rang, les autres Cavaliers n'ayant que ceux
de Colonel ou de Lieutenant-Colonel. Moi seul je suis Major et par
conséquent le dernier de la troupe, et pourtant personne ne je suis le seul qui représente
le Précepteur que moi. C'est à moi que la Comission a été donnée,
<1v> et c'est moi qui ai fourni le mémoire d'après lequel je donne mes leçons;
Enfin, je n'ai à traiter qu'avec le Gouverneur, c'est à lui seul que
je fais raport de ce qui se passe, et avec lui seul que je corresponds. Par
là vous voyés que je ne suis point subordonné à titre de maitre à un autre Précepteur
mais que je suis réellement Précepteur moi même, et certainement
je ne me serois pas soumismis àdans une telle Dépendance parceque grâces au
Ciel je n'ai besoin ni de Mentor, ni de maitre et crois pouvoir m'acquiter
sans la Direction d'autrui, des devoirs de ma place. J'ai eû il y a quel=
que tems une altercation avec les personnes faisant l'office de Sous-gouverneurs.
Mes prévenances apparement leur avoient fait penser que j'étois un bon Diable qui
ne ms'opposeroit nullement à leurs prétentions. En conséquence ils se mirent
en devoir d'éxiger 1° que je leur fisse un raport journalier de mes occupations 2° que
je j'eusse recours qu' à leur authorité lorsque la mienne seroit insuffisante,
au lieu que je n'ai personne au lieu que je n'ai au lieu de recourir
directement à celle du Gouverneur en Chef. 3° Enfin ils se mêloient
de diriger mes leçons, soit pour le tems &c... Je ne suis pas home à
mse laisser brider si facilement. Cependant Sans faire semblant
d'avoir remarqué ces nouveautés, j'ai et sans m'en diminuer de mes
égards pour ces Mrs j'ai seulement omis exprès 1 mot biffure tout ce qui pouvoit de me
conformer à leurs desirs et suis allé mon train ordinaire sans me
mettre en peine de rien. 3-4 mots biffure Ces Mrs ont pensé aussitot 1 mot biffure que s'imaginer
que Ces Messieurs croyant peut être que la timidité me retenoit, et espérant d'avoir ville gâgnée en
me poussant, ils l'ont entreprisl'ont effectivement essayé mais c'à été à leur Dam. L'un
d'eux ôsa comença par me faire des reproches 2 mots biffure très peu mesurés.
Je l'eusse envoyé paître... sans le respect dû au lieu. je ne lui répondis
rien cependant, mais j'allai du même pas porter mes plaintes à mon Chef.
Mr! lui dis je... J'ai exigé par écrit come condition préliminaire d'être le que l'Instruction dont je suis chargé me fut
seulcha confiée sans avoir besoin des
secours de personne: j'ai insisté pour que personne ne s'en mêlat
et pour avoir le droit de les donner seul, suivant mes lumières et le
mémoire que je présentois: enfin j'ai déclaré d'avance que je ne
souffrirois jamais que personne vint m'interrompre ou se mêler
de mes leçons: ces Conditions ont été lues par vous Monsieur! et par
S.M.I.! qui les a et c'est d'après celà qu'on m'a confié l'Instruction.
<2r> aurroit-on changé d'avis? Jusqu'à présent je n'ai eu de compte
à rendre qu'à vous seul Monsieur! et je n'aurois pas imaginé que d'autres
1 mot biffure pussent s'arroger ce droit, mais je vois à ma grande surprise je viens
d'en faire l'épreuve. Je viens donc reclâmer l'éxécution des Conditions auxquelles
j'ai entrepris mon ouvrâge. Jamais je ne céderai sur ce point, parceque
le bien de la chose y est intéressé, et parceque si je n'ai pas plein pouvoir
pendt mes heures de Leçons, et si je ne suis pas respecté de mes Eleves par moi même
et sans l'intervention d'un tiers, il est impossible que je leur sois utile. Si
je me suis montré digne de la confiance que l'on m'a témoignée, je dois
l'avoir 6-7 mots biffure entière, autrement je
n'en veux point. Les Affaires de ces Mrs sont entièrement différentes des miennes
et n'ont rien de comun entr'avec elles: qu'ils ne se mêlent donc pasoint de m ce qui
ne les regarde pas et de ce dont ils ne sont pas responsables: Vous Monsieur
come Gouverneur et moi come Précepteur répondons de la partie pour l'Ins=
truction, et quand j'je vous ai rendu compte personne le droit d'en éxiger je ne dois plus de compte à personne.
