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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 08 janvier 1782
du bignon le 8e jr 1782
vous avés tort de me croire à paris mon bon amy, je suis icy dont je ne bougeray
que mes adieux et affaires ne soyent finies il ce qui pourroit me mener loin. il
est temps de faire cesser le scandale quoffre et présente un viellard, en quelque
sorte, honorable, trainant sans fin et sans succès à la porte des juges et des
procureurs. tant qu'il 1 mots biffure a été question du capital pour ma famille et
pour l'acquit de mon devoir, jay dû céder à l'usage. aujourd'huy il s'agiet
de l'interest cela ne doit pas etre négligé, mais il est permis de ne pas craindre.
dailleurs ma présence n'ajoute rien, bien loin de là; j'ay des gens d'affaires éveil=
lés et mieux suivis d'icy: ces deux femmes rejointes actuellement à paris y feront
des scènes indignes avant de tomber au plus profond de la fange qui les cou=
vrira dans peu; tout cela est bon à voir de loin. vous jugés bien que je ne suis
pas à cet égard sans sollicitations d'amis bien chauds, et quelques uns bien tendres
et serviables, mais il est des cas où il faut prendre de soy même sa résolution, et
n'en croire que soy et ce qu'exige l'état des choses.
dailleurs independemment des enormes frais d'avoir tant de procureurs a ga=
gés, les cruelles affaires de mon fils, qu'il faut bien tacher de retablir néan=
moins men couteront de capables de m'entrainer. son affaire criminelle seule
est tellement tissue de main de maitre et de procureur, qu'il est comme impossi=
ble den sortir. tout cela demande, des courses, des voyages, des sollicitations, traités
avec les parties civiles &c &c, en letat d'interim et de dépouillement oulon m'a
mis, en attendant que tout soit déblayé, je ne scaurois tenir trop ferme à
toutes dépenses, sans cependant décliner pour les choses ordinaires, et le pavé
brulant de la ville monopolaire conviendrait encor moin à léquité qui est
avant tout, qu'à la dignité, qui pourtant en fait partie. je suis donc icy
tranquille, et content d'y etre, et jy demeureray jusques à ce que je voye
un peu clair dans un tissu d'affaires, qui demanderoit la vie entiere d'un
homme plus entendu et plus actif en ce genre que je ne le suis.
bien est il que le séjour de la campagne a un inconvenient d'habitude et presque
<1v> des écoscité pour moy, quand à la dépense; ce sont les travaux continuels
que je ne puis m'empêcher d'y faire faire, et qui n'ont pas cessé depuis le moment
où vous vites cecy encor dans le délabrement aussy seriés vous bien etoné de
le voir maintenant, les chemins faits et plantés, les ponts les chaussées les
bassecours, le pavé, et puis bien des enclos et cultures et plantations sur les
terres heureusement je finis tout ce qui concerne les batiments lannée passée
et la plus grande partie des terres cédées avec 75 arpents de prairies à Mr
du saillant me soulagent d'une grande et la plus grande partie, 1 mot biffure mais
cependant il y a toujours trop à faire pour moy qui ne scais point tirer
party des détails, et puis ces chemins qui sont vrayment un acte utile, mais où les
habitans m'aident seulement de quelques voitures, sont une dépense grande, faite
pour le temps, comme je les fais.
à propos du rural mon cher, butré est de retour dans votre voisinage; je fais
transcrire icy l'article de sa lettre qui me laprend, tachés mde découvrir cet homme
et de l'emmener vous faire le dépouillement de votre culture du paÿs de vauds; un
très court voyage vous suffira pour cela, l'occasion est unique, et un homme
aussy entendu que vous l'êtes ne doit pas négliger cette occasion.
si vous connoissés le chapitre de panurge qui roule sur cette alternative
mariés vous ne vous mariés pas. vous verrés que ce seroit etre plagiaire
que de traiter davantage ce chapitre: lisés le toujours ne fut ce que pour rire
car rabelais est bien bon pour cela, et tenés vous pour dit que je suis fort aise
de vous scavoir de la marge et que j'aplaudiray toujours à quelque party
que vous preniés tant que votre tête et votre coeur vous demeureront.
en fait de républiques mon bon amy cest à dire de corps sans tête il n'en peut
gueres subsister que foederatives, comme la votre, 1 mot biffure je veux dire celle du corps
helvétique. ainsy furent celles des étoliens, des achéens &c encor faut il comme
de droit que la nature, cest a dire fasse la tête de ce corps par les conditions
territoriales, comme chex vous les montagnes, en hollande les alluvions, canaux
bouches et coupures; car il faut toujours tout ramener aux conditions que
je vous dis. les circonstances ardies d'un territoire, nécessitent la culture à bras,
cette culture entraine le morcellement des héritages; ces deux conditions reunies
exigent la résidence des propriétaires; cette résidence et cette population changent
les données politiques, multiplient les tracas, l'inquiétude, lesprit des affaires
<2r> dès lors la république, soit subordonnée et sous un chef aparent et général,
ou indépendante et qui se suffit. ensuitte de l'oligarchie à la démocratie
toutes les nuances dépendent aussy des conditions territoriales: plus la nature
du terroir prêtera au produit net disponible et à linégalité des fortunes, plus lau=
torité empietera et tendra à la reunion par la prépondérance: dans le cas
contraire la démocratie conviendra mieux et profitera par proportion.
etendés mon cher amy ces données rares, sur ce que poursuit et comporte le
territoire de fribourg que vous connoissés et que je ne connois pas, et soyés sûr
que tout ce qui sortira de ces règles ne sera que pour un temps et par palliatif
car la nature reprend toujours ses droits.
adieu mon cher amy bonjour bon an et mille fois, mes Respects à vos dames
et je vous embrasse tendrement
Mirabeau
Extrait d'une lettre de Mr de Butré du 20 xbre
mais ce Ciel qui dirige tout a voulu que je revinsse à Berne, je ne sais
par quelle fatalité, car j'ai tout fait pour l'eviter, or il faut toujours
trouvé des obstacles qui m'y ont ramené ne croyant qu'y passer
et m'y voila établi de hier il est vrai que ce qui m'a determiné est
la saison rude et plus encore une solitude fort agréable près de
cette ville, où je puis etre fort simplement, bien paisible et très
tranquille, or ce n'est nullement la noble et brillante compagnie de
cette cité qui y a eu la moindre part, car je ne compte pas en faire nul
usage, ce n'est assurement nulle misanthropie qui m'y porte
mais la necessité physique qui domine tout me force à la vie
très privée pour avoir au moins les moyens de dire courageusemt
les verités utiles aux peuples et ne pas me mettre dans
l'impuissance de ne se pas prêter aux voies d'iniquité, et de
ne rien faire dont on puisse rougir, quand je vois des gens
de bien enlacés dans le bourbier d'iniquités et etre obligés
de souiller leur nom et d'etre souvent le ministre de la dépredation
et d'avaler ces angoisses continuelles d'amertume, je viens dans
ces après rochert apprendre à vivre de la simplicité pastorale
pour affermir mon ames dans les voyes de la pure justice. ainsi j'y
vivrai très isolé m'occupant d'instructions escentiellement utiles
et être en état d'en faire usage et de marcher quand le ciel m'en
donnera les moyens.
à monsieur
Monsieur de Saconai
à Berne
Par Pontarlier