Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 24 mars 1782

de paris le 24 mars 1782

je scais mon cher amy combien a été efficace le zèle avec lequel vous
vous êtes porté à servir mon avanturier, et son consort, qu'il me
paroit avoir imbu et empreigné de son esprit indubitable. on ne
nie point icy quil ne se deffende à merveille et je luy accorde en effet
touts les talents d'un prédestiné à la sellette; mais sa position et
toute son allure n'en paroissent pas moins périlleuses au bon sens.
son ton même ne la rend que plus difficile; car au bout du conte il est
dans les mains de toute une province ameutée. absous à pontarlier
suposé qu'il le soit, la partie publique le traduira au parlement; et
indépendemment des longueurs et des frais énormes, le delit existe, l'évasion
fut et est encor réelle, l'ombre de divers autres délits, est même dans la
plainte; un véritable converti y resteroit; celuy là s'en tirera; mais que
demeurera til à son père? lécorce d'un impudent vuide de sens et d'honneur
ruiné et unique successeur d'une famille des plus honnêtes gens du monde
c'etoit notre devise, accordée par ceux même qui frondoient le plus mes
singularités.

je vous prie mon cher de remercier Mr zenner de la bonté quil a eue
de protéger cette affaire. à légard des mémoires je vous remercie de
n'avoir pas voulu les répandre au milieu du paÿs des gens sensés. on a
pareillement arrété ceux qui venoient icy qui est le paÿs des contraires
mais nous ny avons déja fait que trop de bruit. j'en ay vu un; à travers
du stile et de celuy du temps surtout, on sent qu'il n'a pas de notion de
la pudeur du mensonge, car il en est une; on sent que cest un corrompu
qui veut faire foule et qui pour cela apele ses pareils; cest là du moins
l'effet quel m'a fait; dailleurs nul ménagement sur le ton d'insolence. laissons
cet article, ils y sont.

<1v> butré ne cesse de travailler touts les étés et presque les trois saisons
praticables de l'année aux dépouillements dont vous parlés, quil con=
tinue avec tout le zèle et le travail possible et toujours accompagné
par le baron d'Idelstein, principal ministre. vous avés plus vu de
cette besogne que moy, et vous m'en parutes fort satisfait dans le
temps; mais quand à ce qui est du perfectionement et complément
d'icelle cest le temps quil faut, car en général ce travail fait aujour=
d'huy par un homme rare en patience, labeur, et discernement
de ce genre, ne peut néanmoins laisser qu'un modèle; car je l'ay dit
il y a 22 ans et toujours je le répète, sans l'intervention des peuples
jamais on ne fera rien en ce genre de durable et de décisif.

quand à ce qui est de fixer l'impost d'après ces données qui sont celles
de la nature, cela dépend et de celuy qui reçoit et de ceux qui payent et
l'instruction, qu'en vain nous avons proclamée et promue peut seule les am=
ener à ce point. touts enfants du hazard et de l'habitude qui de père
en fils, remonte à la rapine, nos droits et nos devoirs fiscaux se fondent
touts sur des usages et ceux cy partent de conditions entièrement oposées
à celles d'aujourd'huy. le dévouement absolu de corps et d'ames à leurs
princes et chefs, tenoit lieu de ge discipline aux germains indomp=
tables et toujours guerriers et ravisseurs. cette chaine de compagnons
en se fixant sur un territoire est devenu préjugé desclaves; et le droit
fiscal, confondu avec le prétendu droit féodal, qui naturellement n'est
point du tout ce que ses abus le font suposer etre, n'a ny règle relative
aux besoins sociaux, ny mesure proportionée aux moyens de contribuer.
arrivés maintenant au milieu de cette confusion compliquée absurde
injuste et ruineuse et pourtant habituelle, et proposés au pce ou qui
pis est, à son conseil de distinguer ses droits seigneuriaux, qui sont patri=
moine, d'avec ses droits fiscaux, qui sont charge et qui suposent leur employs
proposés luy de conter avec les particuliers pour les uns, parceque ce sont
conventions particulières, et avec le pallée pour les autres attendu que ce sont
<2r> charges publiques dont la bonne foy mutuelle doit faire la sanction,
et dont la persuasion des avantages respectifs doit établir la bonne foy.
allés dis je prêcher cela, les princes ne vous entendront pas, parcequils
ne voudront pas vous entendre, les peuples ne vous écouteront pas par=
ce que chacun au fonds veut etre prince dans son patrimoine et ne relever
que de dieu et de la vexation qu'il préfère à la reconoissane des droits de
ses copartageants. butré donc, mon amy, travaille dans le canton de l'eu=
rope qui a le meilleur prince, mais dans celuy au fonds où sa mission doit
etre la plus infructueuse, parcequil n'y a dans le paÿs de bade ny 1 mot écriture
ny aucune sorte de soux république si indispensable pour établir et rendre
facile et durable le bon ordre fiscal.

adieu mon cher amy, je me flatte et jespère que votre Rhume qui
ne purifie point le sang, mais qui dure et débilite lestomac, et par là
mème se perpétue si l'on vous fait boire chaud, doit etre passé main=
tenant. aimés moy toujours mes Respects à votre chère famille et je vous
embrasse tendrement

Mirabeau


Enveloppe

à monsieur

Monsieur de Saconai à 
Berne en Suisse
par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 24 mars 1782, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/699/, version du 05.12.2024.
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