Je respecte J'ai rendu et rendrai au Rang de ces Mrs tous les égards qu'on
doit attendre d'un home bien né qui scait ce qu'il doit aux personnes consti=
tuées en dignité. Je les préviendrai même come du passé, et je desire
de m'entendre avec eux, mais à condition que ce soit pour la derniére fois
qu'ils m'ont m'ayent manifesté leurs prétentions. Je ferai les 99/100 des Prévenances;
qu'ils en fassent la 1/100, et je suis content. mais point de Dépendance Je profiterai
volontiers de leurs avis avant ou après mes leçons, mais point d'ordres,
point de reproches, et point d'Empire. Si c'est à l'infériorité de
mon rang que je dois ce qui est arrivé, ajoutai je, je suis prêt à y
renoncer, assurré de que la Protection de S.M. me suffira, mais tandisque
je serai celui sur qui la partie principale de l'Instruction repôse, je ne
souffrirai jamais me verrai point ravalé au dernier rang, et ne souffrirai
point qu'on se permette envers moi 2 mots biffure ce qu'un home qui se sent ne
doit jamais tolérer. Je le répéte, si mon rang est celui qui me vaut
des nazardes qu'on le reprenne, je sçais ce que je suis.
Voilà la substance de ma harangue que je prononçai avec force et cha=
leur, mais en conservant cependant tous les ménagements possibles pour ces
Mrs auxquels daïlleurs je ne voulois aucun mal. L'affaire n'a pas
traîné: on leur a fait entendre raison, ils m'ont parlé, nous nous
somes édifiés, et moi qui suis sans rancune j'ai fait come du passé. mais je
Cette altercation n'a pas eu d'autres suites que de semer un peu de
défiance entre nous, mais il faut espérer qu'elle ne sera pas de durée
<2v> et come je n'ai point donné lieu à l'altercation passée, je suis bien plus assurré
encore de ne donner lieu à aucune autre. A la vérité, malgré la réserve
qui régne encore par momens, je ne suis pas si faché de ce qui est arrivé, car
ce qui il falloit que cela arrivat une fois, et il vaut mille fois mieux que
c'ait été dès le comencement que si c'eut été dans quelques années. La
Réserve passera, et quand ces Mrs fâchés peut être aujourd'hui qu'un Major leurs ait
fait bouquer, verront que 1 mot biffure mon intention n'a point été pour de leur manquer, 1 mot biffure
2 mots biffure et que je ne suis ni intriguant, ni mal faisant, et n'ai aucunes
prétentions, ils me pardonneront d'avoir eû raison contr'eux. J'avois
tellement laissé empiéter sur moi, que si j'eusse passé cette dernière
affaire, il n'eût plus été question d'en 1 mot biffure revenir. L'on eût pris pied sur
ma patience, et 1 mot biffure mes Collègues les 2 mots biffuretous plus anciens que moi eûssent
prétendu peut être un jour à leur tour (et avec autant de raison) me subordonner
à eux: jugés donc ce que je serois devenu alors? Enfin grâces au
ciel cette affaire est terminée, et vous vous ferés, par elle une idée de ce
que j'apelle la Subordination des Rangs, inventée pr éviter les altercations,
et donnant lieu à un beaucoup plus grand nombre beaucoup plus grand
que si l'opinion publique etou les Fonctions que l'on éxerce en étoient les
Juges.
Mes occupations sont toujours les mèmes. Dans mes heures de liberté,
je fais des Extraits pour les tems à venir, ou je me promène.
Mes 2 Eléves font quelques progrès. L'ainé parle très courament fran=
çois, écrit passablement, possède les 2 premières règles d'Arithmétique,
scait un peu de Géographie et quelques traits d'histoire. Le Cadet
d'un caractére plus pétulant, et daïlleurs beaucou plus jeune de 16 mois
parle moins facilement, et est moins avancé mais annonce aussi
beaucoup de talens. Tous les deux sont infiniment aimables, et
je vous souhaite en conscience un fils qui leur ressemble. Je
les aime tendrement, et leur suis si attaché que leur compagnie
me devient nécessaire. N'allés pas croire au moins que je recherche
leur affection par d'autres voyes que par celles qui conviennent
à un home élevé dans les principes de la vertu républicaine. Je leur
parle il est vrai avec beaucoup tous les égards dûs à leur rang, et ne suis pas
autrement seul avec eux que lorsqu'ils sont en présence de leurs parens.
