Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 05 avril 1782

de paris le 5 avril 1782

je reçois mon bon et digne amy votre lettre du 31e mars: j'en avois
bien une autre auparavant, mais alors je venois de vous ecrire.

en vertu de ce que vous m'avés marqué je viens décrire à Mr de Marval
une lettre que je leur avois refusee, parcequ'ils demandoient que jécrivisse
que je faisois cause commune &c, or leur maniere et toutes leurs demarches
étant le contrepied de moy j'ay refusé cela, mais quand à une lettre de remer=
ciment, je viens de la faire, et bonne.

il semble un peu que vous croyiés que je ne les aide en rien parcequ'ils vous
le disent; eh mon amy souvenés vous donc de ce que je vous ay dit une fois ou
dix pour toutes, à scavoir que cet homme avec beaucoup d'esprit et d'ardeur
voyoit tout de droit à gauche, et disoit faux, le tout de necessite phisique. a
légard de son 1 mot biffure avocat, il s'en est emparé, il est devenu tout luy, ce n'est plus
ny son patron ny son guide cest son interprète. mais soyés sûr que lon le sert,
que lon le sert bien, que quand on n'iroit pas mon existence seule le serviroit,
que quand à luy il etoit en horreur comme fol et parricide, et que l'insolence de
son mémoire y a ajouté de la haine chex touts ceux qui l'ont vu; mais qu'il
est servy, qu'il s'en tirera, qu'il croira avoir tout fait admirablement et que non
seulement on n'a pas bougé, mais encor qu'on luy a mis des entraves. il ny a pas
de courrier où il ne me mande ou me fasse mander, quil n'a besoin de personne
quon le laisse faire, quil semble qu'on luy envie ses succes, et en même temps, quil
est seul, abandonné, seul contre touts &c &c. encore un coup mon amy tout va
mais je ny veux ny dois aucunement paroitre.

mon autre fils est arrivé icy, pour la nouvelle de la prise de st christophle; il y
avoit été accablé d'un mur renversé et pour ce saigné troix fois; par de 1 mot écriture
après il a été major, cest à dire second officier de ce détachement de 300 gre=
nadiers, qui ont attaqué et fait rembarquer 1600 anglois, ils ont perdu 92
grenadiers et sur 12 officiers 4 de tués et 3 blesses, il y a eu un cheval tué
sursoux luy et un coup de fusil à la cuisse; il avoit aidé été aide major gal à la campagne
d'york et y avoit bien servy; il est question d'obtenir son avancement et de le faire
repartir

les affaires des hommes ne sont que des jeux dit un ancien; mais on peut dire que
les hommes ont diablement la fureur du jeu. j'ay dit souvent que tout homme
<1r> avoit dans le ventre un petit tiranneau tout naturalisé, et qui ne demandoit
qu'a montrer les cornes; vous l'apèleres mâle ou femelle, orgueuil ou vanité
j'ay écrit mieux, que le 1 mot biffurecry de la liberté, nétoit que le voeu de la tirannie;
ne soyes donc pas etoné de verifier la chose par les gradins, de trouver l'aris=
tocrate oligarche, ce dernier monarque &c. cest sur quoy il faut conter quand
on veut gouverner les hommes, constituer les societés ou les maintenir. cest
la compression de ce mobile qui doit opérer l'action durable et prospere des socié=
tés par son propre ensemble, comme la multitude d'apetits touts les memes, fait
le commerce, les travaux, la multitude et la perpetuité des diners.

mais mon amy vous scaves ce que je pense des républiques, ou pour mieux dire
ce que je sens et ce que je scais à cet egard. elle ne peuvent se maintenir que
par la mediocrité territoriale et la moderation domestique suitte nécessaire
et naturelle des fortunes phisiquement bornees. ce gouvernement donc ne scau=
roit convenir dix ans aux colonies americaines sitost qu'elles seront en paix.
ce gouvernement, si c'en est un, où ce concours des volontes est propre à la def=
fensive, mais semblable à deux epontilles arcboutees l'une contre l'autre
qui croyent se pousser et qui s'entresoutiennent, otes l'une, l'autre donnera du
nez en terre. ainsy donc mon amy que j'imprimay en 1757 que dans 20
ans les colonies de l'amérique septentrionale seroient séparees, je pourrois
imprimer aujourd'huy et je vous consigne que, vous les verrésdans 20 ans après bien des tracas
ou guerres entre elles, toutes ayant des chefs soux des noms minores, ou rac=
omodées avec langleterre soux des conditions de semipleine liberté.

tout puissions nous voir, adieu mon amy; notre amie vous remercie et vous
verra dans le mois prochain, et moy toujours cloué et rivé aux misères, je
consumeray ma vie à suer et deperir. adieu je vous embrasse tendrement

Mirabeau


Enveloppe

à monsieur

Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 05 avril 1782, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/700/, version du 31.10.2024.
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