<3r> mais je leur dis la vérité toute nuë et sans aucun petit adoucissement:
C'est toujours sèchement bien ou mal. Malgré l'obéïssance que j'en éxige, et le Sérieux
de ma conduite à leur égard, ils me témoignent beaucoup d'amitié, cou=
rent au devant de moi lorsqu'ils me voyent jusqu'à la fin de la ligne biffure
début de la ligne biffure et me préviennent en toutes maniéres.
J'ai expliqué à l'ainé dont la conception est déja 2 mots biffure suffisante, la formation
des Sociétés, et je me suis amusé à lui faire voir les 1ers Rois, couverts
d'une peau de mouton toute brute, et accroupis auprés dans une Hutte de
branchâges. Lorsqu'un mauvais Prince me tombe sous la main
je le mets en pièce sans pitié, et ne respecte rien en lui, mais
lorsque je trouve un gd home né dans la pauvreté, et aux prises
avec l'adversité la fortune, et s'élevant par degrés aux actions les
plus sublimes, je m'efforce de faire passer dans son ame le Respect
et l'admiration qui 1 mot biffure qui appartienent aux vertus et aux gdes choses, et de lui
faire sentir l'immense distance quil y a entre un grand home et un home
puissant. Mais ne croiés jamais mon cher Polier Je juge les
homes et les actions aussi républicainement que si j'étois dans le
forum ou dans la Place d'Altorf et vous seriés étonné quand
je vous dirois qui sont ceux qui lisent ce que je dicte, ou devant
lesquels je débite ma terrible morale... Une Caverne lui dictois je il y a quelque tems, le creux d'un
arbre ou une Cabane couverte de branchages, furent les 1eres demeures
des ayeux du malheureux paysan qui travaïlle pour autrui
et du monarque qui a tant de monde à ses ordres... et plus loin
on ne connoissoit encore ni magistrats, ni Princes, ni Riches, ni pauvres,
mais tous les homes étoient fréres et égaux. aucun d'eux ne s'étoit encore
imaginé que lui seul put se livrer à tous ses caprices, faire toutes
ses volontés et que les autres fussent nés pour le servir; lui obéïr
et travaïller à sa place... Après lui avoir parlé de Cincinnatus
je finis par ces mots... Il mourut pauvre, mais pleuré de tous ses
Concitoyens, laissant à ses enfans le plus noble héritage, l'honneur
de porter son nom, et à la postérité l'éxemple de la vertu la plus parfaite
et de cette véritâble gloire que les Puissans de la terre ne peuvent ni
accorder, ni refuser parce qu'elle seule appartient à la vertu et
aux talens.
<3v> Je m'efforcerai en un mot autant peu cela dépendra de moi, de pour faire de ces 2 Enfans des homes, et de
graver dans leurs coeurs des ces Exemples frapans et de ces leçons terribles
qui ne s'effacent jamais entiérement; c'est peut être le seul moyen
de les préserver un peu de l'Infection à laquelle ils seront livrés
lorsqu'étant plus âgés les flatteurs aurront accès auprès d'eux et
leur inspireront du dégout pour ceux qui les ont élevés. Non je
ne me flatte pas qu'ils puissent échaper aux Influences de la entièrement
au sort qui attend leurs pareïls, mais j'aime à penser qu'ils conser=
veront quelques uns des bons principes après de leur Jeunesse, et que ces
principes les garantiront des 1 mot biffure grands maux auxquels leur Etat pourroit les
livreroit. Puisqu'ils sont destinés à n'avoir ni égaux, ni amis, et à
ne connoitre jamais ni fidélité, ni Vérité, il faut du moins y remédier
en fortifiant leur ame par de bons principes, et en leurs faisant accoutumant à aimer
la vérité, afin qu'ils soyent le moins trompés, et fassent le moins de
fautes que possible. J'ai
J'ai profité autant qu'il m'a été possible de la promenade
qui m'a rétabli entiérement. La plupart du tems c'est seul
que j'en jouïs, et je ne m'en plains pas, car j'erre alors tout à
mon aise dans les régions imaginaires; et plus d'une fois même j'ai
dû mes meïlleures idées à ces Rêveries champêtres. Parmi
les Idées principales qui m'occupent, est la Réalisation d'un
Projet ancien de travaïller sur l'histoire de la Suisse. Si mon
tems me le permet (ainsi que je l'espère) j'entreprendrai cette affaire
pendt l'hyver, et je ne l'abandonnerai qu'après l'avoir mise
en règle, mais ce n'est pas un petit ouvrâge, surtout quand
il s'agit on veut bien connoître la vérité, et ne rien avancer
dont on n'ait vû ou crû voir la preuve. J'ignôre si j'ai les
talens de la chose éxigés pour l'éxécution d'un pareïl projet, mais je 1 mot biffure conois
du moins les Défauts à éviter, et les anciens dont je relis sans
cesse les Ecrits, pourront me préserver du Clinquant, des grands
mots, et de la charlatanerie des modernes... Come qu'il en
soit je suis tourmenté de cette Idée, et depuis nombre d'anées
celà ne faitva qu'en augmentant. Je me propose pour but
<4r> 1° de faire connoitre à mes Compatriotes leur Patrie, les
Evénemens étonnans de leur histoire et par un Tableau vrai et simple du passé de les mettre à même
que de juger de ce qu'ils étoient jadis et de ce qu'ils sont main=
tenant. Je veux surtout que mon travaïl, intéresse 1 mot biffure mes
Concitoyens, quil réveïlle dans leurs ames le Patriotisme éteint
et qu'il leur rende plus chère la Liberté dont ils jouïssent, et fasse
naître dans leurs ames la Haine de la Tyrannie, et des Tyrans.
Il me semble que si j'obtenois un pareil but, ma patrie me
devroit quelque reconnoissance. En un mot je veuxoudrois en un mot que
tous les Suisses soyfussent pénétrés de plus en plus, en lisant les faits et
gestes de leurs ayeux, de la nécessité de demeurer sages, modestes, et
simples, et cessassent d'être étrangers les uns aux autres come ils le sont
par leur langue.
2° Je voudrois venger ma nation aux yeux de ses voisins, et faire
voir qu'aucun peuple moderne ne ressembla autant aux
vainqueurs des Perses, ou à ces Romains si grands que le peuple
suisse; or jusqu'à présent et nous mêmes et les autres
ignorons notre histoire. Ceux qui se sont mêlés de l'écrire
ou étoient ou mal informés, et crédules, ou de stupide=
ment enthousiastes, ou froids et tédieux narrateurs
ou (ce qui est pire encore) des Panégiristes perpètuels.
Voilà mon projet: me serat-il donné de le réaliser? Je l'ignore, mais
je ne crains pas la peine... Essayons.
Il n'est plus besoin que vous preniés des informations au sujet d'un Gouverneur
pr le Seigneur dont je vous avois parlé; l'affaire seroit douteuse. Le
jeune Stroganof ne peut pas partir; je crois que le Pére l'aurra écrit à Mr
De Saussure auquel je vous prie de faire mes Complimens.
Je vous aurois déjà envoyé la Carte, si j'avois trouvé une occasion:
quant à l'argent, ne vous en inquietés pas, il ne vaut pas la peine
d'en parler: c'est une bagatelle qui ne mérite pas une lettre de change.
Je pense que Mr La Combe a recu depuis longtems une lettre de
change pour être païé: envoyès moi son reçû.
Félicitès je vous prie Mr et Madame Kaschalof sur la naissance de leur
fils: j'espêre qu'elleils aimeraont davantage la Suisse en se rapellant
cette circonstance: S'amusent-ils?
<4v> Il n'est pas possible de voir moins le beau Séxe que je ne le vois... En verité
cela est un peu dur... Sans un petit brin d'amour, on s'ennuyeroit même
à la cour, est vrai à la lettre, mais il faut un amour heureux, un
amour solide, quand on se porte bien, dine bien, marche bien
et fait bien toutes ses fonctions, et ce ne peut pas être le cas... je suis ma jouïssance sur ce point là est à peu prés celle d'un Astronome
un
poursuivant une Etoile; or celà n'est bon qu'en dans les Sci Astronomie:
j'aimerois mieux le Microscope puisque je serois plus près. Au lieu
de guérrir de ma folie pendt l'Eté, j ai mon état a empiré parce
que j'ai vu plusieurs fois la personne que j'avois crû ne pas voir
du tout. Je ne la cherchois pas et elle ne me cherchoit pas da=
vantage, cependant nous nous somes rencontrés, et celà n'a
pas fortifié mes dispositions 3 caractères biffure sensées. Ce que c'est que la tenacité
de certaines ames, et le pouvoir de l'habitude!... je soupçonne depuis
très longtems qu'elle est aux prises avec une passion malheureuse
plus anciene que moi, j'en ai presque la certitude lorsque je veux combiner les circonstances,
et pourtant je ne peux surmonter mon penchant. Elle sçait que
je l'aime, elle est a été témoin de plusieurs Emotions violentes auxquelles occasionées
par sa présence inattendue, et tandis quelle cette Prude (ainsi qu'on la nome) fuit et repoussse loin d'elle
tous les homes qui veulent lui f4 caractères biffureaire la cour, cette prude (ainsi qu'on la nome)
je suis le seul pour ainsi dire qui ose en approcher d'elle, auquel et auquel elle
parle avec bonté, et veuïlle avoir quelque obligation: je scais même à n'en
pas douter qu'elle s'intéresse à moi, et quand on ne me l'auroit
pas dit, je l'aurois vû dans ses procédés, dans son air &c. convenés
mon bon ami! que voilà des 2 côtés une conduite bien inconséquente
et bien inexpliquable; mais aussi qui tenteroit de rendre raison
de 1 mot biffure l'amour? Je vous avouë pourtant que je sens au de=
dans de moi, qu'une autre feme pourroit me détacher d'elle 1 mot biffure
4 mots biffure mais ou trouver ici cette la feme qu'il
me faudroit? 1 motsbiffure tête aussi chaude En attendant vogue la Galère
tant qu'elle pourra vôguer. Je chercherai à me distraire et à me
délasser cet hyver aussi bien que je pourrai, et abandonnerai le
<5r> reste à la fortune. Né très sensible et véhément, je ne puis vivre sans
ressentir quelque intérêt pour une feme: c'est un besoin de mon Coeur auque
je n'ai pas la force de contredire; et pourquoi le contredirois je?... Je suisEtant le
seul qui en porte la peine, j'ai droit sans doute aussi aux stériles jouïssances
qui en sont la suite peuvent en naître. mais mon bon ami! pourquoi
faut-il que les homes élevés dans les Principes les plus austères, que les
homes à principes soyent doués d'un Coeur assez sensible et foible pour
les rendre malheureux?
Pour vous entretenir d'autres choses, je vous dirai, que nous avons
le célébre Offrêne qui est engagé pour 3 ans, et la Todi qui chante
à ravir. Sarti est notre maitre de chapelle et l'orphée de nos
jours, Marchesini, qu'on n'entendit jamais impunément est
attendu le mois prochain, ce qui nous prépare de très bonne musique.
Vous vous étonnerés sans doute d'entendre un ignorant parler avec inté=
rêt des 1 mot biffure plaisirs de cette espéce; mais pour ne rien entendre
à la musique, la nature ne m'a pas condamné à y être insensi=
ble, et malgré ma simplicité sur ce point je scais fort bien distinguer
les grincemens et hurlemens de la musique françoise, des
Sons touchans de l'italienne qui vont au coeur: p. éx. je
n'oublierai jamais les airs que j'entendis chanter à Luques
par Marchesini, et l'Enthousiasme qui saisit tous ses auditeurs lors=
que Ezio dont il avoit le Rôle dit à l'Empereur Valentinien son rival
qui l'envoyoitie chargé de chaines en prison pour le punir de ce que
son amante est accouruë dans ses bras en sa présence... Ecco alle
mie catene, Ecco al morir m'invio... Si: ma questo
core é mio... Si ma tu cedi a me... après avoir été
témoin des agitations de tous les Spectateurs, je ne m'étonne plus des
tout ce qu'on racconte du pouvoir de la musique chez les anciens.
Nous avons eu un Eté affreux, mais depuis 15 jours cela va
mieux. Mes obéïssances à Madame Votre Epouse, a Mesdames vos Soeurs et
a toutes les personnes de votre maison. Mes Complimens à De Loys, à La Mothe,
à d'Eyverdun, &c... rapellés moi au souvenir des personnes de ma
Société dont je persiste à être toujours membre. Adieu mon bon ami.
je vous embrasse de tout mon coeur; pensés à moi et aimés toujours votre ami come il
vous aime .
Monsieur
Monsieur De Polier de Bottens
ci devant officier au Régiment Suisse d'Erlach
a Lausanne en Suisse